La bataille du tabac sur Internet

Le tabac a disparu des étalages, des revues, de la télévision et des festivals. Il est néanmoins encore bien présent sur Internet. Exploration de la place du tabac et du tabagisme sur le Web.

Internet nous réserve bien des surprises. Alors que les publicités pour les produits du tabac ont pratiquement disparu au Québec, la présence du tabac se fait sentir sur la toile. Que ce soit sur YouTube, Vimeo, Facebook, Google ou Twitter, quels messages en faveur des cigarettiers un adolescent peut-il trouver aujourd’hui sur Internet? Et, a contrario, quel espace occupe la lutte contre le tabagisme sur ce même réseau?

YouTube : beaucoup de vidéos style de vie

La plupart des chercheurs qui se sont intéressés à cette question ont regardé le site YouTube, particulièrement populaire auprès des jeunes. Lucy Elkin et son équipe y ont analysé plus de 160 vidéos de langue anglaise dont le titre référait à l’une des cinq marques de tabac les plus populaires. Le contenu de la majorité de ces vidéos était protabac, écrivent-ils dans Tobacco Control. C’est aussi ce que concluent Susan Forsyth et son groupe dans Nicotine and Tobacco Research après avoir analysé environ 125 vidéos sur YouTube qui comprenaient les mots clés « cigarettes » ou « smoking cigarettes».

Info-tabac a mené sa propre petite recherche sur les sites de vidéos YouTube et Vimeo. Première surprise : avec « tabac », les deux premières pages de résultats présentent presque autant de vidéos favorables que défavorables au tabac. Les résultats sont très différents avec « cigarette » : les deux premières pages comportent alors quatre à cinq fois plus de vidéos favorables au tabagisme. Dans la majorité des cas, il s’agit d’oeuvres musicales dont le titre ou le nom de l’interprète contient le mot « cigarette ». « Cela n’est pas banal, dit Mario Bujold, directeur général du Conseil québécois pour le tabac et la santé. Ces vidéos véhiculent un style de vie protabac, un peu comme l’usage du tabac dans les films et les émissions de télévision. » D’autres chercheurs, dont Susan Forsyth, considèrent aussi ces vidéos comme étant protabac, à moins d’une preuve claire du contraire (par exemple, une chanson dont les paroles enjoignent aux fumeurs de cesser). Enfin, les mots clés « cigarette électronique » et « chicha » rapportent des résultats presque unanimement favorables à ces produits. « Chicha », en particulier, génère beaucoup de tutoriels expliquant aux internautes comment fabriquer leur propre tabac ou appareil pour le fumer.

Vidéo protabac

Sur YouTube, règle générale, les vidéos qui appuient la lutte contre le tabagisme sont moins nombreuses que celles en faveur de l’industrie. Parmi elles, mentionnons une publicité énumérant les raisons de se libérer du tabac, montrant les effets du tabac sur les poumons ou rappelant que le tabagisme tue un fumeur sur deux.

Facebook : Wikipédia et cigarettes électroniques

D’autres chercheurs se sont intéressés à Facebook. Becky Freeman et Simon Chapman, par exemple, démontrent dans Tobacco Control que certains employés de British American Tobacco font activement la promotion des produits de leur entreprise sur ce site de réseautage. Cependant, rechercher « cigarette » ou « tabac » dans Facebook mène d’abord à des pages Wikipédia. En tapant « chicha » ou « cigarette électronique », par contre, un jeune arrive facilement sur les pages de commerces qui en vendent.

Google : groupes de santé et cigarettes électroniques

Dans Google, le moteur de recherche le plus populaire au monde, c’est la cigarette électronique qui prend le devant de la scène lorsqu’on tape le mot clé « cigarette ». Avec « tabac », cependant, les premiers résultats sont d’abord occupés par les groupes de lutte contre le tabagisme et les aides à la cessation tabagique.

Vidéo antitabac

YouTube compte davantage de vidéos favorables que défavorables au tabac. Parmi celles-ci, mentionnons les clips qui donnent des conseils pour rouler une cigarette, qui montrent Fred Caillou s’allumant une cigarette ou des fumeurs testant différentes marques de tabac.

Des cigarettiers discrets

Les cigarettiers eux-mêmes, enfin, sont assez discrets sur Internet. Par exemple, sur le site Web d’Imperial Tobacco Canada, la section « Nos marques » présente une liste de produits sans aucune image. Les sites canadiens dédiés à un produit, comme https://dumaurier.ca ou https://players.ca/, sont tout aussi sobres et bien loin des aguichantes publicités d’autrefois. Du côté américain, quelques marques ont des sites officiels, comme www.exportasmokes.com ou www.marlboro.com. Mais on doit s’enregistrer pour y surfer, ce qui exige notamment une adresse postale aux États-Unis. Sur Twitter, par contre, les cigarettiers ne se gênent pas pour dénoncer les mesures de lutte contre le tabagisme ou réclamer un rôle accru dans la lutte contre la contrebande. Enfin, mentionnons que certains vendeurs de cigarettes électroniques tentent de créer un sentiment d’appartenance chez leur clientèle. Sur le site Web de l’e-cigarette blu, par exemple (qui appartient au Groupe Imperial Tobacco), les internautes sont invités à se joindre à la « nation blu ». Manifestement, Internet et cigarettiers nous réservent encore quelques surprises!

La cessation sur Internet

Les interventions de cessation tabagique qui utilisent Internet sont-elles efficaces? L’étude Cochrane menée en 2013 a examiné 28 études qui avaient mesuré l’impact du Web sur la cessation tabagique à six mois ou plus. Conclusion : « certaines interventions qui utilisent Internet peuvent soutenir la cessation tabagique, particulièrement si elles sont interactives et taillées sur mesure. Par contre, les essais qui ont comparé les interventions sur Internet avec le soutien habituel ou l’autoassistance [self-help] ne montrent pas un effet constant et présentent des risques de partialité. D’autres recherches seront nécessaires. » (notre traduction).

Du côté des groupes de santé

Cela va de soi : les groupes qui luttent contre le tabagisme n’ont pas les mêmes budgets de communication que les fabricants de tabac. Seulement aux États- Unis, l’industrie dépense chaque heure plus de 900 000 dollars en marketing, rapporte Tobacco Atlas. Cela représente environ 21 millions de dollars par jour. Au Québec, la lutte contre le tabagisme bénéficie d’un budget total de 17,4 millions de dollars… par année (voir l’article en page 7). Cela dit, les groupes de santé prennent leur place sur Internet. Il y a bien sûr le site Web www. jarrete.qc.ca ainsi que le Réseau du sport étudiant du Québec, qui produit depuis une douzaine d’années des vidéos dénonçant les comportements de l’industrie du tabac. Les groupes de santé font aussi entendre leur voix sur Twitter. Enfin, le Défi J’arrête, j’y gagne! propose de nombreux outils en ligne à ses participants, dont le Mur des trucs (pour se libérer du tabac) accessible à l’année.

Anick Perreault-Labelle