La stratégie de la dénormalisation des produits du tabac est mise de l’avant

La réduction du tabagisme sollicite une variété de stratégies. Après avoir remporté un certain succès avec des initiatives d’ordre législatif et pédagogique, plusieurs experts et intervenants en domaine tabagique prônent désormais la dénormalisation de l’industrie du tabac.

Ce concept vise à changer les attitudes face à ce qui est considéré généralement comme un comportement normal et acceptable. Lors d’une campagne de dénormalisation des produits du tabac, l’objectif est de présenter ces produits comme étant ni normaux, ni acceptables sur le marché de la consommation. Elle vise à conscientiser le public sur les stratégies et les tactiques de l’industrie du tabac et les effets de leurs produits sur la santé.

Efficacité reconnue par les ministres

La Stratégie nationale pour le contrôle du tabac au Canada inclura désormais la dénormalisation de l’industrie du tabac et de ses produits. C’est ce qu’ont annoncé, le 16 septembre, Allan Rock, ministre fédéral de la Santé, et Mildred Dover, ministre de la Santé et des Services sociaux de l’Île-du-Prince-Édouard, au nom des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Santé. De plus, ils ont indiqué leur intention de travailler de concert avec des organismes, des groupements communautaires et des particuliers à l’élaboration de plans d’action.

Louis Gauvin, de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, estime qu’il « s’agit là d’un précédent mondial. Pour la première fois, en effet, des gouvernements se sont engagés publiquement à travailler avec les ressources du milieu pour dénormaliser le tabac et ses manufacturiers, c’est-à-dire : divulguer la véritable nature de la toxicité du tabac, ses poisons et ses toxiques; montrer au grand jour la vérité crue des effets du tabac sur la santé des gens; montrer les souffrances liées aux incapacités physiques, les personnes atteintes, leurs organes atrophiés; dévoiler les pratiques industrielles et commerciales honteuses et corrompues de l’industrie, comme celle de hausser les taux de nicotine et ainsi rendre les fumeurs plus dépendants; rendre public ses tactiques et stratégies, en particulier pour recruter des enfants et des jeunes ».

S’appuyant sur les résultats obtenus par ce type de campagne aux États-Unis, Allan Rock, dans un communiqué de Santé Canada du 16 juin dernier, a appuyé la dénormalisation et en a reconnu les effets bénéfiques : « Il existe de fortes indications aux États-Unis que les campagnes de dénormalisation de l’industrie qui ont attiré l’attention sur les stratégies et tactiques de marketing de l’industrie du tabac, sont également des outils de lutte extrêmement efficaces contre le tabac. En Californie, l’examen des campagnes de dénormalisation a révélé que ces annonces ont particulièrement de l’effet étant donné qu’elles transforment le sentiment de culpabilité souvent éprouvé par les fumeurs, en colère contre la manipulation dont ils sont l’objet. »

Certaines orientations pour le contrôle du tabac sont reconnues plus efficaces que d’autres, selon le contexte et la cible visée. Par exemple, les années 1960 à 1990 ont marqué une baisse du taux de consommation de cigarettes des Canadiens due à l’information et l’éducation du public sur les méfaits de l’usage du tabac. Ce mouvement à la baisse s’est soudainement arrêté notamment à cause de campagnes de publicité musclées des compagnies de tabac visant les jeunes.

Il a été observé que les campagnes de sensibilisation traditionnelles n’ont pas un grand succès auprès des jeunes. Or, les Américains ont pris le taureau par les cornes et mis la créativité à l’oeuvre afin de produire des campagnes de dénormalisation. Outre les États de la Californie et du Massachusetts qui ont développé des plans globaux de réduction du tabagisme misant sur des annonces publicitaires de dénormalisation de l’industrie, la Floride a investi 71 millions de dollars US pour une campagne de publicité axée sur la dénormalisation plutôt que sur les effets nocifs du tabac.

Cette campagne dénommée Truth, entièrement conçue par des jeunes, accusait l’industrie du tabac de cacher la vérité dans le but de faire des profits. Son slogan : « Sa marque de commerce est le mensonge. La nôtre, la vérité. » Des retombées heureuses ont été enregistrées : en un an près de 10 % des jeunes avaient abandonné la cigarette.

Amochée, l’industrie du tabac a déploré les résultats. Dans un document interne de la compagnie américaine RJ Reynolds, il est mentionné que « la campagne californienne et les autres semblables, représentent une véritable menace… L’effet sur l’estime de soi, l’acceptation sociale et l’usage du tabac finiront par influencer (nos) affaires ».

Plusieurs autres campagnes sous la bannière Truth ont écorché l’industrie du tabac l’incitant à faire de fortes pressions auprès des décideurs politiques afin qu’ils interrompent le versement des subventions accordées pour produire ces publicités.

Nouvelles orientations pour le contrôle du tabac au Canada

Dans l’objectif de développer une stratégie nationale pour le contrôle du tabac, un document de référence vient de voir le jour. La dénormalisation est désormais indiquée au chapitre des actions pour contrer l’usage du tabac.

Intitulé « Nouvelle orientations pour le contrôle du tabac au Canada » et produit en 1999 par le Comité directeur de la Stratégie nationale pour la réduction du tabagisme au Canada, en partenariat avec le Comité consultatif sur la santé de la population, ce document répond à la demande de la Conférence provinciale, territoriale des ministres de la Santé.

Cet ouvrage présente la Stratégie nationale. Il fait état de questions socio-économiques et sanitaires relatives à l’usage du tabac, propose un cadre d’action et des orientations stratégiques ainsi que plusieurs scénarios et activités de dénormalisation.

Toutefois, il est reconnu que pour être efficace les stratégies pour le contrôle du tabac doivent viser différents objectifs complémentaires tels que la prévention, la cessation, la protection et la dénormalisation, et une variété de sphères sociales.

Lucie Desjardins