La Convention-cadre de l’OMS a gagné en précision lors de la Conférence de Punta del Este

Composition des produits du tabac, aide au sevrage, taxation dissuasive
À Punta del Este en Uruguay, la 4e Conférence des Parties (COP-4) ayant ratifié la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac (CCLAT) s’est soldée le 20 novembre par des progrès majeurs pour les politiques de santé publique.

Les délégués de 133 pays et de l’Union européenne (UE) ont fait consensus sur l’adoption des directives d’application de plusieurs articles de la CCLAT, un traité international actuellement ratifié par l’UE et par 171 pays souverains (les 172 « Parties »).

Les participants étaient accueillis par ces cigarettes géantes qui indiquaient leur mortel contenu.

Les délégués à la COP-4 ont aussi adopté une déclaration d’appui aux Parties dont les politiques de contrôle du tabac pourraient être contestées par des cigarettiers qui utilisent les accords internationaux en matière de commerce et d’investissements pour retarder l’application locale des directives découlant de la CCLAT. La déclaration adoptée concernait particulièrement l’Uruguay, dont la réglementation récente exige l’apposition d’une mise en garde sanitaire illustrée sur 80 % des deux principales surfaces des emballages de produits du tabac. Ce pays sud-américain de 3,5 millions d’habitants est victime d’une attaque légale du plus grand cigarettier de la planète, Philip Morris International, devant une instance de la Banque mondiale. Depuis 2006, les fumeurs uruguayens ont vu s’étaler sur les paquets de cigarettes quatre vagues différentes d’illustrations et mises en garde de santé. (Voir note 1)

Composition et divulgations

L’article 9 de la CCLAT traite de la composition des produits du tabac, alors que l’article 10 concerne la divulgation de renseignements sur le contenu des produits du tabac et de  leurs émissions. Parmi les directives d’application de ces deux articles, on en trouve désormais qui affirment que les Parties devraient « limiter l’utilisation des ingrédients pouvant servir à améliorer le goût des produits du tabac», «limiter l’utilisation d’ingrédients ayant des propriétés colorantes », et limiter l’utilisation « dans les produits du tabac d’ingrédients associés à l’énergie et à la vitalité » ou « pouvant donner l’impression que ces produits ont un effet bénéfique sur la santé ». Finie l’indifférence à l’égard de sournoises cigarettes déguisées en friandises et des pernicieuses « vita-cigs ». La ligne de conduite adoptée est clairement énoncée : « Du point de vue de la santé publique, il n’existe aucune justification pour autoriser l’utilisation d’ingrédients tels que les aromatisants qui aident à rendre les produits du tabac plus attractifs. »

Les recommandations approuvées par les délégués s’appliquent autant aux cigarettes qu’aux cigares, aux mélanges pour pipes à eau, aux produits de tabac sans combustion et à tous les produits du tabac. Il n’y a aucune exemption prévue pour le menthol, l’aromate le plus souvent ajouté aux cigarettes vendues en Amérique du Nord.

Histoire de boucler la boucle avec ce qui a déjà été adopté en 2008 à propos de l’emballage, le texte de 2010 précise que « les Parties devraient envisager d’interdire la vente des produits du tabac dont le conditionnement laisse supposer la présence d’un ingrédient qui a été interdit ou, le cas échéant, soumis à des restrictions comme suite aux recommandations [de la CCLAT] ».

Dépendance à l’égard du tabac et sevrage
Des représentants de 133 pays prirent part à la COP-4, en novembre dernier en Uruguay.

Les directives de mise en oeuvre de l’article 14 de la Convention adoptées en Uruguay « engagent les Parties à renforcer ou à établir durablement des infrastructures pour encourager les tentatives de sevrage et donner largement accès à des aides aux consommateurs qui souhaitent renoncer au tabac et à prévoir des ressources financières pérennes pour mettre ces aides à leur disposition ». Le texte de 2010 précise que « les stratégies de sevrage tabagique et de traitement de la dépendance à l’égard du tabac devraient se fonder sur les meilleures preuves d’efficacité disponibles » et que le traitement de la dépendance devrait être « très largement accessible pour un coût abordable ».

