La loi aidant, les Québécois délaissent la cigarette

Depuis l’entrée en vigueur du renforcement de la Loi sur le tabac québécoise, les fumeurs sont de plus en plus nombreux à vouloir mettre un terme à leur dépendance à la nicotine. Alors qu’en 2005, on estimait le taux de tabagisme à 25 %, celui-ci aurait chuté de plusieurs points de pourcentage pour se situer quelque part entre 20 et 22 % en 2006.
Jolicoeur et Associés : 20 %

Deux sondages menés par la firme Jolicoeur et Associés pour les ministères des Finances et de la Santé du Québec ont mesuré la prévalence de l’usage du tabac avant et après l’entrée en vigueur de l’interdiction de fumer dans les bars et restaurants de la province (le 31 mai 2006). Selon ces enquêtes, 230 000 personnes auraient arrêté de fumer en à peine six mois.

Pour leurs collectes de données, les interviewers ont sondé 1 909 personnes de 15 ans et plus entre le 16 mars et le 15 avril 2006, et 1 896 entre le 23 octobre et le 17 novembre de cette même année. Lors de la première vague du sondage, le taux de réponse était de 61,4 %, et pour la seconde, de 53 %.

Alors que 24 % des répondants se sont déclarés « fumeurs » le printemps dernier, ce ratio a diminué à 20 % à l’automne. Si ces données s’avèrent exactes, la proportion de fumeurs aurait baissé de 15 % et le taux de tabagisme de novembre représenterait le plus bas jamais atteint dans la province. (Pour donner un ordre de grandeur, on estime que la lutte antitabac progresse de manière convenable lorsque la prévalence diminue d’un point de pourcentage par année.)

Parmi les fumeurs interrogés, 47 % considéraient la possibilité de se libérer du tabac dans les 30 jours suivant le sondage de l’automne, et les auteurs suggèrent que d’autres baisses importantes pourraient survenir. « Si nous tenons compte qu’environ 24 % des personnes déclarant envisager de cesser de fumer au cours des six prochains mois vont passer à l’acte, nous estimons à 200 000 le nombre de personnes qui vont arrêter au cours de cette période [donc d’ici la fin avril ou le début mai 2007] », écrivent-ils dans leur rapport. Au printemps 2006, ils évaluaient que 257 000 personnes allaient arrêter et considèrent que 230 000 l’ont véritablement fait.

Malgré ces prévisions encourageantes, le Dr Bernard Heneman, médecin-conseil à la Direction de santé publique de Montréal, croit qu’il faut user de prudence dans l’interprétation des données de ces deux sondages.

« Habituellement, ce n’est qu’après un an d’abstinence qu’on peut affirmer qu’une personne est vraiment non-fumeuse, explique-t-il, parce que les taux de rechute sont plutôt élevés dans les six à 12 mois qui suivent la date d’abandon. » Ainsi, même si 230 000 personnes ont réellement tenté de vaincre leur dépendance, selon lui, ça ne veut pas nécessairement dire qu’elles y sont toutes parvenues.

Le Dr Heneman est également surpris par les faibles taux de réponse de ces sondages, et plus particulièrement par celui de l’automne (53 %). « C’est presque dire qu’une personne sollicitée sur deux a refusé de participer », remarque-t-il, en signalant que pour ce genre d’enquête, les chercheurs espèrent un taux minimal d’environ 70 %. « Plus les fumeurs se sentiront minoritaires au sein de la société, poursuit-il, et plus ils seront portés à cacher leur statut tabagique. » Sans spéculer sur le fait que les gens qui ont refusé de répondre étaient majoritairement des fumeurs ou que certains fumeurs ont menti, il précise que ce genre de biais peut parfois fausser les résultats.

Chez Jolicoeur et Associés, on soutient que le taux de réponse a été calculé selon les normes de l’Association de l’industrie de la recherche marketing et sociale (AIRMS) et qu’il est satisfaisant.

Parmi les raisons qui pourraient éventuellement les mener vers l’arrêt tabagique, les fumeurs ont principalement cité « leur état de santé futur » et « leur état de santé actuel ». Et fait plutôt insolite, environ un fumeur sur deux – tant au printemps qu’à l’automne – a indiqué que « les restrictions sur les endroits où l’on peut fumer » ne l’inciteront « pas du tout » à arrêter, alors qu’on sait que si la baisse engendrée par la loi se confirme, on aura assisté à la plus importante diminution de l’histoire du tabagisme québécois sur une aussi courte période.

ESUTC : 22 %

Selon l’Enquête de surveillance de l’usage du tabac au Canada (ESUTC), dont les résultats de la première moitié de 2006 ont été dévoilés à la fin janvier, le taux de tabagisme québécois serait de 22 %, soit le même qu’estimé en 2005. Toutefois, si les conclusions des sondages menés par Jolicœur et Associés paraissaient plutôt optimistes, il ne faut pas oublier que celles de l’ESUTC proviennent de données recueillies, en grande partie, avant l’entrée en vigueur de l’interdiction de fumer dans les lieux publics de la province.

Dans le cadre de cette enquête nationale, Statistique Canada a interrogé 9 954 personnes de 15 ans et plus, dont 976 au Québec, de février à juin 2006. Réalisée tous les ans pour Santé Canada, elle est conduite en deux vagues qui sont ensuite pondérées, pour donner un aperçu plus significatif de l’année entière. Pour le premier cycle de 2006, le taux de réponse des ménages s’établissait à 79,4 % et celui des individus, à 85,7 %.

Résultats nationaux

À l’échelle canadienne, le tabagisme aurait diminué de 19 % à 18 %, entre l’année 2005 et le début de 2006. Et si ce taux est confirmé, par la deuxième vague du sondage, il constituerait un des plus faibles enregistrés au Canada depuis que des statistiques sur l’usage du tabac sont recensées.

Sur les quelque 4,5 millions de fumeurs que l’on dénombrerait au pays (exception faite du Yukon, des Territoires du Nord-ouest et du Nunavut, qui ne sont pas compris dans l’ESUTC), environ 77 % consommeraient des produits du tabac tous les jours, et 23 % sur une base occasionnelle.

Alors que le tabagisme recule dans la plupart des provinces canadiennes, il aurait faiblement augmenté au Manitoba, en Alberta, en Nouvelle-Écosse de même qu’à Terre-Neuve-et-Labrador. Toutefois, comme pour ce qui est de mesurer le véritable impact de la Loi sur le tabac québécoise sur le comportement des fumeurs, le Dr Heneman est d’avis que d’autres études seront nécessaires avant de pouvoir déterminer si ces hausses sont significatives.

Josée Hamelin