Interdiction complète du tabac dans les prisons québécoises

L'interdiction complète du tabac dans les prisons du Québec est une demande qui provient des agents correctionnels : plusieurs d'entre eux préfèrent encore affronter un prisonnier en sevrage que recevoir un diagnostic de cancer.
L’interdiction complète du tabac dans les prisons du Québec est une demande qui provient des agents correctionnels : plusieurs d’entre eux préfèrent encore affronter un prisonnier en sevrage que recevoir un diagnostic de cancer.
Les détenus québécois et les agents qui les surveillent respireront bientôt un air moins pollué.

Dans les prisons, l’air pur est aussi rare que la liberté. Que ce soit au Québec ou ailleurs, pas moins de 70 % à 80 % des détenus fument, selon différentes études.

Cet air vicié affecte autant la santé des prisonniers que celle des agents de sécurité qui veillent sur eux. Le Québec a donc annoncé en avril dernier l’interdiction complète du tabac dans l’ensemble de ses établissements de détention, répondant ainsi à une revendication de longue date des gardiens. Désormais, la fumée de tabac sera prohibée à l’intérieur et à l’extérieur des prisons et cela autant pour les détenus que pour les employés. La mesure est déjà en vigueur dans les établissements de Sept-Îles et de Percé et sera étendue à l’ensemble du réseau carcéral au printemps 2014.

Le Québec rattrape ainsi le reste du Canada puisque toutes les provinces canadiennes, de même que le gouvernement fédéral, proscrivent déjà le tabac dans leurs prisons. C’est le constat que fait une étude de 2010 de l’Institut national de santé publique du Québec. (INSPQ). Mieux encore : contrairement à certaines prédictions, cela n’aurait pas entraîné de hausse importante de violence parmi les détenus.

Selon le ministère de la Sécurité publique (MSP), l’initiative québécoise coûtera environ deux millions de dollars en thérapies de remplacement de la nicotine (TRN), en collations santé et en accompagnement des fumeurs par le personnel infirmier, entre autres. Mais elle engendrera aussi probablement des économies encore plus importantes en coûts reliés à la santé.

L’interdiction partielle : un échec

Le Québec avait déjà complètement interdit le tabac dans ses prisons, en 2008. Cependant, à la suite d’une manifestation de détenus, le gouvernement avait rapidement renoncé à cette prohibition. Plus précisément,  il avait seulement maintenu l’interdiction de fumer à l’intérieur. Mais cette demi-mesure n’avait guère eu l’effet escompté d’assainir l’air des établissements de détention. En effet, selon l’INSPQ, 93 % des prisonniers dépendants du tabac ont continué à fumer à l’intérieur et moins de la moitié d’entre eux ont été sanctionnés pour cela! Puisque les prisonniers pouvaient conserver leurs cigarettes en tout temps, l’application du règlement était extrêmement difficile, expliquent les experts.

Avec la prohibition complète, « les détenus continueront à fumer à l’intérieur, mais auront plus de difficultés à le faire », écrit Serge Brochu, professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal et coauteur de l’étude de l’INSPQ. En effet, il ne faut pas oublier que plusieurs détenus consomment de la drogue, même si cela est interdit. En ce qui concerne le tabac, « les nouvelles règles permettront aux gardiens de saisir les réserves des détenus, ce qu’ils ne pouvaient pas faire auparavant », ajoute le professeur.

Le Québec est la dernière province canadienne à interdire complètement le tabac dans ses établissements de détention, rapporte une étude de l’Institut national de santé publique du Québec.
Le Québec est la dernière province canadienne à interdire complètement le tabac dans ses établissements de détention, rapporte une étude de l’Institut national de santé publique du Québec.
Une pratique cruelle? Pas pour tous

Cette décision gouvernementale en a choqué plusieurs. Il s’agit d’« une pratique cruelle à l’égard des personnes qui n’ont pas choisi d’aller en prison ni de cesser de fumer », écrivait dans Le Devoir Denis Boivin, un criminologue à la retraite. Pourtant, la Cour d’appel fédérale a jugé en 2010 que le Service correctionnel du Canada avait le droit d’interdire complètement  le tabac dans ses institutions carcérales. En résumé, cette prohibition n’est pas une atteinte à la « liberté  de fumer », mais plutôt une façon d’offrir un air sain aux détenus et aux gardiens. tout en aidant les prisonniers qui fument, mais souhaitent écraser, c’est-à-dire près de la moitié d’entre eux, calcule l’INSPQ.

Cette prohibition n’est pas une atteinte à la « liberté de fumer », mais plutôt une façon d’offrir un air sain aux détenus et aux gardiens.

Plus de violence? Pas nécessairement!

Cette nouvelle interdiction soulève d’autres craintes. Ainsi, certains prédisent que l’absence de tabac entraînera du stress pour les prisonniers et, en conséquence, augmentera le niveau de violence dans les prisons. Mais, selon certaines études, le mécontentement des détenus privés de tabac se transforme rarement en émeute. Ainsi, selon un projet pilote de sept mois, mené à l’établissement de détention de Chicoutimi, la disparition du tabac n’a entraîné « aucun événement  majeur » tandis que « la clientèle carcérale a plutôt bien collaboré », écrit Clément Falardeau, porte- parole du ministère de la Sécurité publique. Une autre recherche, réalisée auprès de 50 établissements de détention américains en 1993, arrive aux mêmes conclusions. toutes les prisons qui, à l’époque, avaient déjà banni le tabagisme « ont rapporté peu de problèmes, disant que “leur seul regret est de ne pas l’avoir fait plus tôt” » [notre traduction], écrivent les chercheurs Michael vaughn et Rolando del Carmen dans Crime & Deliquency. Au Québec, les agents correctionnels préfèrent quant à eux affronter un prisonnier en sevrage que recevoir un diagnostic de cancer. « Cest plus facile à gérer », a confié l’un d’eux à l’hebdo montérégien Les deux rives, en avril.

La disparition du tabac dans les prisons n’a qu’un défaut : elle risque de favoriser le marché noir. « Lorsque les produits du tabac sont interdits […], ils deviennent le principal article de la contrebande, écrivent Michael vaughn et Rolando del Carmen. [Mais] les administrateurs correctionnels y voient un aspect positif parce que l’alcool, la cocaïne, la marijuana et les armes à feu deviennent alors moins un problème. » [notre traduction] Encore mieux : la prohibition complète dans les prisons québécoises va diminuer la quantité de tabac qui circule dans le réseau carcéral, ce qui devrait contribuer à réduire sa vente sur le marché noir. Pour le plus grand bien des prisonniers et de leurs gardiens.

Anick Labelle