Les distributeurs de cigarillos aromatisés contournent la nouvelle loi fédérale sur le tabac

Afin de contourner la loi fédérale de 2009 interdisant la vente de « petits cigares » et de cigarettes aromatisés, le distributeur des cigarillos Prime Time, Casa Cubana, a lancé ses nouveaux petits cigares Prime Time Plus.

Selon le site Internet de l’entreprise, « Les cigares Prime Time ont été modifiés afin d’être conformes à 100 % à tous les règlements et exigences, et de permettre la poursuite de la vente de cigares aromatisés en accord avec l’esprit de la nouvelle loi. »

Les cigarillos sont simplement devenus de petits cigares sans filtre,
mais avec les mêmes arômes attrayants, tels que cerise, fraise et pêche.

L’autre principal distributeur canadien, Distribution G.V.A., a mis en marché de nouveaux petits cigares aromatisés Honey T, qui sont désormais sans filtre. Dans un communiqué émis le 24 juin, la ministre fédérale de la Santé, Leona Aglukkaq, a affirmé que certaines sociétés de tabac ne respectent pas l’esprit de la loi et qu’elle verra à en colmater les brèches. « Non seulement ces agissements contreviennent-ils à la loi, mais ils compromettent la santé des jeunes du Canada. Nous résoudrons cette question et nous continuerons de faire en sorte que les enfants du Canada soient protégés contre les dangers du tabagisme. »

Au cours de la campagne électorale de 2008, le premier ministre Stephen Harper avait promis d’interdire les arômes de cigarillos attirants pour les jeunes.

Dans une déclaration écrite, le premier ministre Stephen Harper a promis le 4 juillet de faire appliquer la loi : « La conformité à ces règles sera surveillée, de même que leur mise en application, et ce, de façon très nette. Le respect de l’esprit de la loi sera aussi surveillé et la loi sera réexaminée, si cela s’avère nécessaire. »

L’esprit de la loi

Le 5 juillet dernier, les cigarettes et cigarillos aromatisés ont été retirés des tablettes partout au Canada. Il s’agissait de la dernière étape de mise en place des modifications apportées par le Parlement fédéral à la Loi sur le tabac par l’adoption unanime de la Loi restreignant la commercialisation du tabac auprès des jeunes. Le raffermissement des restrictions applicables à la publicité des produits du tabac est entré en vigueur le 8 octobre 2009, date où la nouvelle loi a reçu la sanction royale. Depuis le 6 avril 2010, la vente au détail, y compris dans les boutiques hors taxes, de petits cigares et feuilles d’enveloppe en paquets de moins de 20 unités n’est plus permise. Depuis le 5 juillet 2010, la vente au détail, y compris dans les boutiques hors taxes, de petits cigares et feuilles d’enveloppe comprenant un additif banni (soit tous les additifs aromatisants sauf le menthol et certains autres additifs) est interdite. Les autres produits du tabac, comme les (gros) cigares et les produits de tabac non combustible, ne sont pas touchés par la loi.

Les modifications à la Loi sur le tabac définissent le petit cigare comme un rouleau ou article de forme tubulaire qui remplit les conditions suivantes : 1) il est destiné à être fumé; 2) il comporte une tripe composée notamment de tabac naturel ou reconstitué; 3) il comporte soit une sous-cape et une cape, soit une cape, qui sont composées notamment de tabac naturel ou reconstitué; 4) il comporte un bout-filtre de cigarette ou pèse au plus 1,4 gramme, sans le poids des embouts. La définition légale vise aussi les produits du tabac que des règlements désignent comme de petits cigares.

Protéger les jeunes

Les modifications apportées en 2009 ont pour but d’offrir une protection globale aux jeunes Canadiens. Les résultats de l’Enquête sur le tabagisme chez les jeunes menée en 2008-2009 ont été publiés à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac du 31 mai 2010. Ils démontrent que 9 % ou 250 000 jeunes de la sixième à la douzième année avaient fumé au moins un cigarillo au cours du dernier mois. De plus, 85 % des jeunes qui ne fument que le cigarillo se croient non-fumeurs, comparativement à 33 % de ceux qui ne fument que la cigarette.

Comme dans le cas de la consommation de cigarettes, on constate que la prévalence croît selon l’année scolaire. Parmi les jeunes en dixième, onzième ou douzième années, 35 % déclarent avoir déjà fumé le cigarillo.

Rob Cunningham, analyste principal des politiques à la Société canadienne du cancer, applaudit les efforts qui ont mené à la nouvelle Loi sur le tabac. « Sans elle, bon nombre de jeunes se laisseraient tenter par les produits aromatisés de ce genre, alors qu’ils n’auraient peut-être jamais essayé la cigarette ordinaire, dit-il. Le geste de Casa Cubana est odieux, et il est clair qu’ils ont l’intention de poursuivre leur efforts de recrutement des jeunes. »

M. Cunningham assure que les compagnies de tabac savaient pertinemment qui elles visaient en proposant des produits aromatisés au chocolat ou à la vanille. Il s’agissait d’une nouvelle tactique de marketing de leur part. De plus, ces produits aromatisés sont tout aussi dangereux que la cigarette, ajoute-t-il, parce qu’ils contiennent de la nicotine, d’où un risque d’accoutumance.

