La police et le fisc aimeraient se défaire plus vite du tabac confisqué

Le transport et l’entreposage en sûreté de la totalité des cigarettes et produits du tabac saisis lors d’une opération anticontrebande, jusqu’à l’obtention d’un jugement de tribunal sur l’accusation lancée, absorbe inutilement de précieuses ressources de la police et du fisc.

Cela gêne en particulier les municipalités, lorsque ces dernières voudraient s’investir dans la répression de la contrebande sur leur territoire.

Voilà un des problèmes pratiques de la lutte contre le marché noir qu’ont évoqués l’Association des directeurs de police du Québec, la Sûreté du Québec (SQ), le ministère de la Sécurité publique et Revenu Québec, lors de leur comparution devant la commission des finances publiques de l’Assemblée nationale. D’amples ressources ont été mobilisées dans la lutte anticontrebande, et d’une certaine manière, la police et les inspecteurs du fisc sont victimes de leur succès. Ces dernières années, si l’offre illégale de cigarettes non taxées a diminué radicalement, les entrepôts de l’État, eux, se sont remplis plus vite qu’ils ne se vidaient.

La Loi concernant l’impôt sur le tabac telle que modifiée en 2009 a pourvu les municipalités québécoises d’un droit de conserver les amendes perçues quand elles instruisent une affaire de contrebande. Les poursuites en justice ont cependant un coût. Si le Code de procédure pénale du Québec autorisait les procureurs du ministère de la Justice à produire au tribunal des photos et des échantillons des matières confisquées, plutôt que la masse des cigarettes et autres articles du commerce illicite saisis, cela pourrait faire des économies sans nuire à la défense des accusés, et contribuerait à motiver des municipalités à combattre la revente illégale locale.

Par ailleurs, les grands corps policiers trouvent de plus en plus souvent du tabac de contrebande en perquisitionnant chez des trafiquants de stupéfiants. Il semble que celui-ci fasse désormais partie des articles de commerce ou accessoires courants du crime organisé.

Bien que la Commission des finances publiques ait établi comme balise « de ne pas cibler de communautés enparticulier », elle a reçu des représentants mohawks de Kahnawake et d’Akwasasne, telle la cheffe Sky-Deer.
Intervenir à la source

La SQ a admis en commission parlementaire qu’il n’y avait pas eu d’intervention policière dans des réserves amérindiennes en ce qui concerne la contrebande du tabac, sauf quand il s’agissait du même coup d’une affaire de trafic de stupéfiants, des cas où le corps de police amérindien a d’ailleurs collaboré, autant chez les Mohawks que chez les Hurons-Wendat.

Il serait cependant faux de dire que la police n’intervient jamais à la source, quand cette source est au Canada. 

En fait, la SQ agit souvent à la source de la source, c’est-à-dire en amont de la réserve de Kahnawake, identifiée par la Gendarmerie royale du Canada comme la zone de production illégale de cigarettes qui se trouve entièrement en territoire québécois. Kahnawake est situé au sud de l’île de Montréal, et c’est littéralement en amont, sur le fleuve St-Laurent ou sur la terre ferme, que les corps de police perturbent l’approvisionnement des usines en tabac brut. Les autres fabriques illégales qui alimentent les ventes au noir au pays sont situées du côté américain d’Akwesasne, une réserve qui chevauche l’Ontario, le Québec et l’État de New York, ainsi que dans les réserves iroquoises de Tyendinaga et de Six-Nations, à la hauteur du lac Ontario. 

En commission parlementaire, le grand chef du Conseil de bande canadien d’Akwesasne, Mike Mitchell, qui déplore l’activité pourrissante du crime organisé dans sa communauté, s’est montré ouvert à l’idée que la nation mohawk taxe les produits du tabac tout en gardant les recettes fiscales générées. La cheffe Kahsennenhawe Sky-Deer, porte-parole du Conseil de bande de Kahnawake, estime que l’industrie cigarettière dans sa réserve est une bénédiction pour sa population et pour les autres banlieues de Montréal où les Mohawks dépensent leur argent. À l’évocation d’une « taxe », Mme Sky-Deer évoque le conflit de 1990. Elle conçoit que sa nation « pourrait » mettre des mises en garde sanitaires sur les produits. Mais elle ne précise pas quand.

Pierre Croteau