La CIFCOT-2 pave la voie à un secrétariat de lutte antitabac pour la Francophonie

Les organisateurs français ont relevé leur défi avec brio. Du 18 au 21 septembre à Paris, la 2e Conférence internationale francophone sur le contrôle du tabac (CIFCOT-2) a remporté un bon succès, se soldant par un « Appel de Paris ».

Cette déclaration, entérinée par les délégués lors de la clôture, invite les pays francophones à mettre en vigueur les mesures préconisées par la Convention-cadre pour la lutte antitabac de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et à constituer un secrétariat permanent pour renforcer l’opposition à l’industrie du tabac et ses produits.

Pour la centaine de représentants canadiens, parmi les quelque 525 participants, la CIFCOT-2 fut l’occasion de partager leur avance dans la plupart des aspects de la lutte antitabac avec leurs homologues d’outre-mer. Cette conférence est une suite de la CIFCOT-1, tenue à Montréal en septembre 2002 à l’instigation de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. Le coordonnateur de la Coalition, Louis Gauvin, s’illustre d’ailleurs en tant que promoteur de l’appui aux pays francophones en matière de réduction du tabagisme.

Plutôt que de s’en tenir à présenter une conférence chaque trois ans, le comité scientifique de l’événement a convenu que la lutte antitabac des pays francophones avait besoin d’une structure permanente, avec du personnel à temps plein. Messieurs Gauvin, Gérard Dubois, Albert Hirsch, Inoussa Saouna et Mohktar Hamdi Cherif, bâtisseurs de la CIFCOT, ont été mandatés pour mettre sur pied un tel secrétariat, et pour voir à son financement. La Ligue nationale contre le cancer a accepté le principe de l’accueillir à Paris.

« La Francophonie nous offre un forum privilégié de solidarité. En permettant les échanges d’expériences entre l’Afrique, l’Amérique, l’Asie, l’Europe et le Pacifique, la conférence de Paris doit nous donner la capacité de faire triompher la santé publique sur ces intérêts marchands qui font peu de cas des vies qu’ils mettent en péril », a conclu, lors du principal discours d’ouverture de la CIFCOT, le Directeur général de la santé de France, Didier Houssin, en remplacement du ministre de la Santé et des Solidarités, Xavier Bertrand.

Les progrès français

M. Houssin a rappelé certaines réalisations de son gouvernement, incluant l’augmentation de plus de 40 % du prix des cigarettes depuis 2003, l’interdiction de la vente aux moins de 16 ans et le remboursement des consultations hospitalières de tabacologie.

Côté protection des non-fumeurs, toutefois, Didier Houssin n’a pas soufflé mot du non-respect de la loi Evin. Pilotée par l’ancien ministre Claude Evin et en vigueur depuis 1993, cette loi interdit de fumer dans tous les lieux collectifs, « sauf dans les emplacements réservés aux fumeurs ». Mais, a-t-on observé, la plupart des tables des restaurants et des bars sont munies d’un cendrier. Cet obstacle à la lutte antitabac française pourrait être éliminé d’ici quelques années. En mai 2005, le Ministère a commandé une étude en vue d’une interdiction totale. Pour sa part, un des vice-présidents de l’Assemblée nationale, Yves Bur, a déposé le 2 novembre une ébauche de législation pour bannir totalement le tabagisme des lieux publics intérieurs. Cependant, son initiative n’a pas encore été entérinée, ni par son parti, ni par le gouvernement.

Huit Français sur dix souhaitent une interdiction totale de fumer dans les lieux publics, selon un sondage Ifop/JDD paru le 9 octobre, soit 56 % des fumeurs et 88 % des non-fumeurs. Les succès italien, irlandais, scandinave et canadien dans ce domaine furent l’objet de plusieurs ateliers et de bien des conversations lors de la CIFCOT-2.

Solidarité internationale

Le thème de la Conférence, La solidarité francophone contre le tabac, a laissé place à une panoplie de sujets, de sorte que chaque délégué puisse se tailler un parcours selon ses spécialisations et intérêts. Les organisateurs ont toutefois privilégié les grands dossiers actuels en leur consacrant des sessions plénières. Le Nigérien Inoussa Saouna a pu ainsi révéler la perfidie des multinationales en Afrique, où les cigarettes sont présentées aux plus pauvres de la Terre comme un produit de riches. Le coprésident de la Conférence, Gérard Dubois, a décortiqué certaines manoeuvres honteuses de l’industrie française du tabac, maintenant qu’elle a été privatisée. Concernant le tabagisme passif, Pat Doorley a résumé le succès de la réglementation irlandaise alors que Stella Aguinaga Bialous a raconté toutes les embûches que l’industrie avait opposées aux lois pionnières de la Californie, il y a une dizaine d’années. Au sujet des causes judiciaires, Rob Cunningham a rappelé les progrès canadiens tandis que Francis Caballero a présenté quelques impasses françaises.

