Infimes traces de du Maurier dans la rentrée culturelle à Montréal

Depuis quelques mois, Imperial Tobacco mène une envahissante campagne publicitaire en faveur des Arts du Maurier. On pourrait s’imaginer, à la vue de tous ces panneaux et annonces sur fond noir, que la culture au pays ne survit que grâce à la généreuse contribution des fumeurs de du Maurier. Qu’en est-il dans les faits?

Dans tout le Canada, c’est à Montréal que l’appui aux commandites du tabac semble le plus fort. Montréal est aussi le siège social d’Imperial Tobacco et du Conseil des Arts du Maurier, lesquels ont le même directeur général, R. Donald Brown. L’aide financière du Conseil des arts du Maurier est destinée principalement aux arts de la scène.

Pour bien saisir l’importance réelle de l’appui des fabricants de cigarettes à la culture (essentiellement de du Maurier), Info-tabac a analysé le contenu des annonces d’organismes de la scène dans trois cahiers spéciaux de la rentrée culturelle, publiés à Montréal à la fin d’août. Que cela soit du premier coup d’oeil, ou après un inventaire rigoureux des annonces, il est manifeste que la saison culturelle 1997-98 s’amorce à Montréal sans le parrainage du tabac.

Le 28 août, l’hebdomadaire gratuit Voir, de même que son pendant anglophone Hour, comportaient un supplément sur la rentrée culturelle. La Presse du samedi 30 août faisait de même. Ces 112 pages de textes et surtout d’annonces couvrent abondamment les principales activités culturelles de la région de Montréal.

Un total de 62 organismes différents de la scène ont publié des annonces dans ces suppléments, en comprenant les spectacles de variétés, le théâtre, la danse, l’opéra et la musique. Les colloques, le cinéma, les cours, les écoles, les expositions, les librairies, les musées et les événements hors de la région de Montréal ont été exclus de notre étude (aucun de ces autres annonceurs ne semblait d’ailleurs être lié aux fabricants de cigarettes).

Sur ces 62 organismes de la scène, pas moins de 57 (92 %) ne font aucun état dans leurs annonces d’appui quelconque de l’industrie du tabac; 24 (38 %) révèlent l’appui de commanditaires hors tabac tandis que 33 (53 %) semblent se passer de toute commandite. Quatre organismes ont dû reproduire dans leurs annonces le nom de du Maurier, suite à un appui marginal d’Imperial Tobacco.

Un seul annonceur semblait vraiment être redevable aux Arts du Maurier : la compagnie de création lyrique Chants Libres, qui a présenté en septembre, à la Salle du Théâtre Espace Go, un opéra pour voix et bande électroacoustique intitulé Yo soy la desintegración. (Cet appui de du Maurier n’a peut-être pas eu les retombées artistiques souhaitées – le critique musical de La Presse, Claude Gingras, a qualifié l’opéra d’ « échec à peu près total » et s’est plaint qu’il s’était ennuyé comme rarement dans sa vie.)

Organismes asservis par du Maurier

Les annonces exemptes du nom du Maurier font sans doute état d’événements indépendants de l’argent du tabac. En effet, selon l’annexe A de la demande de financement aux Arts du Maurier, les organismes commandités, en moyenne de 10 000 $ par année, s’engagent à toute une série d’actes de reconnaissance envers cette marque de cigarettes.

Non seulement la publicité destinée aux journaux doit inclure le nom et le logo de du Maurier, mais toute publicité ou message d’intérêt public à la radio doit reconnaître l’implication de du Maurier, en plus d’être approuvé par du Maurier. Il en est de même pour la publicité télévisée.

Les membres de l’organisme doivent mentionner l’implication de du Maurier dans les entrevues aux médias. Si une conférence de presse annonce l’événement, l’organisme doit reconnaître la participation de du Maurier (qui met « gratuitement » à sa disposition des bannières, des affiches, des enseignes et des drapeaux) et doit permettre à un des porte-parole du cigarettier de prononcer une allocution.

Ce n’est pas tout. L’organisme doit fournir à du Maurier une page complète dans le programme de l’événement et faire apparaître le nom et le logo de du Maurier dans les remerciements. Évidemment, les brochures et dépliants doivent reproduire le nom et le logo de du Maurier, dans un format de présentation accepté. Les groupes doivent concéder à du Maurier le droit de s’opposer à tout événement médiatique ou social relié au projet.

Dans leurs demandes de subvention, les organismes doivent soumettre sept documents à du Maurier, dont un plan de publicité et de promotion incluant l’annexe A, la liste complète des membres du conseil d’administration et une copie du plus récent état financier vérifié. Tout ça pour une subvention moyenne de 10 000 $.

Selon la publicité pleine page d’Imperial Tobacco publiée dans une foule de magazines, ou celle placée dans les transports en commun et au-dessus des comptoirs de cigarettes, du Maurier est « Fière de commanditer 63 événements culturels au Québec durant la saison 1997-1998 ». Elle devrait plutôt clamer être « Fière d’asservir 63 événements culturels au Québec durant la saison 1997-1998 ». De ces 63 événements, aussi peu que quatre ont figuré dans les trois cahiers de la rentrée analysés.

Il serait intéressant de savoir de combien de fois la campagne de fierté d’Imperial Tobacco dépasse les subventions réellement versées aux événements culturels. Ou encore de calculer la valeur publicitaire de la « reconnaissance » exigée des organismes, en retour de cette « aide » à la culture.

Denis Côté