Le Congrès des États-Unis s’apprête à confier à la FDA la réglementation des produits du tabac

Si le projet de loi H.R.1108 / S.625 ne devient pas une loi avant les élections de l’automne prochain, les États-Unis ne seront jamais passés aussi près que cette année d’amorcer enfin la mise sur pied d’une réglementation fédérale significative sur la production, le marketing et la vente des produits du tabac, selon Matthew Myers, du National Center for Tobacco-Free Kids, de Washington.

Le rôle d’établir des règles du jeu dans l’industrie sera donné à la Food and Drug Administration (FDA), une agence relevant du ministre fédéral de la Santé, si le projet de loi piloté par Henry Waxman, député d’un district de Los Angeles, et Edward Kennedy, sénateur du Massachusetts, est adopté.

Actuellement, avant de lancer sur le marché américain un médicament, le promoteur doit obtenir l’aval de la FDA, qui est chargée, entre autres missions, de s’assurer de la sûreté et de l’efficacité réelle du produit. Par contre, aucune autorité ne peut empêcher quelqu’un d’offrir une marque de tabac en laissant croire que celle-ci est moins nocive qu’une autre pour la santé. L’industrie du tabac profite sans vergogne du laisser-faire, entre autres en vendant des cigarettes « légères » ou « douces », pratique interdite au Canada.

Le Family Smoking Prevention and Tobacco Control Act retoucherait le texte, et augmenterait la visibilité des avertissements sur les emballages et les annonces. La loi confierait au ministre de la Santé et à sa FDA le pouvoir de bannir les affirmations trompeuses, de réglementer la publicité dans les magazines et aux points de vente, d’exiger la publication sur l’emballage du contenu détaillé du produit, et d’exiger le retrait ou la réduction de différentes substances du tabac et de sa fumée. Tout cela pourra se faire sur la base de présomptions de la FDA et sans qu’elle doive prouver que la réglementation entraîne la réduction de l’occurrence d’une maladie ou n’entraîne pas l’apparition d’un marché noir.

Le projet stipule aussi que les normes gouvernementales pourraient changer au rythme du progrès des connaissances scientifiques, qu’une compagnie ne pourrait pas dire que son produit est « approuvé par la FDA », que le respect des normes ne libérerait pas l’industrie du tabac de sa responsabilité civile et de poursuites possibles, et que la loi fédérale ne pourrait pas être invoquée pour empêcher d’autres juridictions dans le pays de régir l’usage du tabac.

Un parcours législatif ardu

En 1998, le sénateur John McCain, appuyé notamment par le Dr David Kessler, ex-commissaire de la FDA, par le Dr Everett Koop, ex Surgeon General des États-unis, et par moult groupes de lutte contre le tabagisme, avait tenté de faire voter un projet de loi similaire. Une dure campagne de l’industrie du tabac à la télévision avait empêché la récolte d’appuis au Congrès, dans la majorité républicaine d’alors aussi bien que chez les démocrates.

Koop, Kessler et les mêmes groupes de lutte contre le tabagisme qu’en 1998 appuient l’actuel projet de loi, mais cette fois-ci, l’industrie du tabac n’est pas unanime à le rejeter. Le plus gros cigarettier, Philip Morris USA, appuie aussi le projet de loi, pourtant plus contraignant pour l’industrie que celui de 1998, selon le lobbyiste Matthew Myers. 233 des 435 membres de la Chambre des représentants et 57 des 100 sénateurs, dont John McCain et Barack Obama, ont promis de voter en faveur de la loi.

Même appuyé par des élus des deux partis, le projet de loi devra obtenir aussi l’aval du président G. W. Bush, dont le mandat n’expire qu’en janvier 2009, et qui dit craindre qu’une réglementation gouvernementale induise le public à croire que la cigarette n’est pas nocive pour la santé. L’actuel commissaire de la FDA, Andrew von Eschenbach, nommé à la tête de l’agence gouvernementale durant la présidence actuelle, ne veut pas du surcroît de responsabilités que la loi donnerait à son organisme, même si le projet de loi prévoit un financement accru de l’agence grâce à des frais annuels facturés à l’industrie du tabac.

Des arômes déplaisants

En 2004, dans un précédent projet de loi piloté par Michael DeWine, un ex-sénateur de l’Ohio, il était prévu de donner au ministre de la Santé le pouvoir de bannir les arômes ajoutés aux cigarettes, qui servent à rassurer faussement les fumeurs, en particulier les débutants. Le plus utilisé de ces arômes était et reste le menthol. Pour gagner des voix au Sénat, le projet de 2004 prévoyait l’interdiction immédiate de plusieurs arômes, dont la cerise et la fraise, en excluant toutefois le menthol, mais en précisant que le ministre (et la FDA) serait libre de mettre fin à cette exception une fois investi du pouvoir de réglementer.

Le projet de loi actuel reprend le libellé de celui de 2004 à propos du menthol et des autres arômes. La compagnie Philip Morris occupe une position de force sur le marché des cigarettes au menthol. Cet arôme étant particulièrement populaire chez les Afro-américains, cela a suffi pour qu’un éditorialiste du Los Angeles Times flaire le racisme et que son texte sermonne les promoteurs du projet de loi actuel. Le Réseau national afro-américain pour la prévention du tabagisme (NAATPN), une organisation qui lutte résolument contre le menthol depuis longtemps, ne souhaitait pas forcer la réécriture du projet de loi, afin de ne pas mettre en péril ses chances d’être adopté, parce qu’il contient de bonnes choses. Toutefois, le NAATPN a retiré son appui au projet le 2 juin et sept anciens ministres fédéraux de la Santé ont réclamé le 3 juin un amendement du projet de loi afin d’interdire immédiatement les cigarettes au menthol.

Pierre Croteau