La campagne de désinformation se poursuit au sujet du lien entre le cancer et la FTE

L’industrie du tabac a depuis longtemps compris la règle de base de la propagande : un mensonge simple, répété assez souvent avec suffisamment de conviction, l’emporte souvent sur une vérité compliquée.

On se souviendra sans doute de la campagne de désinformation entreprise au mois de mars dernier au sujet d’une importante étude réalisée sur la fumée de tabac dans l’environnement (FTE) par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), organisme affilié à l’Organisation mondiale de la santé (voir « Fausse controverse autour d’une récente étude de l’OMS sur la fumée secondaire »).

Le journal londonien Sunday Telegraph criait alors au scandale : « La plus importante organisation de santé au monde a refusé de publier une étude qui montre que non seulement il ne semble pas avoir de lien entre le tabagisme passif et le cancer mais que celui-ci pourrait même avoir un effet protecteur. »

Or, loin d’être cachée au fond d’un tiroir, cette étude avait déjà été soumise au prestigieux Journal of the National Cancer Institute, où elle vient de paraître (volume 90, numéro 19, 7 octobre 1998), accompagnée d’un éditorial confirmant le consensus de la communauté scientifique : « Lorsqu’on évalue toutes les preuves, dont les importantes nouvelles données rapportées dans ce numéro du Journal, la conclusion scientifique inéluctable qui s’impose est que la FTE constitue un cancérogène de puissance modeste pour les poumons (low-level lung carcinogen)»

Le risque supplémentaire d’un cancer du poumon calculé par les chercheurs du CIRC est de l’ordre de 16 % (pour les non-fumeurs exposés à la fumée secondaire de leur conjoint) ou de 17 % (pour ceux exposés en milieu de travail), ce qui est très proche du consensus scientifique d’environ 20 %. (En chiffres moins abstraits, une centaine de non-fumeurs meurent chaque année au Québec de cancers du poumon provoqués par leur exposition à la FTE.)

Mais pourquoi s’embarrasser de détails scientifiques lorsqu’on peut répéter un mensonge simple? Le jour même de la parution de l’article, le cigarettier américain Brown & Williamson, compagnie-soeur d’Imperial Tobacco, diffusait un communiqué de presse pour saluer les résultats de l’étude. Cette étude aurait permis de constater qu’il n’y a « aucune augmentation significative du risque de contracter un cancer du poumon chez les non-fumeurs exposés à la fumée de tabac ».

Le Sunday Telegraph a fait écho à cette interprétation, en répétant ses accusations de mars dernier : « L’Organisation mondiale de la santé a finalement publié une étude qui démontre qu’il n’existe aucun lien statistiquement significatif entre le tabagisme passif et le cancer du poumon. » L’affirmation du Telegraph est erronée : en fait, l’étude du CIRC ne démontre rien du tout de manière définitive. La marge d’erreur était trop grande pour trancher la question, mais les données relevées vont tout à fait dans le même sens que des dizaines d’autres études indiquant un lien entre la fumée secondaire et le cancer.

La Gazette de Montréal a enchaîné quelques jours plus tard en reprenant le 15 octobre dernier un article d’opinion du chroniqueur Lorne Gunter du Edmonton Journal (« Anti-smoking fanatics proved wrong », p. B3). Cet article nous donne une excellente occasion de revoir les absurdités avancées par nos opposants pour tenter de discréditer toute la recherche sur la FTE.

Tout d’abord, M. Gunter prétend que la plupart des études – des dizaines d’études effectuées au cours des 30 dernières années – démontrent peu ou pas de lien statistiquement significatif entre la FTE et le cancer du poumon. Une telle déclaration laisse évidemment croire que la FTE n’a aucun effet sur la santé.

Qu’est-ce que la communauté scientifique a réellement découvert à ce sujet? Une récente revue de littérature publiée dans le Journal of the American Medical Association révèle que seulement 37 % (39/106) des études sur la FTE n’ont pas été concluantes – et que 74 % (29/39) de ces études non concluantes ont été effectuées par des chercheurs affiliés à l’industrie du tabac.

