Les ex-ministres Rochon et Couillard réclament un renforcement de la Loi sur le tabac

Ils joignent leurs voix à des groupes de santé lors de la Journée mondiale sans tabac
Le 25 mai, à l’approche de la Journée mondiale sans tabac (le 31 mai), le quotidien montréalais La Presse a publié une lettre ouverte de Jean Rochon et Philippe Couillard, deux anciens ministres québécois de la Santé et des Services sociaux, appelant le ministre actuel Yves Bolduc à réviser la Loi sur le tabac et à développer une stratégie plus mordante envers le taux de tabagisme qui stagne depuis cinq ans à environ 23 %.

« (Une) réforme est nécessaire pour faire face aux nouvelles stratégies de promotion, écrivent-ils, comme l’aromatisation aux saveurs de friandises et les emballages en forme de gadgets électroniques, qui permettent encore à l’industrie de recruter 30 000 nouveaux jeunes fumeurs par année. Pire, ces statistiques n’incluent pas l’usage du cigarillo, ce qui sous-estime le taux réel de tabagisme. »

Fin mai à l’Institut de cardiologie de Montréal, des victimes du tabac et des dirigeants d’organismes de santé ont demandé au gouvernement québécois de rafraîchir sa législation contre le tabagisme, laquelle fut mise à jour en 2005.

En complément à la lettre ouverte des docteurs Rochon et Couillard, un regroupement de médecins, de victimes du tabac et d’organismes de santé ont participé à une conférence de presse le 28 mai à l’Institut de cardiologie de Montréal pour demander au ministre de la Santé, ainsi qu’à tous les élus de l’Assemblée nationale, un engagement formel pour réviser la Loi sur le tabac

« Grâce aux mesures législatives en vigueur, le taux de tabagisme au Québec a baissé de plus du tiers, passant de 34 % en 1996 à 23 % en 2010, a dit Flory Doucas, codirectrice et porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT). Ces chiffres cachent malheureusement une très mauvaise nouvelle. Depuis 2005, le tabagisme ne recule pas avec le même élan. Le taux de tabagisme stagne, ayant diminué de seulement 1,1 % en cinq ans. »

En 2008, le tabagisme était responsable du tiers des coûts (32,6 %) associés aux journées complètes d’hospitalisation au Québec et du quart des coûts associés aux services infirmiers, selon la CQCT.

« Derrière ces statistiques, a continué Mme Doucas, il y a de la souffrance humaine et les coûts sociaux du tabagisme au Québec. C’est pourquoi nous demandons au ministre Bolduc : À quand, précisément, une révision de la Loi sur le tabac? »

L’article 77 de la Loi sur le tabac inclut une disposition qui oblige le ministre de la Santé à « faire rapport au gouvernement sur la mise en oeuvre de la présente loi » après cinq ans d’application. Le Dr Rochon avait mis en place cette disposition pour s’assurer que son successeur veille à l’amélioration de la Loi, notamment en réaction aux nouvelles stratégies de l’industrie et à l’évolution de la société sur les questions liées au tabagisme.

Malgré plusieurs déclarations du Dr Yves Bolduc et de son porte-parole dans les dernières années, à l’effet que la Loi serait révisée lors du rapport de 2010, le ministre a soumis son rapport comme prévu à l’automne 2010, mais n’a proposé aucune amélioration à la Loi.

Lors d’un discours à la Conférence nationale sur le tabagisme ou la santé le 2 novembre 2009 à Montréal, le ministre Bolduc avait pourtant déclaré : « Nous examinons différentes avenues sur de possibles changements législatifs et renforcements de la Loi, notamment sur la protection des jeunes. Par exemple, doit-on comme d’autres provinces protéger les jeunes contre l’exposition de la fumée de tabac à l’intérieur des véhicules? Deuxièmement, comment peut-on justifier que les fabricants ou les importateurs de produits du tabac aient encore la latitude de mettre en marché de nouveaux produits mortels ou encore de modifier la présentation ou l’emballage des produits existants?  Tout cela en sachant que les jeunes en particulier sont sensibles à l’expérimentation et à cet attrait qu’est la nouveauté. »

Suite à la lettre des deux anciens ministres de la Santé et à la conférence de presse, le ministre Bolduc a répondu qu’une révision de la Loi sur le tabac est possible et qu’il envisage des consultations particulières sur ce dossier à l’automne.