Durant la séance de clôture, le Belge Luk Joossens a présenté les avantages économiques de la baisse du tabagisme alors que le Canadien Neil Collishaw a prôné la collaboration Nord-Sud, et même Sud-Sud (entraide entre pays en développement) contre la pandémie du tabagisme. Les organisateurs ont aussi rendu un hommage à l’épidémiologiste anglais Richard Doll, décédé en juillet dernier. Enfin, la sous-directrice de l’OMS en charge des maladies non transmissibles, la Française Catherine Legales Camus, a insisté sur l’importance, pour la santé des peuples, de faire ratifier Convention-cadre par le plus grand nombre de pays possible, et de respecter ses mesures.

Avec le soutien du gouvernement français et du géant pharmaceutique Pfizer, cette 2e Conférence internationale francophone sur le contrôle du tabac était organisée par la Ligue nationale contre le cancer et l’Alliance contre le tabac. Les professeurs Albert Hirsch et Gérard Dubois en assumèrent la coprésidence. Quant à l’organisation quotidienne, elle relevait surtout d’Élisabeth Mahé-Tissot, de la Ligue, et du Montréalais Michel Petit, qui avait accompli une tâche similaire lors de la CIFCOT de 2002.

Les activités se tenaient à la Maison de la Chimie, une luxueuse demeure du 17e siècle, convertie vers 1930 en centre de congrès scientifiques. Doté d’une cour intérieure paysagère, ce lieu historique est situé dans le 7e arrondissement, entre l’Hôtel des Invalides et l’Assemblée nationale.

Tabac la conspiration

Les congressistes de la CIFCOT-2 ont eu droit à l’avant-première mondiale du documentaire franco-canadien Tabac, la conspiration, de la journaliste indépendante Nadia Colot. Réalisé par l’Office national du film (ONF) et Kuiv Production, le film de 90 minutes donne la parole à une vingtaine de spécialistes de la lutte antitabac sur trois continents, dont Stanton Glantz des États-Unis, Francis Caballero et Gérard Dubois de France, et plus près de nous, Heidi Rathjen et Louis Gauvin de la Coalition québécoise. Une rencontre secrète des fabricants, tenue en 1953, a été reconstituée. Le documentaire met en lumière les agissements des cigarettiers depuis plus d’un demi-siècle, notamment grâce à des témoignages d’anciens cadres. Au ton volontairement engagé, fruit de trois années d’enquête à travers le monde, Tabac, la conspiration a évidemment ravi l’auditoire de la CIFCOT-2. L’ONF envisage de le projeter initialement en salles au Canada.

L’Appel de Paris
  • Face à une industrie, dont la concentration des moyens financiers menace la santé publique et entrave, par la corruption, le développement des pays émergents;
  • Désireux de s’ouvrir à la dimension internationale, multiculturelle et plurilinguistique de la lutte contre le tabac;
  • Forts de la Déclaration de Montréal, adoptée en 2002 lors de la première Conférence internationale francophone sur le contrôle du tabac (CIFCOT-1) les 525 délégués représentant 33 pays de la Francophonie réunis à Paris à l’occasion de CIFCOT-2 adoptent, à l’unanimité, les deux résolutions suivantes :
    • la Convention-cadre de lutte antitabac de l’OMS (CCLAT) doit être ratifiée, transposée et appliquée par les gouvernements des pays de la Francophonie;
    • les opinions de ces pays, en particulier celles des pays d’Afrique, d’Asie et de l’océan Indien, doivent être mobilisées afin de mettre en oeuvre un plan d’action comprenant :
      • l’interdiction de toute publicité et de toute promotion des produits du tabac sous quelque forme que ce soit;
      • l’augmentation significative et répétée annuellement du prix de vente au détail des produits du tabac;
      • la protection totale des non-fumeurs par l’interdiction générale de fumer dans les lieux publics et les lieux de travail;
      • la mise à disposition auprès des fumeurs des méthodes d’arrêt du tabac scientifiquement validées;
      • l’information efficace des publics, en particulier les plus démunis, sur les effets du tabagisme sur la santé.
  • La Conférence mandate les présidents de CIFCOT-1, de CIFCOT-2, le président et le secrétaire permanent de l’Observatoire du tabac en Afrique francophone, de constituer et de financer un Secrétariat permanent francophone de lutte contre le tabac;
  • Ce secrétariat est chargé d’élaborer une stratégie francophone et de renforcer la collaboration mondiale face aux agissements de l’industrie du tabac, particulièrement dans les pays les plus vulnérables.

CIFCOT-2, Paris, le 21 septembre 2005

Denis Côté