« Les campagnes antitabac les plus efficaces sont celles qui dénoncent l’industrie »

« Les campagnes antitabac québécoises devraient cibler davantage l’industrie du tabac, qui est le vecteur même de l’épidémie mondiale de tabagisme », a souligné le Dr Dileep Bal, chef de la prévention du cancer au Département des services de Santé de la Californie. M. Bal était de passage à Québec, le 27 janvier, à titre de conférencier lors d’un atelier sur la dénormalisation organisé par l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF).

Mondialement reconnu pour son implication dans la lutte contre le tabagisme, le Dr Bal a contribué à la mise en place de l’audacieux programme antitabac californien qui fut l’un des premiers à dénoncer les manoeuvres de l’industrie. Dans cet État de 35 millions d’habitants, d’importantes campagnes médiatiques ont été organisées dès la fin des années 1980, et une partie des taxes perçues sur chaque paquet de cigarettes est vouée à la réduction du tabagisme.

Baptisée « dénormalisation », cette approche a pour but de changer les mentalités afin de rendre moins acceptables les agissements de l’industrie du tabac. La lutte antitabac californienne se résume globalement en quatre points :

  1. Éliminer l’exposition à la fumée de tabac dans l’environnement (FTE);
  2. Combattre l’influence de l’industrie au moyen de campagnes antitabac percutantes;
  3. Réduire l’accessibilité des produits;
  4. Offrir des services de cessation.

Très sensibilisés aux méfaits de la FTE, les Californiens bénéficient de restaurants sans fumée depuis 1995 et de bars depuis 1998. L’efficacité de la stratégie de dénormalisation n’est plus à prouver puisque la prévalence du tabagisme y est passée de 23 % en 1988 à 16 % en 2003. De plus, le taux de cancer du poumon a chuté de 14 % entre 1988 et 1996, alors qu’il ne diminuait que de 4 % pour la même période dans le reste des États-Unis.

L’industrie du tabac cause le tabagisme

« Tout comme le moustique véhicule la malaria, l’eau contaminée cause le choléra et les rats ont propagé la peste bubonique, l’industrie du tabac est responsable de l’épidémie planétaire de tabagisme », considère pour sa part le directeur exécutif de l’ADNF, Garfield Mahood. « Après que des implants mammaires au silicone aient rendu plusieurs femmes malades, leurs fabricants ont été tenus responsables et ont dû dédommager les victimes. Il devrait en être de même pour les fabricants de tabac canadiens! », a-t-il lancé aux participants de l’atelier.

Selon M. Mahood, la lutte contre le tabagisme progresserait beaucoup plus rapidement si l’on tentait d’éradiquer le problème à la source. « L’industrie du tabac s’est mise à l’abri des lois en faisant croire qu’elle est une industrie normale et légale qui vend un produit ordinaire, dit-il. Or, on n’a qu’à penser aux poursuites qui ont été intentées contre certaines compagnies de tabac relativement à leur implication dans la contrebande, pour s’apercevoir que cette industrie n’est peut-être pas aussi légitime qu’elle le prétend. »

Déplorant le retard de notre pays en matière de dénormalisation, le directeur de l’ADNF est d’avis que les campagnes éducatives ne modifieront pas les perceptions et les normes sociales. « Au Canada, d’importantes sommes d’argent servent à réduire l’accessibilité du tabac auprès de jeunes, a-t-il ajouté, et ce même si cette mesure n’est pas jugée comme étant vraiment efficace par des chercheurs américains de renom. » Le pionnier de la lutte antitabac faisait allusion aux travaux de Lisa Goldman et de Stanton Glantz, qui mettent en doute l’utilité d’investir des sommes importantes dans le contrôle des ventes aux mineurs.

De mauvais investissements

« J’ai été très étonné d’apprendre qu’au Québec, autant d’argent est consacré aux programmes d’abandon du tabagisme », a de son côté soulevé le Dr Dileep Bal, en concédant qu’il est quand même important de fournir ce genre de services. Au lieu de miser sur une approche qui tient les fumeurs responsables de leur propre dépendance, il faudrait, selon lui, travailler à changer la mentalité des gens. « Ce ne sont pas les fumeurs qu’il faut pointer du doigt, mais plutôt l’industrie du tabac qui fait fortune en vendant et en faisant la promotion d’un produit qui entraîne la dépendance, et qui tue cinq millions de personnes par année à l’échelle mondiale, a-t-il précisé. Contrairement à ce que prétendent les dirigeants des compagnies de tabac, il ne s’agit pas de démoniser leur industrie, mais plutôt de dire la vérité sur les origines industrielles du tabagisme. » Le Dr Bal regrette que les pouvoirs et volontés politiques soient plus timides au Canada qu’aux Etats-Unis. Il a souligné qu’avec l’appui social dont nous bénéficions, nos campagnes antitabac devraient être trois ou quatre fois plus agressives.

Agente de planification et de programmation à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), Marie Jacques fut la première conférencière de la journée. « Au Québec, a-t-elle signalé, on n’a pas encore mesuré l’efficacité des campagnes de dénormalisation de l’industrie. Toutefois, le succès que cette stratégie a obtenu en Californie, au Massachusetts et en Floride, prouve qu’elle est nécessaire pour que l’on puisse modifier la conscience sociale et devenir une société sans tabac. »

De Facto : une campagne efficace

Alors qu’une de leur publicité montrait des dirigeants fictifs de l’industrie du tabac se réjouissant de voir une jeune fille fumer, et qu’une voix demandait : « Y a-t-il vraiment de quoi célébrer? », les responsables du Sport étudiant de Québec et Chaudière-Appalaches, eux, ont vraiment de quoi célébrer puisque leur campagne de dénormalisation a connu un franc succès.

Les résultats préliminaires de l’enquête sur l’efficacité de De Facto révèlent que 94 % des 625 jeunes interrogés, ont vu ou entendu au moins un des messages présentés dans le cadre de cette campagne. De plus, 93,5 % des adolescents ayant vu le logo ont été capables de l’associer à la cause antitabac, ce qui dépasse largement les attentes des organisateurs qui souhaitaient atteindre 70 %. Enfin, 74 % des jeunes fumeurs ont trouvé les pubs De Facto crédibles, tandis que le ratio s’élève à 82 % chez les non-fumeurs. Autre preuve d’efficacité de la campagne De Facto : l’industrie du tabac a menacé ses promoteurs de poursuites si les messages n’étaient pas interrompus!

Josée Hamelin