Interdire le tabagisme dans un immeuble résidentiel? Pas si simple!

La Régie demande encore qu’un propriétaire justifie l’interdiction de fumer
Les propriétaires québécois qui souhaitent interdire complètement l’usage de la cigarette dans leurs immeubles à logements risquent de rencontrer quelques problèmes.

Certes, ils peuvent changer les conditions d’un bail lorsque celui-ci arrive à échéance; par exemple, interdire le tabagisme dans un logement. Ils doivent néanmoins justifier ces changements. Voici le témoignage d’une propriétaire qui loue uniquement à des non-fumeurs et un survol des jugements des tribunaux sur ce sujet.

Un quintuplex sans fumée

Le quintuplex de Chantal Besnard, situé dans la municipalité de Deux-Montagnes, en banlieue de Montréal, est officiellement sans fumée depuis 2008. « J’ai aménagé dans un des logements de mon immeuble au moment de l’achat, en 2004, dit-elle. J’ai alors découvert que la fumée des autres locataires s’infiltrait jusqu’à chez moi. »

Mme Chantal Besnard, propriétaire d’un quintuplex sans fumée à Deux-Montagnes

Ce parcours de la fumée n’est guère étonnant : dans un immeuble résidentiel, elle vogue facilement d’un logement à l’autre par les fenêtres, les conduits de ventilation ou le système de plomberie. Les non-fumeurs en subissent alors l’odeur et les contaminants. Les particules toxiques issues de la combustion s’accrochent aux meubles et aux tissus et peuvent persister des semaines dans l’environnement, voire des mois. « Je n’aimais pas respirer cette fumée, notamment parce que je suis fragile des bronches, dit Chantal Besnard. C’est à ce moment-là que j’ai décidé que mon immeuble serait sans fumée. »

Le problème : en 2004, personne ne sait vraiment ce qu’un propriétaire a le droit de faire pour limiter la fumée de tabac dans son bâtiment. « Je n’osais pas demander à ceux qui voulaient louer chez moi s’ils fumaient, se rappelle Mme Besnard. J’essayais de voir si leurs doigts étaient jaunes, de sentir leur haleine ou de remarquer s’ils avaient un paquet de cigarette ou un briquet. »

Avec le temps, cette évaluatrice d’immeuble s’est débarrassée de ses locateurs accros au tabac. « La plupart sont partis d’eux-mêmes », dit-elle. Le dernier fumeur a quitté à l’automne 2007 et, dès 2008, Chantal Besnard a refait ses baux en y indiquant qu’« il est strictement interdit de fumer […] dans le logement, dans les aires communes et sur le terrain ». Et, à partir de ce moment-là, elle a affiché son immeuble comme sans fumée.

Cela dit, elle a encore un locataire… qui fume. « Il est au courant des règles et il les apprécie, probablement parce que cela réduit sa consommation, dit Chantal Besnard. Je l’ai surpris une fois en train de fumer sur le terrain et je lui ai rappelé ses obligations. Maintenant, quand il veut consommer du tabac, il va faire une marche dans le quartier. »

Immeubles sans fumée : une option populaire

Chantal Besnard va plus loin que la Loi sur le tabac du Québec. De fait, en ce qui concerne les bâtiments résidentiels, la loi interdit uniquement de fumer dans les aires communes des immeubles de six logements ou plus.

À travers l’Amérique du Nord, de plus en plus de propriétaires font comme Chantal Besnard : sans attendre la législation, ils chassent la fumée de leurs bâtiments résidentiels. Au Manitoba, par exemple, la firme Globe General Agencies gère environ 6000 appartements sans fumée. L’usage du tabac y est interdit dans les appartements, les balcons et l’ensemble du terrain. Au Minnesota, au nord des États-Unis, l’association Live Smoke Free recensait 450 immeubles avec des logements non-fumeurs au printemps 2011. Au Québec, un sondage mené en janvier 2010 par la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec indique que 35 % des propriétaires ont l’intention d’interdire la cigarette à leurs nouveaux locataires.

La tendance est réelle : de plus en plus de gens souhaitent vivre dans des immeubles sans fumée. À tel point que l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF) a créé ce printemps un site Web qui indique comment procéder pour mettre en place une politique sans fumée et les avantages de le faire.

