La chicha : chic mais cancérogène

Vous mettez dix grammes d’un mélange à base de tabac et de mélasse ou de miel dans le fourneau de la pipe à eau (aussi appelée narguilé ou chicha); vous allumez le morceau de charbon dans le même fourneau; le charbon et le mélange brûlent, et vous aspirez une partie de la fumée avec un boyau.

Avant d’arriver à votre bouche, cette fumée passe à travers un litre ou un demi-litre d’eau. Le barbotage de la fumée n’empêche pas qu’après en avoir aspiré une bonne bouffée, vous aurez inhalé autant de particules fines de fumée, autant de monoxyde de carbone, autant de substances cancérogènes qu’en fumant une cigarette entière. Mais il vous faudra une vingtaine de bouffées pour fournir à votre cerveau une dose de nicotine égale à celle d’une seule cigarette. La personne accro à l’apport nicotinique soudain (shoot) d’une cigarette s’infligera donc plus de dommages qu’en fumant ladite cigarette, afin d’éprouver la même sensation. Et si elle y réussit, cela entretiendra sa dépendance physique à la nicotine.

À l’heure où la cigarette est un accessoire qui fait de moins en moins cool chez les jeunes et moins jeunes, le pneumologue Bertrand Dautzenberg et le journaliste Jean-Yves Nau, les auteurs de Tout ce que vous ne savez pas sur la chicha — d’où sont puisés les renseignements du premier paragraphe —, considèrent que la chicha profite de croyances en son caractère inoffensif qui sont loin de correspondre à la réalité. Des gens croient que l’eau du narguilé « lave » la fumée de ses particules fines et du goudron. Chez les étudiants français adeptes de la chicha, seulement 10 % envisagent d’arrêter, alors que 78 % de ceux qui fument la cigarette souhaitent décrocher de leur dépendance. Dautzenberg et Nau ne cherchent pas plus à interdire de fumer la chicha que les cigarettes, mais ils s’inquiètent de la banalisation rapide, en particulier chez les jeunes, d’une forme de tabagisme encore marginale il y a vingt ans, même dans les pays du pourtour méditerranéen. Le petit ouvrage de Dautzenberg et Nau, écrit sous forme de questions et agrémenté d’illustrations sérieuses ou amusantes, explique notamment comment fonctionne la pipe à eau, traite du contenu du mélange brûlé, de son étiquetage déficient, du caractère souvent convivial de la consommation, des effets sur le fumeur, du considérable volume de la fumée secondaire et tertiaire répandue, et des aides à apporter aux adeptes de la chicha. Le livre résume aussi quelques études sérieuses sur le sujet et contient de nombreuses références.

Tout ce que vous ne savez pas sur la chicha
Par Bertrand Dautzenberg et Jean-Yves Nau
144 pages, éditions Margauxorange, 2007 – www.margauxorange.com

Pierre Croteau