La baisse du financement fédéral inquiète

Un document, obtenu en vertu de la Loi d’accès à l’information, confirme ce que plusieurs organismes avançaient, à savoir que le budget fédéral alloué aux campagnes médiatiques sur le tabagisme a été amputé de plus de 16 millions $ au cours des dernières années. Qu’est-il advenu de ces fonds?

Ils ont tout simplement été réaffectés vers les « nouvelles priorités gouvernementales » que constituent l’imputabilité, l’accès aux soins de santé dans des délais raisonnables, le choix accru en matière de garde d’enfants, la sécurité de nos rues et les baisses d’impôts.

De 2001-2002 à 2002-2003, le financement des campagnes médiatiques à grand déploiement a été bonifié de près de 800 000 $, passant d’environ 26,8 à 27,6 millions $. À partir de l’année suivante, une dégringolade s’est amorcée alors que seulement 10,8 millions $ ont été débloqués pour tout le pays. À Santé Canada, on affirme qu’aucune campagne n’a été touchée par ces coupures et qu’aucune n’a dû se terminer de manière impromptue. Toutefois, il y a lieu de penser que certains projets ont tout simplement été tués dans l’oeuf.

« En 2005-2006, Santé Canada a reçu 7 millions $, mais a été incapable de les dépenser à cause du moratoire décrété sur les publicités du ministère en raison de l’élection fédérale, explique l’agente des relations avec les médias, Renée-France Bergeron. Au cours des années 2006 et 2007, le ministère de la Santé fédéral s’attend à recevoir 5 millions $ pour financer ses publicités antitabac nationales. »

Le budget des campagnes de « mass media » n’est pas le seul à avoir subi un régime minceur. « Au cours de l’année 2005-2006, le financement du gouvernement fédéral pour la lutte contre le tabagisme aurait dû être de 110 millions $ ; or, il a été réduit à environ 60 millions $ », déplore la Coalition canadienne pour le contrôle du tabac – qui regroupe plusieurs organismes de santé – dans un mémoire présenté au Comité permanent des finances de la Chambre des communes, dans le cadre des consultations prébudgétaires de l’automne 2006.

Selon plusieurs experts, le scandale des commandites ne serait pas étranger aux compressions subies par le budget antitabac, car depuis, toutes les demandes de subventions – qui auparavant pouvaient être approuvées directement par le ministère duquel elles relevaient – doivent désormais passer par le Bureau du Conseil privé, lequel aurait le droit de vie ou de mort sur les projets qui lui sont présentés. De son côté, Santé Canada maintient que cette affaire n’a rien à voir avec les coupures actuelles.

Stratégie fédérale : 480 millions en 5 ans

Au printemps 2001, Santé Canada annonçait un investissement de plus de 480 millions $ pour la mise sur pied d’une Stratégie fédérale de lutte contre le tabagisme (SFLT). Cette somme allait servir à financer les programmes dont les résultats avaient été probants et plus de 40 % (soit 210 millions $) devaient être consacrés aux campagnes médiatiques, entre 2001 et 2006.

Accompagnée d’objectifs mesurables sur 10 ans (d’ici 2011), la SFLT prévoyait entre autres réduire la prévalence de l’usage du tabac de 25 à 20 %, le nombre de cigarettes vendues de 30 % et augmenter le ratio de détaillants qui ne vendent pas de tabac aux mineurs de 69 à 80 %. Puisque plusieurs de ces objectifs ont été atteints à mi-échéance – la proportion de fumeurs canadiens est maintenant de 18 %, et 80,8 % des commerces refusaient de fournir des cigarettes aux jeunes de moins de 18 ans en 2005 – certains intervenants craignent que les progrès accomplis ne fassent croire au gouvernement que la lutte est terminée.

Le directeur du bureau québécois de l’Association pour les droits des non-fumeurs, François Damphousse, estime que le financement fédéral doit être maintenu : « Tout relâchement dans les efforts déployés pour lutter contre le tabagisme aura pour effet de nuire aux progrès enregistrés au cours des 10 dernières années. » À titre d’exemple, il rappelle que le recul des taxes sur le tabac, en 1994, a causé une augmentation de la consommation chez les jeunes.

Coûts sociaux du tabagisme

Selon une étude réalisée par le Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies en 2002, le tabagisme coûterait plus de 17 milliards $ par an à la société. En dépit de la contrebande, le gouvernement fédéral perçoit encore près de 3 milliards $ chaque année en taxes sur le tabac, et en retourne environ 2 % à la lutte contre le tabagisme. Pendant ce temps, les cigarettiers, eux, dépensent annuellement quelque 100 millions $, seulement pour exposer leurs produits dans les dépanneurs. Ensemble, leur chiffre d’affaires dépasse 2 milliards $.

Josée Hamelin