Le premier à contourner la loi 

Casa Cubana semble avoir été la première compagnie à profiter officiellement de la brèche. Ses nouveaux cigares Plus ont été juste assez modifiés pour se conformer à la nouvelle loi. Le poids des cigares Prime Time Plus dépasse le seuil de 1,4 g prévu, et la compagnie peut dire qu’ils sont dépourvus de bout-filtre de cigarette.

« Parce que les Prime Time Plus ont un poids de plus de 1,4 g et n’utilisent pas de filtre de type cigarette, ils ne sont dorénavant plus considérés comme des “petits cigares” », clame le site de Casa Cubana, lequel précise que lesdits cigares ne sont désormais « assujettis à aucune limitation sur les quantités minimales de transaction, les formats d’emballage ou les saveurs ».

Le Prime Time Plus est offert en paquets rigides à couvercle articulé de 10 cigares (cartouche de 10 x 10), 20 cigares (cartouche de 10 x 20) et à l’unité (Ouest du Canada seulement) (voir note 1). Il existera toutefois en moins de saveurs, soit cerise, raisin, vanille, pêche, rhum et fraise.

Des groupes de lutte contre le tabagisme, dont la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT), affirment que seule une interdiction de l’arrivée de nouveaux produits du tabac peut éviter de telles situations. « Il est troublant de voir à quel point l’industrie du tabac parvient à dénicher des failles ou à contourner les règlements en modifiant ses produits et son marketing. En lui permettant de mettre de nouveaux produits et de nouvelles marques sur le marché, les gouvernements lui donnent essentiellement la possibilité de s’adapter aux nouvelles mesures en les contournant », explique Flory Doucas, codirectrice de la CQCT.

De l’huile sur le feu

Le jour même de l’entrée en vigueur de la dernière modification à la Loi sur le tabac, l’Association canadienne des dépanneurs en alimentation (ACDA) a dénoncé le fait que l’on vende des cigarillos aromatisés sans taxes dans les réserves autochtones du Québec et de l’Ontario.

L’ACDA soutient que certains fournisseurs de cigarettes des réserves se croient au-dessus des lois : ils vendent d’importantes quantités de cigarettes non taxées à des acheteurs non autorisés, offrent leur produit à des mineurs et proposent des cigarillos aromatisés, contrevenant ainsi à la nouvelle loi.

Une semaine avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions de la loi, un enquêteur privé embauché par l’ACDA a visité et filmé des vendeurs de tabac travaillant dans les réserves.

L’une des deux vidéos diffusées par l’organisation au début de juillet montrait une jeune fille de 15 ans faisant son entrée dans 10 boutiques de tabac de la réserve des Six Nations en Ontario. Elle s’est procurée des produits du tabac dans huit d’entre elles sans difficulté et sans qu’on lui demande de s’identifier. L’autre vidéo, tournée dans les réserves de Kahnawake et Kanesatake au Québec, montre qu’on y vend des produits du tabac, dont des cigarillos aromatisés, à une fraction du prix demandé dans les dépanneurs, le tout sans taxes.

« Pour la première fois, nous montrons à la population canadienne que cette vente irresponsable de tabac de contrebande, faite à grande échelle dans les réserves autochtones, est une véritable honte nationale causée et tolérée par le gouvernement », déclare le vice-président principal Michel Gadbois.

Flory Doucas et Heidi Rathjen, codirectrices
de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac

Or, si l’ACDA semble vouloir éliminer énergiquement la concurrence du marché noir, les groupes de promotion de la santé s’interrogent sur sa motivation. « L’industrie des produits du tabac et ses hommes de paille tentent de façon astucieuse de faire oublier au public et aux politiciens que les enfants ont initialement découvert les cigarillos aromatisés parce que des fabricants dûment autorisés les ont mis en marché et que les détaillants les ont placés bien en vue sur leurs comptoirs durant des années », ajoute Flory Doucas.

Contrebande dans certains dépanneurs        

Parallèlement, 22 dépanneurs de Montréal et des environs font l’objet de poursuites de Revenu Québec depuis qu’une succession de descentes de police a mis au jour un réseau de contrebande de cigarillos, le 16 juin.

Le Service de police de la Ville de Montréal signale que 17 suspects ont été arrêtés lors du premier coup de filet à toucher des réseaux de contrebande de ce type de produits du tabac qui n’est pas fabriqué dans des réserves amérindiennes. La police ajoute que, depuis plusieurs années, les dépanneurs en question vendaient ces produits de contrebande en provenance de l’Ontario à leur prix de détail normal.

Chaque magasin est passible d’une amende d’au moins 3000 $ en plus de devoir rembourser les taxes sur le tabac applicables et non payées, de même que les taxes de vente provinciales (Québec) non prélevées, et des pénalités. Aucun propriétaire n’a cependant été détenu.

Le quotidien Winnipeg Free Press a également rapporté que des dépanneurs vendaient encore des cigarillos aromatisés lors de la visite de quelques points de vente en juillet, une fois l’interdiction en vigueur. Les employés ont alors confirmé que les consommateurs pouvaient s’y procurer des cigares miniatures aromatisés. Dans tous les cas, les cigarillos n’étaient pas visibles, mais entreposés avec d’autres produits du tabac non aromatisés. Il suffisait d’en faire la demande.

Selon une vidéo produite pour l’ACDA, on continue à vendre des cigarillos non taxés dans les réserves mohawks de Kahnawake et Kanesatake.

 Joey Strizzi

Note [1] : En vertu de la loi québécoise, une vente de cigarillo n’est permise qu’avec une vente totale de 10 $ en produits du tabac, ce qui décourage la vente à l’unité.