« Je suis très ouvert à revoir la Loi, a confié le ministre Bolduc au Journal de Montréal. Si on peut diminuer le tabagisme par des modifications législatives, je vais être le premier heureux. Il y a plusieurs suggestions qui sont faites, mais à ce stade-ci, comme ministre, je dois d’abord attendre le rapport de la Commission de la santé et des services sociaux. »

Puisque le Dr Bolduc semble maintenant ouvert à une révision de la Loi, la CQCT et le Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS) réclament quatre mesures à y ajouter. Premièrement, l’interdiction des saveurs dans tous les produits du tabac, car 22 % des élèves du secondaire fument des produits aromatisés, selon une étude de l’Institut de la statistique du Québec. Deuxièmement, un moratoire sur tous les nouveaux produits du tabac pour éviter l’adaptation de l’industrie qui contourne continuellement l’esprit de la Loi. Troisièmement, un emballage neutre et standardisé, ce qui éliminera le dernier médium de publicité pour les cigarettiers, qui utilisent le paquet pour promouvoir leur identité de marque. Finalement, les groupes de lutte contre le tabac demandent l’interdiction de fumer dans les autos en présence d’une personne d’âge mineur, comme cela s’est fait dans les autres provinces.

Organisée par la CQCT, la conférence de presse du 28 mai comprenait aussi des déclarations du Dr Martin Juneau, cardiologue et directeur de la prévention au Centre Épic, Institut de cardiologie de Montréal; d’André Beaulieu, porte-parole de la Société canadienne du cancer — division du Québec; de Mario Bujold, directeur général du CQTS; de François Damphousse, directeur du bureau québécois de l’Association pour les droits des non-fumeurs; d’Alain Roy, directeur général du Réseau du sport étudiant du Québec; et de quatre ex-fumeurs : Micheline Bélanger, qui a survécu à un cancer du poumon et qui souffre depuis 17 ans d’emphysème; Richard Godbout, qui a survécu à plusieurs maladies du cœur; Michèle Masson, ancienne accro de la cigarette qui a expliqué à quel point il est difficile de briser la dépendance à la nicotine; et Christian Gaumond, qui a raconté comment le tabagisme a touché sa famille, tuant plusieurs membres à la suite de maladies cardiaques et de cancers.

Témoignages de fumeurs

Comme Mme Masson, M. Godbout et M. Gaumond, Micheline Bélanger a livré un témoignage émouvant de son expérience avec la cigarette, une histoire qui a commencé à l’âge de 12 ans quand elle volait des cigarettes en cachette de sa mère. « Je suis devenue très, très vite accro à la nicotine, a-t-elle raconté. Pendant de nombreuses années, j’ai été l’esclave du tabac. » Malgré plusieurs tentatives de cessation et un diagnostic d’emphysème en 1995, Mme Bélanger a fumé 50 cigarettes par jour jusqu’en 2010, quand sa vie a changé suite à un diagnostic de cancer du poumon.

« Par un concours de circonstances assez miraculeux, j’ai demandé une radiographie des poumons, alors que j’accompagnais une amie dans une clinique, a expliqué Mme Bélanger lors de la conférence de presse. Donc, par une découverte fortuite, on a détecté mon cancer de poumon. J’ai reçu le diagnostic comme cadeau le jour de mon anniversaire, le 14 septembre 2010. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps quand le médecin a prononcé le mot cancer, pas par apitoiement, mais par désespoir parce que j’étais sûre et certaine que je ne serais jamais capable d’arrêter de fumer. »

Mais, dans les deux mois avant sa chirurgie, Mme Bélanger a diminué sa consommation de 50 cigarettes par jour jusqu’à cinq. « J’ai fumé ma dernière cigarette le 15 décembre 2010, deux heures avant ma chirurgie, se rappelle-t-elle. On m’a enlevé le lobe supérieur du poumon droit. Comme j’avais fumé deux heures avant, j’ai encore des visions de cauchemar où j’imagine la fumée sortir de mon poumon quand on m’a écarté les côtes pour sectionner le lobe cancéreux. »

Des survies comme celle de Micheline Bélanger, il faut le souligner, sont extrêmement rares. Très peu de cancers du poumon sont détectés avant qu’ils ne se disséminent. En fait, le taux de survie après diagnostic au Canada est de seulement 16 % après cinq ans. La Société canadienne du cancer estime que sur 25 600 diagnostics du cancer du poumon annuellement, il y aura 20 100 morts. De plus, près de 10 400 Québécois et Québécoises meurent  de maladies liées au tabagisme chaque année et l’âge moyen d’initiation au Québec est de 12,7 ans. Comme ça l’était depuis plusieurs décennies, le tabagisme est toujours la première cause de maladies et de morts évitables au Québec.

Tout cela nous démontre comment les stratégies de l’industrie du tabac fonctionnent et que la Loi sur le tabac dans sa forme actuelle ne va pas assez loin pour protéger nos jeunes.

Et, selon le mot final de la lettre des docteurs Rochon et Couillard, le Québec est prêt à combler les lacunes de la Loi : « Nous croyons que notre société est prête à faire un pas de plus. »

Geoffrey Lansdell