La cause judiciaire de la loi canadienne s’accélère

Quatre mois auront suffi aux parties pour faire entendre leurs témoins dans le procès-fleuve des trois grands fabricants de cigarettes canadiens contre le gouvernement fédéral.

Rappelons que l’industrie veut faire invalider la Loi sur le tabac adoptée en 1997, prétendant qu’elle empiète sur sa liberté d’expression. Elle soutient aussi que la Loi n’est pas conforme au jugement de la Cour suprême de 1995 laquelle, par un vote de 5 à 4, avait rendu inopérantes de nombreuses sections de la première loi antitabac, datant de 1988. La loi contestée bannit les commandites de même que la grande majorité de la publicité traditionnelle du tabac; elle permet l’adoption de règlements, comme celui obligeant les mises en garde illustrées sur les paquets. Cette cause est entendue tout au long de l’année 2002 devant le juge André Denis en Cour supérieure du Québec, dans la salle 15.03 du Palais de Justice de Montréal.

Sauf lors de son ouverture, le 14 janvier, peu de journalistes ont couvert le procès, malgré les communiqués fréquents et bien documentés de François Damphousse de l’Association pour les droits des non-fumeurs, offrant des résumés des témoignages les plus pertinents. André Noël de La Presse a toutefois signé des dossiers exceptionnels sur la publicité du tabac, basés surtout sur les travaux de Richard Pollay, professeur de marketing à l’Université de Colombie-Britannique et témoin crucial du gouvernement dans cette cause.

La partie défenderesse a aussi fait comparaître, entre autres, le Dr N.-Michèle Robitaille, de l’Université Laval, qui a traité des ravages du tabac et de la dépendance occasionnée par la nicotine, et le professeur Yves-Marie Morissette, de l’université McGill, qui a comparé les mesures législatives antitabac à travers le monde. À la fin mars, satisfait de l’allure du procès, la défense a surpris en annonçant qu’elle allait se passer de l’apport de 25 témoins pourtant préalablement acceptés. Cette retenue a accéléré considérablement l’échéancier.

Fait croustillant, le juge Denis a obligé un témoin de l’industrie, Ed Ricard d’Imperial Tobacco, à révéler le montant que le Conseil des Arts du Maurier versait en contribution au secteur de la photographie et celui qui était dépensé pour publiciser cette aide. Après recherches, M. Ricard a dû admettre que, l’an dernier, 39 333 $ avaient été accordés à cinq événements de ce secteur et que 1 104 000 $ furent consacrés à des annonces de la marque du Maurier comportant le slogan « La photographie, vue par les Arts du Maurier », soit 28 fois plus. Autre particularité, l’industrie a obligé la Cour à se transporter en Grande-Bretagne pendant une semaine, histoire d’entendre un prétendu spécialiste des avertissements de santé, Roderick Power, qui ne pouvait venir à Montréal, étant lui-même malade.

Après avoir entendu la preuve supportée par des témoins, le juge Denis a statué, au début de mai, que 254 des 274 documents soumis par le gouvernement ou la Société canadienne du cancer, sans l’apport d’experts en Cour, étaient recevables. L’industrie en aurait accepté beaucoup moins, tandis que la défense a porté appel concernant les 20 documents écartés. Le juge permet aussi à l’industrie de proposer sa propre « preuve extrinsèque ». Les avocats auront donc à débattre au cours des prochains mois de l’acceptabilité de ces documents et ensuite de la pertinence de leurs conclusions.

Les plaidoiries finales auront lieu cet automne et on peut s’attendre à ce  que le jugement soit rendu à la fin de 2002, ou au début de 2003. Il est probable que la partie perdante ira en appel, d’abord en Cour d’appel du Québec, puis en Cour suprême du Canada.

Fidèle observateur de cette cause, François Damphousse se dit confiant. « Le débat se déroule dans un contexte social qui a beaucoup évolué en notre faveur depuis 1989, remarque-t-il. Le témoignage de Richard Pollay, révélant des documents récents de l’industrie, démontre clairement que la publicité du tabac vise davantage à recruter des nouveaux fumeurs, essentiellement parmi les mineurs, qu’à faire changer de marques les adultes. Cela aura du poids. »

Denis Côté