Imperial Tobacco demande aux gouvernements de mettre fin à la contrebande autochtone

Un fumeur québécois sur six achète ses cigarettes en contrebande, selon un sondage tenu en mai et juin dernier pour le compte d’Imperial Tobacco Canada (ITC). Et pas moins de 95 % de ces produits illégaux proviendraient de réserves autochtones, dont les deux tiers dans des emballages sans marque, comme des sacs de type Ziploc.

Au Québec et en Ontario, le géant canadien du tabac perçoit désormais le marché noir comme son principal concurrent. D’après l’enquête de GfK Research Dynamics, menée auprès de 2 300 fumeurs de cigarettes canadiens, les produits d’ITC occuperaient 42 % du marché québécois, suivis par le marché noir à 22 %, les marques de JTI-Macdonald à 18 %, celles de Rothmans Benson & Hedges à 14 %, puis les autres à 4 %. Même si « seulement » 18 % des fumeurs québécois optent pour des cigarettes de contrebande, leur consommation représenterait 22 % du marché, car ils boucanent plus que les acheteurs de produits légaux.

Ce sondage fut dévoilé à Gatineau le 14 octobre, à l’occasion du 51e congrès annuel de l’Association des détaillants en alimentation (ADA) du Québec. Le président d’ITC, Benjamin Kemball, a insisté pour que les gouvernements agissent en territoire autochtone, de manière à obtenir des conditions de compétition équitables dans le marché du tabac.

« Les objectifs de santé visés par différentes politiques gouvernementales sont compromis par l’augmentation du commerce illicite. Les produits hors de contrôle ne sont pas conformes à la réglementation en ce qui concerne les messages de santé, la divulgation des ingrédients, la mesure des émissions toxiques et les critères en matière de potentiel d’allumage réduit », a-t-il fait valoir. Le problème ne peut être résolu sans la collaboration des gouvernements voisins du Québec et en particulier de celle du gouvernement fédéral, juge M. Kemball. Sa compagnie considère qu’Ottawa a amplifié le problème en octroyant 21 permis de fabrication de cigarettes aux réserves autochtones.

En Ontario et au Québec

Le sondage commandité par ITC révèle que la contrebande se manifeste essentiellement en Ontario et au Québec, avec respectivement 23,5 et 22,2 % des cigarettes consommées dans chaque province. Ailleurs au pays, cette proportion va de 0,7 à 4,5 % seulement. Paradoxalement, la taxation provinciale du tabac est beaucoup plus basse au Québec et en Ontario, justement pour limiter le marché noir.

En plus de faire perdre des centaines de millions $ en revenus aux gouvernements et aux entreprises légales, le commerce illicite du tabac alimente en argent des réseaux de criminels qui s’adonnent au trafic des drogues, de l’alcool et des armes à feu, déplore Imperial Tobacco Canada. Quant au président de l’ADA, Florent Gravel, il n’a pas fait de détours : « Tant que le gouvernement n’osera pas pénétrer sur les réserves, on va avoir une contrebande. »

Loin de contester les chiffres ou même les conclusions du cigarettier, l’organisme Médecins pour un Canada sans fumée estime qu’Ottawa devrait avoir honte que les données les plus fiables en matière de contrebande proviennent de l’industrie du tabac, et non des corps policiers. « Les gouvernements fédéral et provinciaux hésitent à agir pour endiguer cette contrebande croissante par crainte de provoquer une confrontation, considère Neil Collishaw, son directeur de la recherche, mais il n’y a pas de manière, sans confrontation, de mettre de l’ordre dans le marché du tabac. »

Contrairement à ce qui prévalait au début des années 1990, lors de la crise de la contrebande qui a mené à la chute des taxes de février 1994, le commerce illicite est maintenant autant répandu dans les deux grandes provinces. Il y a une quinzaine d’années, le problème sévissait surtout au Québec, où le gouvernement estimait qu’il occupait environ 60 % du marché.

Autre différence notable : à l’époque, les autorités semblaient inactives devant l’alimentation du marché noir par les trois grands cigarettiers. Aujourd’hui, seule la contrebande autochtone demeure tolérée par les pouvoirs publics, en particulier celle qui provient des réserves mohawks situées près d’Oka, de Châteauguay et de Cornwall.

Denis Côté