La réduction du tabagisme sera-t-elle une priorité du gouvernement conservateur majoritaire?

La Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme est renouvelée pour un an
La veille de l’annonce par Stephen Harper de la tenue des élections fédérales du 2 mai, Leona Aglukkaq, ministre de la Santé, a déclaré que la Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme (SFLT) serait prolongée d’un an afin de permettre au gouvernement d’évaluer les initiatives récentes et d’examiner les approches permanentes adoptées.

« Dans le cadre de la Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont réussi à réduire le tabagisme au Canada et à dissuader les jeunes de commencer à fumer, a déclaré la ministre Aglukkaq, qui a été renommée à sa position à la suite de la victoire majoritaire des conservateurs. Santé Canada examine actuellement les mesures à prendre pour que le Canada demeure un chef de file mondial de la lutte contre le tabagisme et conserve ses acquis. » Elle a ajouté que le ministère fédéral de la Santé travaille en collaboration avec ses partenaires au sein de la SFLT.

Selon un courriel envoyé par Santé Canada à notre revue sœur anglophone, Tobacco Info, cette collaboration comprend un examen de l’efficacité des politiques et des programmes actuels ainsi qu’une évaluation des questions d’actualité entourant le tabagisme au Canada.

Entre-temps, le maintien du financement de la SFLT permettra au gouvernement de continuer à appuyer les fumeurs dans leurs efforts de renoncement au tabac, de poursuivre sa lutte contre le marché noir et de travailler à la mise en oeuvre des nouvelles mises en garde sur l’emballage des cigarettes et des petits cigares.

« Nous espérons que Santé Canada continuera de nous considérer comme des partenaires efficaces dans la mise en oeuvre de la SFLT, affirme Cynthia Callard, directrice de l’organisme Médecins pour un Canada sans fumée. L’un des points forts des mouvements de lutte contre le tabagisme, c’est qu’ils transcendent la partisanerie : des Canadiens de toutes les allégeances politiques unissent leurs efforts pour combattre ce grave problème de santé. Au cours des précédentes législatures, le Comité permanent de la santé a démontré que les partis fédéraux sont disposés à collaborer pour durcir les lois et règlements pour contrôler le tabac. »

Toutefois, dans les semaines qui ont suivi les élections, la ministre de la Santé a fait peu de déclarations publiques concernant le tabagisme, ce qui a soulevé des inquiétudes chez les groupes de défense et de promotion de la santé.

Dans un article du Globe and Mail publié le 25 mai, le journaliste André Picard commente ainsi une lettre envoyée à la ministre par la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac : « L’investissement stratégique de fonds publics fait sens d’un point de vue économique. Si cela est bien réalisé, c’est une façon d’énoncer des priorités, d’établir des objectifs et d’évaluer des résultats. Les tergiversations du gouvernement à cet égard doivent-elles nous faire croire que la lutte contre le tabagisme n’est plus une priorité? On peut souhaiter que les conservateurs n’abandonneront pas cette stratégie sous prétexte qu’il s’agit d’une initiative libérale. Le tabagisme est un grave problème de santé publique qui doit transcender la partisanerie étroite. » (notre traduction)

Toujours est-il que la ministre a déposé, le 9 juin, trois projets de règlement proposés avant les élections : le Règlement sur l’étiquetage des produits du tabac (cigarettes et petits cigares), le Règlement sur la promotion des produits du tabac et des accessoires (termes interdits) et le Règlement modifiant le Règlement sur l’information relative aux produits du tabac.

Les trois règlements ont été adoptés par le Comité permanent de la santé le 20 juin et par l’ensemble de la Chambre des communes dès le lendemain, juste avant la pause estivale.

Plate-forme conservatrice
Avec 167 circonscriptions sur 308 (54 %), M. Stephen Harper dirige maintenant un gouvernement conservateur majoritaire.

La lutte contre le tabagisme ne constituait pas un enjeu majeur de la campagne électorale, mais la plate-forme du Parti conservateur comportait certaines initiatives pour freiner la contrebande de tabac.

Même si, selon divers indicateurs, le marché de la contrebande s’est considérablement réduit, la plate-forme du nouveau gouvernement majoritaire comportait les mesures suivantes : « La contrebande de tabac est devenue une industrie massive du marché noir qui entraîne d’énormes pertes de revenus. Fait plus important, comme les produits du tabac sont moins chers – et donc plus accessibles – cela incite les enfants et les adolescents à fumer. De plus, l’expansion du tabagisme entraîne une hausse des coûts pour le système de santé et plus de maladies et de décès liés au tabagisme. Pour aider à réduire le problème de la contrebande de tabac, nous allons établir des peines de prison exécutoires pour les récidivistes. Nous allons également créer une Force anticontrebande formée de 50 agents de la GRC. »

On rappelait également aux électeurs que le gouvernement Harper avait présenté des projets de loi en vue de restreindre la vente de produits du tabac aromatisés et de renforcer les mises en garde sur les emballages des cigarettes.

Pourtant, de nombreux groupes se demandent si l’épidémie de tabagisme demeurera une priorité du nouveau gouvernement majoritaire.

La plate-forme conservatrice fait valoir que la contrebande du tabac entraîne une hausse de maladies et de décès liés au tabagisme.