Ce que dit la loi

Malgré l’intérêt du public, la législation québécoise n’est pas encore claire sur l’interdiction de fumer dans les habitations. Les perspectives sur cette question ont toutefois évolué depuis le procès Koretski contre Fowler, en 2008. Dans cette affaire, la propriétaire Olesia Koretski, enceinte et asthmatique, a d’abord porté plainte à la Régie du logement du Québec parce que sa locataire, Sandra Ann Fowler, fumait dans son logement. Les deux femmes s’étaient pourtant mises d’accord sur la base d’un formulaire indiquant que les animaux et les fumeurs étaient interdits. La Régie a toutefois conclu que ce formulaire ne garantissait aucun droit, notamment parce qu’il n’était pas intégré au bail.

Cette décision a cependant été renversée en appel par la Cour du Québec. Pour la cour, l’interdiction de fumer apparaissait clairement sur le formulaire et Mme Fowler était présumée l’avoir lue. En effet, elle et Mme Koretski avaient convenu de rayer l’interdiction d’animaux y apparaissant. Sans compter que Mme Koretski avait démontré les inconvénients que lui occasionnait la fumée. Bref, la cour a jugé que Mme Fowler devait cesser de fumer dans son logement, tel que convenu, ou déménager.

En 2009, la Régie s’est prononcée dans une autre cause liée à la fumée de tabac. Elle a jugé qu’une propriétaire pouvait interdire la cigarette à un locataire puisqu’elle avait appris, depuis la signature du bail, qu’elle souffrait d’une maladie respiratoire chronique et qu’elle devait se protéger de la fumée de tabac. Par contre, la Régie a ordonné  à cette propriétaire de compenser la perte de jouissance de son locataire en lui accordant un rabais de 7 % sur le prix de son loyer.

En 2009, dans une autre décision, la Régie a toutefois refusé que le logement d’une fumeuse devienne sans fumée. « Un tel changement ne peut être autorisé, à moins que le comportement de la locataire [fumer] ne constitue un risque majeur pour la sécurité et l’intégrité des lieux, note le régisseur. Or, une telle preuve n’a pas été faite. »

La Commission de la location immobilière de l’Ontario –(l’équivalent de la Régie du logement québécoise)– semble toutefois plus favorable à l’air pur. Dans la cause Feaver contre Davidson, entendue en 2003, elle a déterminé qu’un propriétaire a le droit d’expulser un fumeur si celui-ci nuit à sa jouissance des lieux. Voici le raisonnement de l’arbitre : « Il n’y a pas si longtemps […], les gens fumaient comme si c’était un droit inaliénable. […] Cela aurait été jugé inhospitalier de refuser qu’un invité fume et chacun avait certainement le droit de fumer dans sa propre résidence. […] Ce n’est plus le cas. […] Il est clair que les risques associés au tabac sont si graves qu’il est prudent d’éviter l’inhalation de fumée de cigarette. […] Même si le locataire peut choisir d’accepter les risques associés au tabac, il n’a pas le droit d’exiger que le propriétaire partage ces risques. »

« Il y a une éducation à faire auprès des régisseurs québécois, remarque François Damphousse, directeur du bureau québécois de l’ADNF. Ils doivent comprendre que les locataires ont le droit à un environnement sain et sécuritaire et qu’on peut interdire la fumée secondaire de manière préventive. C’est ce qu’on fait dans tous les milieux de travail québécois depuis 2006! » Certains soutiendront qu’interdire la cigarette dans le foyer est une ingérence inacceptable dans la vie privée. Pourtant, on n’hésite pas à restreindre le droit au bruit alors que celui-ci cause bien moins de problèmes de santé que la fumée secondaire.

Trois bonnes raisons de créer un immeuble sans fumée
Il y a une demande

Selon un sondage pancanadien, réalisé par Harris/Décima pour le compte de Santé Canada en 2007, 46 % des Canadiens préféreraient vivre dans un immeuble où il serait interdit de fumer partout : dans les logements, sur les balcons, dans les aires communes et sur les terrains.

Les appartements sans fumée sont plus propres et se dégradent moins rapidement.

La combustion du tabac laisse des traces jaunâtres sur les murs, une odeur difficile à déloger, voire des marques de brûlures sur le plancher ou les comptoirs. Le terrain d’un immeuble fumeur risque aussi davantage d’être jonché de mégots.

Les immeubles sans fumée ont un risque moindre d’incendie.

Selon le ministère de la Sécurité publique du Québec, les articles pour fumeurs – principalement des cigarettes – sont la première cause des incendies mortels dans les résidences, devant les appareils de cuisson et les appareils de chauffage.

Anick Perreault-Labelle