La cigarette bannie des bars et des restaurants dès mai 2006

Aujourd’hui, le gouvernement a posé un acte de santé publique important », a déclaré le ministre de la Santé, Philippe Couillard, lors du dépôt du projet de loi 112, le 10 mai.

Lui, qui escomptait obtenir un support assez large des parlementaires pour que la législation entre en vigueur au début 2006, a été servi. Le 16 juin, les députés présents à l’Assemblée nationale ont voté unanimement en faveur de l’adoption de la nouvelle Loi sur le tabac. À compter du 31 mai 2006, l’usage du tabac sera proscrit de tous les lieux publics du Québec, incluant les bars et les restaurants.

Satisfaits des changements apportés à la loi, les groupes qui militent contre le tabagisme les considèrent comme un grand pas en avant. « Ces mesures contribueront à la diminution certaine du taux de tabagisme, a déclaré le coordonnateur de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, Louis Gauvin. L’adoption de cette loi épargnera des milliers de vies de l’horrible sort de la dépendance aux produits de l’industrie du tabac. »

De son côté, le directeur du bureau du Québec de l’Association pour les droits des non-fumeurs, François Damphousse, se réjouit que le projet de loi ait été amélioré lors de son passage à la commission parlementaire. « Contrairement à ce qui s’est produit en 1998, on est parti avec un projet de loi fort, et au lieu de reculer, on a avancé, observe-t-il. C’est signe que la mentalité du public et des politiciens à l’égard des mesures de contrôle du tabagisme a beaucoup évolué. »

Ces bonifications ne font cependant pas l’affaire de tous. Le président de la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec, Renaud Poulin, a manifesté sa déception sur plusieurs tribunes. Il aurait souhaité que les clients des bars aient accès à des fumoirs.

En conférence de presse, le ministre Couillard a affirmé avoir écarté cette possibilité : « Plusieurs études ont démontré que les fumoirs n’éliminent pas les risques pour la santé. Ils ne permettent d’atteindre qu’un niveau acceptable d’odeur. Aucune raison ne justifie que les employés des bars soient moins protégés que ceux des restaurants. »

Les propriétaires d’établissements peuvent toutefois aménager des fumoirs, munis d’un système de ventilation indépendante, servant exclusivement aux employés et à la direction. Mais en 2008, tous les fumoirs existants devront fermer, peu importe le milieu de travail dans lequel ils sont situés.

Les contrevenants recevront une amende de 50 à 300 $ la première fois qu’ils seront pris à fumer où ce n’est pas permis. Une récidive leur coûtera entre 100 et 600 $. Les exploitants devront quant à eux débourser de 400 à 4 000 $ s’ils tolèrent l’usage du tabac dans leur établissement. À la seconde infraction, la contravention sera de 1 000 à 10 000 $.

Interdiction de fumer

Selon l’échéancier préliminaire, l’interdiction de fumer devait entrer en vigueur en janvier 2006. Or, l’Association des restaurateurs du Québec (ARQ) s’attendait à ce que l’application de la loi soit beaucoup plus difficile si le gouvernement fixait l’entrée en vigueur en plein hiver. Suggérant une mesure effective au même moment que celle de l’Ontario – le 31 mai 2006 – elle a fait valoir qu’à cette date, « la température beaucoup plus clémente permettrait aux clients fumeurs de sortir dehors, le temps de s’habituer au changement ».

Hormis quelques cas particuliers, tous les lieux publics deviendront sans fumée le 31 mai 2006. Les établissements d’hébergement touristique, les centres de soins de longue durée ainsi que les institutions qui accueillent des personnes démunies, malades ou psychiatrisées pourront continuer à offrir un maximum de 40 % de leurs chambres à leurs résidents fumeurs et à ceux qui y sont de passage. Selon le ministre Couillard, cette exception relève d’un impératif légal obligeant le gouvernement à respecter le droit constitutionnel de ces gens d’utiliser un produit légal dans un endroit considéré comme leur milieu de vie. Toutefois, la permission de fumer dans une chambre peut être retirée à quiconque représente un danger pour soi-même ou pour autrui.

« Cigar Lounge »

Les salons de cigares demeureront un des rares endroits où il sera toujours permis de fumer à l’intérieur, lorsque la loi sera appliquée. Cependant, seuls les établissements en opération lors du dépôt du projet de loi et dont la vente de cigares a généré un minimum de 20 000 $ au cours de l’année 2004, pourront demeurer ouverts. Cette mesure a pour but d’éviter qu’un nombre impressionnant de commerces ne se convertissent soudain en « Cigar Lounge ». En outre, en juin 2006, les salons de cigares devront tous être munis d’un fumoir ventilé.

À l’extérieur

Dès septembre 2006, la consommation de cigarettes sera défendue sur le terrain des centres de la petite enfance (CPE), des écoles primaires et secondaires, aux heures où les enfants ou adolescents y sont présents. La nouvelle loi empêchera également l’usage du tabac dans un rayon de neuf mètres des portes des établissements de santé et de services sociaux, centres de formation professionnelle, cégeps, universités et garderies et lieux où se déroulent des activités destinées aux mineurs (ex : maison des jeunes). L’interdiction s’applique à la limite du terrain dans les cas où cette dernière est inférieure à neuf mètres.