M. Gunter prétend également que la communauté de la santé, avant d’en connaître les résultats, envisageait de présenter cette étude comme la confirmation définitive du lien entre la FTE et la maladie.

De toute évidence, M. Gunter connaît très mal le processus de recherche. En effet, c’est un principe cardinal de la recherche de ne jamais tirer de conclusion à partir des résultats d’une seule étude. Il ne devient possible de se prononcer sur la cause d’un problème que lorsqu’un ensemble de preuves devient assez robuste pour que le risque soit minime de se tromper en tirant des conclusions au sujet du rôle d’une exposition dans l’histoire naturelle d’une maladie. De plus, il n’est pas possible de conclure d’une manière définitive à la causalité à partir d’une étude cas-témoins comme l’est celle réalisée par le CIRC.

En ce qui concerne la FTE, l’ensemble des connaissances disponibles montrent bel et bien qu’il y a une association entre la FTE et plusieurs maladies, dont le cancer du poumon.

Le calcul du risque que constitue la FTE pour la santé représente également une cible de choix pour les attaques des militants pro-tabac. Ces derniers prétendent que le facteur de risque associé à l’exposition à la FTE n’est pas assez élevé pour justifier les politiques de contrôle du tabagisme dans les lieux publics et les lieux de travail. Comme le facteur de risque est un élément important du débat sur la FTE, voyons de quoi il s’agit au juste.

Le risque relatif est un indice utilisé en épidémiologie pour identifier et calculer la force de l’association entre des maladies et des causes possibles de maladie. Par exemple, quand on dit que, pour les non-fumeurs, le risque de cancer du poumon associé à la FTE est évalué à 1,17 pour les milieux de travail européens, ceci signifie que le risque de contracter le cancer du poumon est 17 % plus élevé chez les non-fumeurs ainsi exposés que chez les non-fumeurs qui ne sont pas exposés.

L’association entre l’exposition à la FTE et le risque de maladies cardiovasculaires et de maladies respiratoires est encore plus forte. Il est vrai que cette augmentation du risque est modeste par comparaison aux risques engendrés par la consommation du tabac. Par contre, comme presque tous les fumeurs sont exposés à la FTE, cette petite augmentation du risque provoque des milliers de cas supplémentaires de maladies mortelles chaque année.

Quand elle ne vient pas à bout des preuves scientifiques, l’industrie du tabac et ses alliés s’emploient à tourner en dérision le risque associé à la FTE. C’est ainsi que dans le cadre d’une campagne de publicité menée en Europe, l’industrie du tabac a cité hors contexte une étude pour faire croire que la consommation d’un verre de lait par jour augmente de 62 % le risque de cancer du poumon.

Comme plus de 8 cancers du poumon sur 10 sont provoqués par le tabagisme actif et qu’on a identifié un grand nombre d’agents cancérigènes dans la fumée de tabac, il devient ridicule d’évoquer le rôle qu’y tiendrait la consommation du lait. Les résultats de cette étude montrent tout simplement que, parmi les personnes souffrant d’un cancer du poumon provoqué par le tabac, certains boivent aussi du lait. La justice française a d’ailleurs jugé que cette campagne était mensongère et a condamné l’industrie du tabac à payer une amende substantielle.

En conclusion, qu’il s’agisse de nier l’effet dévastateur du tabagisme sur la santé humaine, la dépendance causée par la nicotine ou la publicité ciblant les jeunes, les militants pro-tabac n’ont jamais hésité depuis plus de 40 ans à recourir à la désinformation pour s’attaquer à toute mesure de contrôle du tabac. Pourquoi changeraient-ils de stratégie face à la question de la FTE? Il ne faut plus prêter foi à leurs propos; nous devons continuer à définir nos politiques de santé publique en fonction de conclusions fondées sur des résultats émanant de projets réalisés par des chercheurs indépendants.

François Damphousse, directeur québécois de l’Association pour les droits des non-fumeurs et membre du comité de rédaction d’Info-tabac

Fernand Turcotte, professeur au département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval