La Société canadienne du cancer se joint à la défense de la loi C-71

La communauté de la santé pourra participer directement à la défense de la nouvelle Loi sur le tabac en Cour supérieure, a tranché la juge Danielle Grenier.

En effet, dans une décision rendue le 28 août, la cour a reconnu à la Société canadienne du cancer le droit d’intervenir dans la cause opposant les trois grands cigarettiers au gouvernement fédéral. Rappelons qu’une requête similaire devant le même tribunal en 1988 avait été rejetée carrément par le juge Chabot, au début des procédures qui devaient mener sept ans plus tard à l’invalidation par la Cour suprême de la Loi réglementant les produits du tabac.

« Le Procureur général du Canada n’a pas eu gain de cause (en 1995), a expliqué Ken Kyle, directeur des questions d’intérêt public à la Société canadienne du cancer, avant le jugement de la Cour. Si nous avions été là la dernière fois, nous aurions eu de meilleures chances de gagner. »

Les organismes de santé ne doutent pas de la compétence des avocats engagés par le Procureur général fédéral, selon M. Kyle. Mais il faut garder à l’esprit que le gouvernement fédéral a bien d’autres intérêts à protéger en plus de la santé publique. Santé Canada combat le tabagisme; Revenu Canada encaisse les taxes d’accises sur le tabac; Agriculture Canada continue de subventionner des recherches agronomiques en tabaculture. « Il faut se rappeler que Dingwall a eu à se battre au sein de son propre cabinet pour faire accepter le projet de loi C-71 », dit M. Kyle.

La juge Grenier n’a pas retenu cet aspect de l’argumentation de la Société canadienne du cancer. « Il incombe normalement au Procureur général de défendre les lois adoptées par le Parlement, a-t-elle écrit dans son jugement. Il est faux de dire qu’il est en conflit d’intérêts du seul fait qu’il soit sensible à l’existence d’une multiplicité d’intérêts. »

Par contre, la cour a jugé que la Société pourrait faire une contribution « bénéfique à toutes les parties » à cause de son expertise particulière : « Elle a subventionné et initié de nombreuses recherches visant à établir et à prouver l’existence d’un lien entre la publicité et la consommation de tabac. »

Du même coup, la juge a rejeté les requêtes en intervention de trois autres organismes (la Fondation des maladies du coeur, l’Association pulmonaire, et le Conseil canadien pour le contrôle du tabac) et de trois médecins (Marcel Boulanger, Andrew Pipe et William Evans) qui, selon elle, auraient moins d’expertise en la matière.

Dans son jugement écrit, la juge Grenier semblait laisser une marge assez large à la Société canadienne du cancer pour présenter sa propre preuve et contre-interroger les témoins de l’industrie.

Elle invitait la Société à « restreindre le champ de son intervention à la question de savoir si les dispositions contestées de la Loi sur le tabac relatives à la publicité constituent des violations au droit à la liberté d’expression qui peuvent être justifiées… ». Mais puisque la constitutionnalité des restrictions sur la publicité constitue le cœur du litige, ces « limites » ne paraissaient pas particulièrement contraignantes.

Plusieurs observateurs étaient donc quelque peu étonnés de l’attitude de la juge Grenier le lendemain de son jugement écrit, alors qu’elle a refusé au procureur de la Société canadienne du cancer le droit de consulter les 70 boîtes de documents internes de l’industrie que les fabricants avaient dû fournir au Procureur général dans le cadre de la préparation des interrogatoires au préalable.

« Vous êtes des intervenants très limités, a-t-elle précisé. Ce que je veux voir, ce sont les études de la Société canadienne du cancer… Ce n’est pas une expédition de pêche! »

Par la suite, la juge Grenier a tout de même demandé aux avocats du Procureur général de fournir une liste des informations tirées des documents confidentiels de l’industrie que le gouvernement aimerait pouvoir transmettre au procureur de la Société.

Retard prévisible

Par ailleurs, il devient de plus en plus clair que le procès proprement dit ne pourra commencer au mois d’octobre tel que prévu au départ.

L’échange de documents entre les avocats de l’industrie et ceux du gouvernement se fait à coup de camions, mais semble loin d’être terminé. Le Conseil privé, gardien des dossiers confidentiels du cabinet fédéral auxquels les parties civiles et les tribunaux n’ont pas droit d’accès, n’a pas encore statué sur le sort des quelque 500 documents déclarés confidentiels en 1988-1989 et que les fabricants réclament de nouveau cette fois-ci. (Il s’agit par exemple d’études et de discussions sur les options autres que l’interdiction totale de la publicité de cigarettes.)

De plus, l’interrogatoire au préalable d’une des hautes fonctionnaires de Santé Canada ne pourra recommencer avant le 22 septembre.

Francis Thompson