Les fumeurs qui se sentent brimés par les nouvelles mesures trouveront une mince consolation, du moins par beau temps. Ils pourront continuer à allumer sur les terrasses extérieures des bars et des restaurants, à condition que celles-ci ne soient pas recouvertes d’un toit.

Vente aux mineurs

Alors qu’auparavant, seuls les détaillants avaient à répondre de leurs actes lorsqu’ils étaient reconnus coupables d’avoir vendu des cigarettes à un mineur, la future législation prévoit des amendes d’au moins 300 $ pour les employés fautifs. De plus, afin d’uniformiser les sanctions avec celles de la loi fédérale, le montant de la contravention pour une première offense est passé de 300 $ à 500 $ pour les propriétaires.

Points de vente

Afin d’empêcher la vente itinérante, notamment par le biais de « cigarettes girls » et de kiosques mobiles, la loi propose une définition claire et concise des endroits où il sera permis de faire le commerce du tabac : « Un point de vente de tabac est un lieu fixe délimité de façon permanente par des cloisons ou des murs continus s’étendant du sol au plafond, auquel la clientèle ne peut accéder que par une ouverture munie d’une porte et dans lequel on vend, notamment, du tabac au détail. »

De plus, il sera dorénavant interdit de vendre du tabac dans les endroits où se déroulent des activités culturelles, artistiques ou sportives, dans les cégeps et universités, de même que dans les restaurants et les bars. Comme c’est déjà le cas dans plusieurs autres provinces, les distributrices de cigarettes seront désormais interdites.

Tel que mentionné dans le Rapport sur la mise en oeuvre de la Loi sur le tabac de 1998, 10 270 points de vente sont inconnus du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Afin de pallier à ce manque, le gouvernement implantera un registre des débits de tabac dans lequel devra s’inscrire chaque détaillant, avant le 15 juin 2006. Par la suite, les commerçants devront prévenir le Ministère de tout changement.

Publicité

Pour damer le pion aux cigarettiers – qui ont fait preuve d’une imagination débordante afin de promouvoir leurs produits malgré l’interdiction d’associer leur consommation à un « style de vie » – la publicité indirecte est maintenant mieux définie. Elle inclut les noms, dessins, logos, signes distinctifs, images ainsi que les slogans indirectement associés au tabac qui évoquent une marque de produits du tabac ou un fabricant.

Murs de cigarettes

En dépit des recommandations des groupes antitabac, qui souhaitaient l’interdiction complète des étalages dans les plus brefs délais, les détaillants pourront continuer à exposer leurs murs de cigarettes jusqu’au 31 mai 2008. Toutefois, à partir de cette date, les étalages seront totalement interdits, sauf dans les boutiques spécialisées dont 75 % du chiffre d’affaires est actuellement relié à la vente de cigarettes. Par règlement, le gouvernement se garde le pouvoir de restreindre les étalages, s’il constate que ceux-ci prennent plus d’ampleur d’ici 2008. Précisons toutefois qu’au cours des six ans et demi qui ont suivi l’entrée en vigueur de la Loi sur le tabac, aucun règlement n’a été adopté.

Municipalités

Quant aux municipalités, dont les pouvoir devaient initialement se limiter à interdire l’usage du tabac à l’extérieur, lors d’événements particuliers, elles pourront adopter des règlements plus sévères que la législation provinciale, en vertu de la Loi sur les compétences municipales, tel qu’expliqué par Philippe Couillard au moment de l’étude détaillée.

Impact économique

Une douzaine de groupes ont témoigné, lors d’audiences particulières qui se sont déroulées du 30 mai au 1er juin, devant la Commission des affaires sociales. Parmi ceux-ci, des chercheurs de l’UQAM, mandatés pour évaluer les conséquences économiques du renforcement, ont exposé les résultats de leur étude d’impact. Professeur au Département des sciences économiques, Pierre Ouellette a révélé que les bénéfices engendrés par les modifications à la loi dépassent largement les coûts reliés à leur application. « Une baisse de 0,35 % de la prévalence du tabagisme suffirait à éponger les coûts totaux de 16 millions $ et les quelque 40 millions de $ que les fabricants versent annuellement en contribution aux détaillants, a-t-il signalé. De plus, chaque baisse de 1 % du tabagisme équivaut à une économie récurrente de quelque 114 millions $ pour la santé publique. » Les seuls lieux où l’interdiction de fumer pourrait avoir un impact négatif important sont les salles de bingo situées en région, qui, de toute manière, avaient manifesté leur intention de bannir la fumée dans les cinq ans à venir.

« Au cours des dernières années, des lois et des règlements musclés ont été adoptés un peu partout dans le monde, afin d’étendre l’interdiction de fumer à un plus grand nombre de lieux publics et de milieux de travail, a expliqué le ministre Couillard, lors de la commission parlementaire. Dans ce domaine, nous sommes loin d’être des précurseurs, en fait, nous sommes à la remorque des autres provinces. » Bien qu’une baisse d’à peine un tiers de point de pourcentage soit nécessaire pour remédier aux coûts d’implantation de la nouvelle Loi sur le tabac, Philippe Couillard espère que la prévalence du tabagisme reculera assez pour permettre au Québec de rejoindre la moyenne canadienne – qui est de 5 % inférieure.

Josée Hamelin