Le cahier des directives d’application de l’article 14 recommande aussi que « tous les agents de santé devraient être formés à enregistrer les cas de tabagisme, à prodiguer de brefs conseils, à encourager les tentatives de sevrage et à orienter les consommateurs de tabac vers des services spécialisés de traitement de la dépendance à l’égard du tabac, le cas échéant».

De plus, le texte invite les Parties « à régler le problème du tabagisme » chez les travailleurs de la santé, puisque ceux-ci « font figure de modèles et, en consommant du tabac, ils nuisent à l’efficacité des messages de santé publique sur les effets du tabagisme », et parce qu’« il est important de réduire l’acceptabilité sociale de la consommation de tabac, et les agents de santé ont un rôle particulier à jouer à cet égard en donnant l’exemple ». Un tel appel pourrait paraître superflu si l’on ignore quelques statistiques troublantes. Selon le Tobacco Atlas de 2009, 6 % des étudiants en sciences infirmières ou en médecine en Chine fument; cette statistique oscille entre 11% et 21 % dans des pays comme l’Inde, le Brésil et le Canada; entre 31% et 41 % en Turquie, en Pologne et en Espagne; et plus de 51 % en Italie et en Allemagne. (Voir note 2)

Concernant les approches qui s’adressent à l’ensemble de la population, les directives stipulent que « la communication de masse et les programmes éducatifs sont essentiels pour encourager le public à renoncer au tabac », tout en rappelant que « ces programmes peuvent inclure la diffusion gratuite ou payante de messages par les médias ». On peut voir cela comme le complément d’une directive à propos des emballages, adoptée dès 2008, qui précise que « la présence de mises en garde sanitaires et de messages bien conçus sur les conditionnements des produits du tabac est un moyen d’un bon rapport coût/efficacité pour sensibiliser le public aux dangers de la consommation de tabac et un moyen efficace pour réduire la consommation de tabac. »

Taxes et emplois

Les délégués à la COP-4 ont convenu de créer un groupe de travail pour préparer des directives d’application de l’article 6 de la CCLAT, lequel concerne les politiques financières et fiscales qui visent à réduire la consommation de tabac.

À ce sujet, le rapport technique publié en août par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) trace des perspectives encourageantes. De récentes études économétriques montrent qu’en Chine, une hausse de 10 % du prix des cigarettes en réduirait la quantité consommée de 5 % à 6,4 %. En Inde, la même élévation du prix réduirait cette quantité de 1,8 à 3,4% pour la cigarette conventionnelle, et de 8,6 à 9,2 % pour le bidi, une sorte de cigarette roulée à la main populaire au sud de l’Himalaya. Même au sein des pays riches, une appréciation de 10 % réduirait, dans la plupart des cas, la consommation de cigarettes d’environ 4 %. « Les taxes et les prix influent aussi bien sur la prévalence du tabagisme que sur la quantité de tabac consommé », précise l’OMS.

Les conclusions du rapport technique ont aussi de quoi rassurer les décideurs politiques qui pourraient craindre d’avoir à choisir entre la santé publique et l’emploi. « Dans la plupart des pays, la majoration des taxes devrait soit avoir une incidence nette nulle sur l’emploi soit, plus vraisemblablement, entraîner une légère augmentation du nombre d’emplois. L’augmentation des taxes sur les produits du tabac a pour effet d’en réduire la consommation au bénéfice d’autres biens et services. Toute réduction des emplois liés au tabac qui pourrait résulter d’une majoration serait donc compensée par une hausse dans d’autres secteurs. »

Les délégués à la COP-4 ont prolongé le mandat du groupe de travail sur la fourniture d’un « appui à des activités de remplacement économiquement viables », notamment pour remplacer la culture du tabac. Ils ont aussi approuvé la tenue d’une cinquième et dernière session de l’Organe intergouvernemental de négociation sur le commerce illicite des produits du tabac, laquelle se tiendra au début de 2012 du fait d’un manque de fonds pour le faire en 2011.

Points de vue canadiens

Tout ce travail, ces réunions, ces mesures à mettre en oeuvre entraînent des dépenses d’argent dans l’immédiat, et plusieurs pays ont de faibles ressources.

Melodie Tilson, directrice des politiques de l’Association pour les droits des non-fumeurs et une observatrice canadienne à la conférence de Punta del Este, estime que les Canadiens ont une solide expérience dans la mise en œuvre de politiques de contrôle du tabac. Mme Tilson croit nécessaire que les gouvernements relativement riches de la planète accordent du financement aux pays en développement pour faciliter le transfert des connaissances dans la lutte contre le tabagisme.

Rob Cunningham, analyste principal des politiques pour la Société canadienne du cancer et lui aussi un observateur à la conférence uruguayenne, considère que la manière innovatrice que le gouvernement canadien a eue de s’attaquer aux produits du tabac aromatisés avec la Loi restreignant la commercialisation du tabac auprès des jeunes de 2009 a inspiré plusieurs pays qui ont légiféré depuis lors. D’un autre côté, la santé publique au Canada ferait des progrès si nos lois et règlements se conformaient davantage aux directives d’application de la CCLAT, notamment celles adoptées en 2008 à propos de l’emballage et de la promotion des produits du tabac. Ainsi par exemple, il n’y a pas de raison, aux yeux de M. Cunningham, pour que la mise en garde sanitaire couvre actuellement la moitié, et bientôt les trois quarts, des deux principales surfaces d’un paquet de cigarettes, mais demeure si discrète sur les emballages des autres produits du tabac en vente au Canada, entre autres les cigares de plus de 1,4 gramme et le tabac à pipe.

Le philanthrope Bloomberg soutient l’Uruguay

Selon le New York Times, le maire de New York, Michael R. Bloomberg, a, le 15 novembre dernier, jour d’ouverture de la COP-4, téléphoné au président de l’Uruguay, José Mujica, pour promettre à ce pays une aide financière dans sa défense contre la multinationale Philip Morris International. Bloomberg, un milliardaire possédant une longue feuille de route dans la lutte contre le tabagisme, a annoncé plus tard qu’il puiserait dans les 375 millions de $ qu’il a mis de côté pour la lutte antitabac.

Santé et développement durable

De 2003 à aujourd’hui, 171 pays et l’Union européenne se sont formellement déclarés « Parties à la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte anti-tabac ». Ce traité international avait été adopté originalement le 21 mai 2003, à Genève, par les délégués des pays-membres de l’OMS. Tant le Parlement fédéral canadien que l’Assemblée nationale, celle-ci en vertu de la doctrine Gérin-Lajoie sur les compétences législatives du Québec, ont ratifié la CCLAT, à l’automne 2004.

Le traité est entré en vigueur le 27 février 2005, 90 jours après l’adhésion d’une quarantième Partie. Depuis lors, la Conférence des Parties s’est réunie quatre fois afin d’amender et d’approuver des directives d’application de diverses clauses de la Convention-cadre. Lors d’une troisième session tenue en 2008 à Durban, en Afrique du Sud,  les Parties ont convenu d’imposer l’emballage neutre pour les produits du tabac

Bien que les décisions lors de ces réunions puissent être prises à la majorité, elles ont toutes été, depuis le début, l’objet de consensus successifs. Malgré l’absence de sanctions externes contre les Parties dont les lois et règlements ne se conforment pas aux directives, les observateurs de longue date de la scène réglementaire tels que l’avocat Rob Cunningham croient que les décisions internationales procurent un renfort considérable aux tenants d’un contrôle du tabac plus efficace dans chaque pays.

La CCLAT et le Protocole sur le commerce illicite des produits du tabac qui pourrait en découler d’ici quelques années sont bâtis sur le modèle de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, signée à Rio de Janeiro en 1992, et du Protocole de Kyoto de 1997.

Le projet d’un « instrument » international de lutte contre la pandémie de tabagisme a été lancé en 1995 à Genève. La négociation a commencé en 1999, alors que la Dre Gro Harlem Brundtland était la directrice générale de l’OMS.  Mme Brundtland s’était déjà fait connaître en 1987 par son rapport à l’ONU qui promouvait le concept de développement durable.

Pierre Croteau

Note [1] : En date du 15 novembre, 44 pays affirmaient qu’ils exigent l’apposition d’une mise en garde accompagnée ou composée d’une image ou d’un pictogramme.

Note [2] : Toutefois, parmi les médecins canadiens uniquement, la prévalence du tabagisme serait de 3 %, comme l’a révélé le Dr Atul Kapur lors de la 6e Conférence nationale sur le tabagisme ou la santé, à Montréal en 2009.