Les adolescents pourraient bien se rebeller contre l’industrie du tabac et ses produits

Depuis une trentaine d’années au Canada, la perspective de mesures de contrôle du tabac par les gouvernements soulève de vifs débats. On l’a vu, il y a quelques mois, avec les restrictions relatives à la commandite ou celles imposées à l’usage du tabac dans les lieux publics, contenues dans la loi québécoise sur le tabac. Seules les campagnes de sensibilisation auprès des jeunes semblaient échapper à ces polémiques.

Aujourd’hui, cela n’est plus le cas. Nous entendons de plus en plus de spécialistes en marketing et en santé publique se questionner sur l’approche traditionnelle à l’égard de l’éducation des jeunes concernant le tabac.

Les spécialistes soutiennent que les campagnes axées sur les effets nocifs du tabac ne peuvent atteindre leur potentiel de prévention du tabagisme à cause des messages contradictoires et continuels provenant de l’industrie du tabac. Les opérations de marketing soigneusement élaborées des cigarettiers limitent sévèrement l’impact de l’information sur la santé en associant le tabagisme à des valeurs hautement prisées chez les jeunes : l’indépendance, la rébellion contre l’autorité, la masculinité pour les garçons et la minceur pour les filles.

Dans tous les cas, on constate le phénomène au Québec, où les campagnes de sensibilisation n’ont manifestement pas eu un grand succès auprès des jeunes. Chez nous, près de quatre adolescents sur 10 fument et 50 000 commencent à fumer à chaque année.

Les experts, comme le Dr Stanton Glantz de l’Université de la Californie, expliquent que si nous voulons réellement influencer la décision des jeunes de fumer ou ne pas fumer, il nous faudra élaborer de nouvelles stratégies pour accompagner les campagnes de sensibilisation traditionnelles.

Quel type de campagne peut aider à faire contrepoids à l’image d’un produit « sexy » ou à un acte de rébellion que projettent la cigarette et son usage? Il semble que la Floride, le Massachusetts et la Californie aient trouvé un moyen fiable.

Au lieu de s’en tenir uniquement aux risques pour la santé, leurs campagnes présentent la décision de fumer comme tout le contraire de la rébellion : elle est plutôt une marque de faiblesse et une abdication face au marketing d’une industrie manipulatrice et sans scrupules. Leurs expériences ont montré que les enfants sont sensibles à ces messages et tout à fait capables de les saisir.

Par exemple, en Californie, une annonce leur a montré les pdg des compagnies de tabac affirmant sous serment devant le Sénat américain que la nicotine ne crée pas de dépendance. Le message se terminait sur ces mots : « Nous croient-ils si stupides? »

En Floride, la publicité portait sur une parodie de la cérémonie de remise des Oscars, avec les Demon Awards qui récompensent, en enfer, ceux qui ont causé le plus de décès sur Terre. Un dirigeant de l’industrie y acceptait le trophée en remerciant « tous les fumeurs qui ont rendu cette victoire possible ».

Dans les cinémas, une fausse bande-annonce traitait d’une conspiration où des malfaiteurs tiraient d’énormes profits d’un produit cancérigène, en parfaite connaissance de cause. Et au Massachusetts, les affirmations publiques des compagnies de tabac ont été juxtaposées à des citations tirées de documents internes montrant leurs véritables motivations.

Puisque ces attaques étaient si explicites, les annonces se sont attiré les foudres de l’industrie. Mais selon le Dr Glantz, voilà l’ultime gage de réussite. Si les fabricants s’agitent, c’est parce que la campagne est efficace. Si, au contraire, ils se tiennent tranquilles, c’est qu’ils se ne sentent pas menacés.

Sachant que le monde entier observerait le résultat de cette nouvelle approche, l’industrie a multiplié ses budgets de publicité, augmenté ses contributions politiques et diminué le prix des cigarettes au moment du lancement des campagnes. Malgré ces tactiques, le taux de tabagisme chez les jeunes des trois États a échappé à la hausse dramatique qu’on a pu observer dans le reste des États-Unis (et au Canada).

De plus, des progrès dans la lutte contre le tabac ont été enregistrés sur bien d’autres fronts : une baisse de la consommation totale de cigarettes, une baisse du taux de tabagisme chez les adultes, un public moins exposé à la fumée secondaire et l’augmentation de l’appui populaire pour d’autres mesures de contrôle du tabac.

En somme, les auteurs de ces initiatives insistent sur l’importance de la « dénormalisation » du tabac. Cela veut dire qu’il faut changer les perceptions généralement répandues dans la société à l’égard du tabac et de l’industrie ; pendant 60 ans, les fabricants de tabac ont investi des milliards pour créer un environnement social qui tend à favoriser leur image et leurs intérêts.

Aujourd’hui encore, trop de gens croient que :

  • l’industrie du tabac est une industrie comme les autres;
  • tant que ses produits sont légaux, ils ne devraient pas faire l’objet de tant de contrôles;
  • restreindre leur promotion porte atteinte à la liberté d’expression.

Mais la réalité est toute autre. Le tabac est un des produits les moins contrôlés sur le marché. C’est le seul qui tue lorsqu’il est utilisé exactement selon les directives des fabricants. Et comme ceux-ci manipulent délibérément les taux de nicotine, des millions de gens ne peuvent arrêter de le consommer (d’où l’impossibilité d’interdire le tabac). Il en résulte 12 000 décès par année au Québec – la pire cause de mortalité évitable de notre société. À l’évidence, les cigarettes ne sont pas un produit comme les autres.

La lutte contre le tabagisme ne devrait donc pas se modeler sur les autres campagnes de santé, comme celles, par exemple, qui encouragent les gens à s’immuniser contre la grippe. Dans le cas de ces dernières, on ne retrouve pas en coulisse des dirigeants qui font tout pour miner le succès de l’initiative parce que leur priorité est d’accumuler des milliards de dollars de profits sans égard à la santé du public.

C’est pourquoi, pour mieux prévenir le tabagisme, il faut envisager des offensives originales et innovatrices qui vont affaiblir la portée des messages contradictoires élaborés par l’industrie elle-même. Comme le démontrent les expériences américaines, cette approche redonnera de la vigueur à nos efforts pour rejoindre les jeunes.

Pour de plus amples renseignements, contacter la CQCT au (514) 598-5533.

Heidi Rathjen et Louis Gauvin, directrice de campagne et coordonnateur de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac.