Le couperet tombe sur la publicité en Europe

Après des années de tractations, le Conseil des ministres de l’Union européenne s’est finalement mis d’accord sur une interdiction de toute forme de publicité en faveur des produits du tabac.

La décision est tombée le 4 décembre après une semaine de négociations serrées provoquées par la décision du gouvernement britannique de réclamer une exemption permanente pour les courses automobiles de Formule Un.

Le compromis élaboré à Bruxelles fixe un échéancier relativement long pour l’élimination de la publicité. D’ici trois ans, la publicité extérieure sera défendue partout dans l’Union européenne; un an plus tard, l’interdiction s’étendra aux annonces dans la presse écrite et à toute autre forme de publicité directe.

En 2004, toute forme de publicité indirecte doit être éliminée, y compris la publicité de commandite – à l’exception des commandites d’activités d’envergure mondiale, c’est-à-dire des écuries de Formule Un. Toutefois, les pays désirant se prévaloir de cette exception pour la course automobile devront s’assurer que les montants consacrés à ces commandites, et la visibilité de la publicité qui s’y rapporte, vont en diminuant.

Le Commissaire des affaires sociales de l’Union, l’Irlandais Pádraig Flynn, a jugé nécessaire cette exemption jusqu’en 2006 pour sortir le gouvernement britannique de l’embarras dans lequel il était plongé depuis le début de « l’affaire Ecclestone ». (Voir notre numéro de décembre.) Sans les 10 votes du gouvernement Blair (sur un total de 87), Flynn n’aurait pu trouver les 67 votes nécessaires à l’adoption d’une proposition.

Les filiales européennes des multinationales de la cigarette ont tout de suite crié à l’injustice et annoncé qu’elles allaient contester la nouvelle directive. Pour sa part, le gouvernement allemand, l’allié le plus fidèle de l’industrie du tabac, a évoqué la possibilité d’en appeler à la Cour européenne.

La position allemande est très minoritaire au sein de l’Union; seule l’Autriche s’est jointe à l’Allemagne pour voter contre la directive. Le Danemark et l’Espagne se sont abstenus lors du vote du 4 décembre, alors que les Pays-Bas, la Grèce et la Grande-Bretagne ont tous les trois changé de camp et voté en faveur d’une interdiction paneuropéenne.

Il est important de souligner que la nouvelle directive de l’Union européenne fixe un plancher pour les pays membres en matière de santé publique. Les pays qui ont déjà adopté une interdiction complète de la publicité du tabac, dont la France, ne sont nullement obligés de revenir en arrière.

D’ailleurs, une semaine avant l’adoption de la directive, le Sénat belge a donné son aval à un projet de loi plus sévère interdisant la publicité indirecte – en particulier la publicité de commandite – d’ici le 1er janvier 1999; cette mesure ayant déjà été adoptée à la Chambre des représentants, il ne lui reste que l’étape de la sanction royale à franchir. (La publicité directe est déjà interdite en Belgique.)

C’est donc surtout dans les pays où l’industrie du tabac est particulièrement forte – les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Autriche – que la mesure européenne pourrait signaler le début d’une véritable transformation sociale face au tabagisme.

En Allemagne, géant démographique et économique de l’Europe avec ses 80 millions d’habitants, on ne cesse de rappeler les prises de position antitabac d’Adolf Hitler pour justifier une attitude permissive envers l’usage du tabac. On trouve des machines distributrices de cigarettes à tous les coins de rue, et les cigarettiers sont parmi les plus importants annonceurs dans les cinémas et la presse écrite.

Un premier projet de loi sur la protection des non-fumeurs est à l’étude au Parlement fédéral, mais a peu de chances d’être adopté malgré des sondages très favorables au sein de la population. Car l’Allemagne est une grande exportatrice de cigarettes, en particulier vers les marchés en pleine croissance d’Europe centrale.

Faire feu de tout bois

Tout en s’attaquant au caractère prétendument « extrémiste » des nouvelles mesures lorsqu’elle s’adresse aux citoyens européens, l’industrie du tabac ne s’est pas gênée pour parler dans le contexte canadien et québécois du merveilleux « compromis européen » sur la question des commandites.

Du côté du « Ralliement pour la liberté des commandites » – l’organisme de façade mis sur pied par l’agence Edelman pour le compte de l’industrie canadienne – on est allé jusqu’à dire que le « compromis européen » serait préférable à une interdiction immédiate des commandites assortie d’un fonds de remplacement.

Le 9 décembre, lors de la conférence de presse du Ralliement (voir « Offensive de l’industrie du tabac contre la loi C-71 »), le président de la firme SECOR, Marcel Côté, a expliqué qu’un tel fonds ne serait pas « efficace » parce que la distribution de fonds publics est soumise à des « critères démocratiques » – comme par exemple l’équité interrégionale – alors que l’argent des cigarettiers va surtout aux grands événements. Au lieu de compenser les organisateurs des grands festivals suite à un éventuel retrait des cigarettiers, on se mettrait peut-être à subventionner d’autres manifestations culturelles.

British American lance sa propre écurie

Quelques jours avant la décision européenne, l’agence Edelman a organisé un autre grand événement médiatique : l’annonce du rachat de l’écurie Tyrrell par British American Tobacco, la société mère d’Imasco et donc d’Imperial Tobacco.

L’équipe s’appellera British American Racing et aura un logo qui ressemble à une feuille de tabac en pleine accélération. La vedette de la nouvelle écurie, dont l’entrée en scène est prévue pour 1999, sera sans doute Jacques Villeneuve, qui ferait ainsi faux bond à Rothmans pour redevenir le héros du service de marketing d’Imperial Tobacco.

Francis Thompson