« La véritable échéance est celle du 31 mars 2012, lorsque la prochaine stratégie devra être en place et que le gouvernement n’aura plus l’option de prolonger la stratégie actuelle d’une année, affirme Mme Callard. À la veille de l’annonce des élections, la ministre a fait deux affirmations qui nous permettent d’espérer que la prochaine stratégie fédérale de lutte contre le tabac sera ambitieuse. Je vois d’un très bon œil la déclaration de la ministre selon laquelle le gouvernement du Canada s’est engagé à élaborer des stratégies novatrices, à demeurer un chef de file mondial et à assurer une définition claire du rôle fédéral dans ce domaine de compétence partagée. Toutefois, aucune précision n’a été donnée quant à la manière dont sera défini ce rôle fédéral novateur qui lui vaudra de garder sa place de chef de file mondial ni sur la participation des groupes communautaires à cet exercice. C’est là notre priorité actuelle. »

La SFLT et ses résultats

Le site Web de Santé Canada mentionne que la SFLT a pour but de réduire les taux de maladies et de décès attribuables au tabagisme chez les Canadiens.

Dans le cadre de la SFLT, Santé Canada dépense chaque année 15,8 millions $ pour financer des projets de renoncement au tabac, de prévention du tabagisme chez les jeunes et de protection contre l’exposition à la fumée secondaire. En mars 2011, la SFLT a été prolongée d’un an, jusqu’au 31 mars 2012.

L’une des plus récentes réalisations de la SFLT en matière de législation est la Loi restreignant la commercialisation du tabac auprès des jeunes. Cette loi, présentée à la Chambre des communes le 26 mai 2009 puis sanctionnée par la gouverneure générale le 8 octobre 2009, regroupe plusieurs modifications à la Loi sur le tabac. Mentionnons les dispositions au sujet des petits cigares, des additifs entrant dans la composition de produits du tabac et de la publicité de ces produits en général.

Grâce à la mise en oeuvre de la SFLT en 2001, à l’adoption de nouvelles lois et à d’autres initiatives, le Canada enregistre l’un des taux de tabagisme les plus bas au monde. Ce taux a été ramené de 22 % en 2001 à 18 % en 2009, ce qui représente environ 500 000 fumeurs de moins. En 2009, le taux de tabagisme des jeunes s’élevait à 13 %, taux le plus bas jamais enregistré par Santé Canada.

Néanmoins, au cours des dernières années, le taux de tabagisme a atteint un plancher et le gouvernement fédéral a pris du retard dans la réalisation des objectifs qu’il s’est fixés il y a près de dix ans.

Selon Flory Doucas, codirectrice de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, « Santé Canada a systématiquement sous-utilisé son budget au cours des cinq dernières années (écart variant de 9 à 15 millions $), tout en réduisant significativement les effectifs de sa Direction de la lutte contre le tabagisme. Par ailleurs, le gouvernement dirigé par Stephen Harper a souvent pris des mesures contreproductives et a démontré une absence de position ou de vision claires en ce qui touchait le tabagisme. Le gouvernement a notamment réglé des actions en justice intentées contre des fabricants de produits du tabac en contrepartie de sommes négligeables sans porter d’accusations au criminel. En outre, les fabricants ont déjà trouvé des moyens de contourner le règlement, applaudi lors de son adoption, qui vise à interdire l’ajout d’aromatisants dans les cigarillos. »

Aux dires de Cynthia Callard, le roulement des ministres de la Santé au cours des dix dernières années, généralement attribuable à un changement de gouvernement, a représenté un défi majeur. Il est à souhaiter qu’une plus grande stabilité découlant de l’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire se traduira par une amélioration des voies de communication. « Depuis l’an 2000, trois premiers ministres et six ministres de la Santé (Allan Rock [1997-2002], Anne McLellan [2002-2003], Pierre Pettigrew [2003-2004], Ujjal Dosanjh [2004-2006], Tony Clement [2006-2008] et Leona Aglukkaq [2008-aujourd’hui]) se sont succédés au gouvernement. Les changements de ministre ont entraîné chaque fois des retards puisqu’il fallait initier le nouveau personnel et que les fonctionnaires attendaient de nouvelles directives. Nous espérons qu’un mandat de quatre ans permettra de régler les dossiers en retard et de faciliter la planification à long terme. »

POSITION DES PARTIS POLITIQUES

Même si la plupart des partis politiques n’ont pas abordé formellement la question du tabagisme dans le cadre de la campagne électorale, ils ont pris position à cet égard par le passé.

Selon son site Web, le Nouveau Parti démocratique « a travaillé sans relâche aux efforts d’abandon du tabagisme et appuie entièrement la Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme et la poursuite de son mandat en 2012 ».

Le Parti libéral du Canada a donné son appui au renouvellement, en 2012, du mandat de la SFLT sur cinq ans et a récemment demandé avec insistance que des mises en garde plus sévères soient incluses sur les emballages des produits du tabac.

Le Bloc québécois a appuyé une vaste gamme de mesures rigoureuses pour contrer la production et la distribution des produits du tabac de contrebande, de même que des mesures pour prévenir le tabagisme. Il n’a aucune position affirmée sur le renouvellement de la SFLT.

Le Parti vert a appuyé les mesures de lutte antitabac et les programmes d’abandon du tabagisme avant la tenue des élections, mais n’avait pas de position officielle à cet égard.

Joey Strizzi