L’entrée en vigueur de la Convention-cadre annonce un resserrement des mesures antitabac

Le 27 février 2005, un nouveau traité visant à réduire l’usage du tabac est entré en vigueur au Canada et dans plus de 55 pays. Il s’agit de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT ou Framework Convention on Tobacco Control en anglais), une initiative de l’OMS. Le Canada, qui l’a ratifiée en novembre 2004, devra maintenant s’y conformer.

À court terme, cette Convention n’affectera guère les Canadiens puisque notre pays respecte déjà la plupart des mesures édictées. Toutefois, quatre articles méritent une attention particulière, car leurs dispositions pourraient entraîner une amélioration de nos politiques antitabac, lesquelles sont déjà relativement sévères.

Une meilleure protection contre la fumée des autres

L’article 8 de la CCLAT stipule :

1. Les Parties [pays ayant ratifié la convention] reconnaissent qu’il est clairement établi, sur des bases scientifiques, que l’exposition à la fumée du tabac entraîne la maladie, l’incapacité et la mort.
2. Chaque Partie adopte et applique, dans les domaines relevant de la compétence de l’État en vertu de la législation nationale, et encourage activement, dans les domaines où une autre compétence s’exerce, l’adoption et l’application des mesures législatives, exécutives, administratives et/ou autres mesures efficaces prévoyant une protection contre l’exposition à la fumée du tabac dans les lieux de travail intérieurs, les transports publics, les lieux publics intérieurs et, le cas échéant, d’autres lieux publics.

D’un océan à l’autre, les intervenants du domaine tabagique voudront sans doute rappeler à leurs gouvernements provinciaux que ceux-ci doivent assurer une protection complète contre la fumée de tabac dans les lieux publics et les milieux de travail. Toutes les provinces ont appuyé la ratification nationale du traité.

Des questions pertinentes pourront être posées au pouvoir central, telles que :

  • Que fait le gouvernement fédéral pour « encourager activement » les législations provinciales à agir contre la fumée des autres?
  • Le gouvernement du Québec, par exemple, vient d’entreprendre une consultation en vue d’adopter une législation musclée à ce sujet. Que fera Santé Canada pour l’appuyer?
  • Quelles sont les intentions fédérales concernant la désuète Loi sur la santé des non-fumeurs, adoptée il y a plus de 15 ans? À quand une nouvelle loi qui garantirait une protection complète à tous les travailleurs oeuvrant sous juridiction fédérale?
La fin des « douces » et « légères »

Pour le Canada, la manière infaillible de respecter cet article serait de bannir tous les qualificatifs trompeurs apposés sur les emballages des produits du tabac, ce que les groupes de santé réclament depuis des années. Le traité mondial forcera-t-il le gouvernement fédéral à bouger plus rapidement?

Une interdiction totale de la publicité
L’article 13 de la CCLAT édicte notamment :

Certains pourraient prétendre que ce passage n’oblige pas le Canada à aller au-delà de ses sévères restrictions à la publicité du tabac, du fait que la Charte canadienne des droits et libertés, qui fait partie de la Constitution, ne permet pas une interdiction totale de la publicité du tabac. Après tout, n’est-ce pas ce qu’a décidé la Cour suprême en 1995, lorsqu’elle a renversé la Loi réglementant les produits du tabac de 1988? Pas tout à fait! Le fondement de la décision de la Cour suprême était qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes pour justifier une interdiction complète. Devant une preuve mieux étoffée, associant la publicité et la consommation du tabac, la décision de la Cour suprême aurait pu être différente.

Les mentalités progressent et on dispose d’arguments toujours plus convaincants en faveur d’une interdiction complète. Voici deux extraits de la décision du juge André Denis, de la Cour supérieure du Québec, validant la Loi sur le tabac de 1997 :

« Les droits des cigarettiers et l’obligation de santé publique de l’État ne sauraient bénéficier d’une même légitimité. (…) De fait, une lecture attentive de toutes les opinions émises en Cour suprême lors du premier procès, étudiées à la lumière de la preuve faite en l’instance, montre qu’un bannissement total de toute publicité se serait beaucoup mieux défendu aujourd’hui qu’en 1989. »

Si, tel que soumis par le juge Denis, il n’y a pas d’entrave constitutionnelle à la prohibition totale de la publicité du tabac, alors la CCLAT est limpide : le Canada doit imposer une interdiction complète d’ici 2010. Cela implique l’élimination de presque toutes les formes de publicité et de promotion du tabac qui sont présentement permises ou tolérées.

Plus précisément, cette interprétation entraînerait un bannissement formel des :

  • Annonces de tabac dans les publications, incluant l’Internet;
  • Envois postaux annonçant des produits du tabac;
  • Briquets et allumettes avec marques de cigarettes;
  • Ventes ou promotion de produits ou services véhiculant des marques de tabac;
  • Étalages et autres types de promotion du tabac dans les points de vente;
  • Concours ou promotion liés à des marques de tabac;
  • Publicités du tabac transfrontalières.

Que fait le gouvernement fédéral en vue d’interdire la publicité et la promotion du tabac?

De l’aide aux pays en développement
 L’article 22 de la CCLAT exige que :

En tant que leader de la lutte antitabac, le Canada a l’obligation d’aider les autres pays à élaborer leurs politiques antitabac, en particulier les pays en développement. Le tabagisme est un problème global; notre pays doit faire sa part pour mettre en place les solutions requises. Les montants alloués par le gouvernement fédéral à la lutte antitabac mondiale doivent passer rapidement de milliers à millions de dollars. Un programme doit être créé d’urgence, afin d’accroître le nombre de Canadiens disponibles et capables d’offrir une aide aux pays en développement afin qu’ils puissent lutter efficacement contre le tabagisme. D’une poignée, ce nombre de spécialistes doit atteindre des dizaines ou des centaines.

En 2004, les multinationales du tabac ont empoché quelque 600 millions $ en profits net au Canada. Pendant ce temps, notre pays a-t-il versé un seul million pour endiguer la promotion du tabac dans les pays pauvres?

La Convention-cadre a le pouvoir de renforcer grandement les mesures de contrôle du tabagisme au Canada et à travers le monde. Toutefois, pour atteindre cet objectif, ce traité international, comme toutes les autres lois, nécessite la vigilance des citoyens en vue de sa mise en vigueur et de son respect.

Neil Collishaw, directeur de la recherche pour Médecins pour un Canada sans fumée et responsable du dossier du tabac à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 1991 à 1999.