Le tabagisme : une toxicomanie souvent négligée dans les centres de désaccoutumance

Généralement considéré comme un moindre mal par les responsables des centres de désintoxication, le tabagisme constitue pourtant une dépendance qu’il faut vaincre, au même titre que l’abus d’alcool, de drogues ou le jeu compulsif.

Après avoir évalué l’impact d’un programme de renoncement au tabac implanté à la Maison L’Alcôve – un établissement de la Montérégie qui traite divers problèmes d’accoutumance – deux chercheurs de l’Unité québécoise de recherche sur le tabagisme concluent qu’il est « possible, bénéfique et même nécessaire d’intégrer une intervention en cessation tabagique au traitement des dépendances ».

Alors qu’environ 70 % des alcooliques et des toxicomanes qui fument souhaitent écraser, seulement 10 % des centres de désintoxication offrent une intervention en arrêt tabagique. Pourtant, selon la littérature scientifique, le fait d’arrêter le tabac n’entraverait pas les objectifs de traitement des personnes qui fréquentent ces établissements. Dans certains cas, comme celui de l’alcool, il pourrait même prévenir les risques de rechute.

De plus, les auteurs de ce rapport d’évaluation – Ann Royer et Michael Cantinotti – soulignent que la cigarette diminue les propriétés sédatives de l’alcool et augmente son effet anxiolytique (tranquillisant). Par conséquent, les fumeurs pourraient en boire de plus grandes quantités avant d’en ressentir les effets indésirables.

Chez les patients traités pour toxicomanie ou alcoolisme, la prévalence de l’usage du tabac est de quatre à cinq fois plus élevée que celle de la population en général. Et contrairement au mythe voulant que ces derniers ne soient pas intéressés à renoncer à la cigarette, ils le seraient, en fait, un peu plus que le reste des fumeurs… On peut les comprendre quand on sait que l’usage combiné d’alcool, de drogues et de tabac représente un plus grand risque de morbidité et de mortalité que l’utilisation d’une seule de ces substances à la fois.

J’Tabac maintenant!

Fondée en 1985, la Maison L’Alcôve, située à Saint-Hyacinthe, est un organisme communautaire qui opère un centre de thérapies, avec ou sans hébergement, pour les personnes souffrant de dépendances. Elle traite plus de 150 patients par année, environ 71 % d’hommes et 29 % de femmes. En 2004, grâce à une subvention de Santé Canada, elle a mis sur pied J’Tabac maintenant !, un programme dont le but est d’offrir aux clients, qui le désirent, des conseils et un suivi pour arrêter de fumer.

D’une durée de 13 semaines, dont 10 à l’externe, J’Tabac maintenant! encourage le fumeur à tenir un journal de bord et à identifier les raisons qui l’incitent à fumer et celles qui devraient le motiver à arrêter. Au fur et à mesure qu’il progresse, il rencontre des intervenants (ayant reçu au préalable une formation en cessation) pour être guidé dans son cheminement.

Dans le cadre de l’évaluation du programme, les participants (230) de la Maison L’Alcôve ont été comparés à un groupe témoin résidant à La Margelle (102), un autre centre de désintoxication où le traitement antitabac n’était pas offert. Leurs taux de tabagisme étaient toutefois similaires (entre 85 et 90 %) et environ les trois quarts rapportaient avoir déjà fait une tentative d’abandon auparavant.

Même si très peu de toxicomanes et d’alcooliques ont réussi à se libérer complètement de la nicotine, les résultats sont très positifs puisque 62 % des personnes hébergées à la Maison L’Alcôve ont réussi à s’abstenir de fumer à un moment ou l’autre du traitement. À La Margelle, seulement 4 % des participants pouvaient en dire autant. De plus, leur dépendance est passée de forte à moyenne, la quantité de cigarettes consommées quotidiennement a régressé au fil des semaines, et leur connaissance des risques liés au tabagisme s’est grandement améliorée, trois variables demeurées presque inchangées dans le groupe témoin.

Directeur des programmes à la Maison L’Alcôve, Marc Caya considère que l’intégration du programme J’Tabac maintenant ! aux activités du centre a bonifié l’ensemble des services offerts. Persuadé que le sevrage de la nicotine est un incontournable dans le traitement des dépendances, il espère que d’autres établissements l’imiteront.

Le tabac : une porte d’entrée vers les drogues?

En marge de la 3e Conférence ontarienne sur le contrôle du tabac qui s’est déroulée à Niagara Falls en décembre 2006, le Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies révélait que les jeunes qui fument la cigarette sont beaucoup plus susceptibles que les non-fumeurs d’abuser d’alcool et de consommer du cannabis ou d’autres substances illicites. Même si la corrélation entre le tabac et ces produits est très forte, l’Enquête sur les toxicomanies au Canada de 2004, dont provient ce constat, ne permet pas de déterminer si c’est le tabac qui ouvre la voie vers les autres substances consommées par les adolescents.

Josée Hamelin