Imperial Tobacco débarque à Rimouski

Cause Létourneau entendue en cour des petites créances : pour la première fois dans l’histoire du Québec et du Canada, un cigarettier a été obligé de se défendre en cour contre une poursuite civile mettant en cause son rôle de vendeur de nicotine.

L’événement historique s’est déroulé le 16 décembre à Rimouski, à la Cour du Québec, division des petites créances, et le montant directement en jeu était tout à fait symbolique. L’ex-fumeuse Cécilia Létourneau, appuyée par la Régie régionale de la Santé et des Services sociaux du Bas-Saint-Laurent, réclamait quelque 300 $ d’Imperial Tobacco pour le coût des timbres de nicotine dont elle a dû se servir pour l’aider à s’affranchir de sa dépendance. (Voir notre numéro de septembre.)

Le principal fabricant canadien de cigarettes n’a pas lésiné sur les moyens pour se défendre et pour tenter d’influencer l’opinion publique de la région rimouskoise. À part Ed Ricard, cadre d’Imperial Tobacco venu de Montréal pour plaider la cause de la compagnie, trois avocats de l’industrie ont assisté aux procédures. (En cour des petites créances, on ne peut se faire représenter par un avocat, mais on peut se faire conseiller.) On a aussi fait venir deux experts en toxicomanie pour mettre en doute l’existence de l’accoutumance à la nicotine.

Il y avait en plus des relationnistes, Michel Descôteaux en tête, pour tenter d’influencer la couverture médiatique. Le jour précédant le procès, on a annoncé l’annulation de contrats de commandite avec le FestiJazz de Rimouski et avec le Théâtre des gens d’en bas à cause de la loi C-71 au fédéral.

« Le moment choisi pour faire l’annonce n’avait rien d’une coïncidence, déplore Me Rob Cunningham de la Société canadienne du cancer, venu lui aussi assister au procès. C’était un coup de relations publiques. » Pour Imperial Tobacco, en effet, il est bien préférable qu’on parle de la santé des événements culturels que de la santé des fumeurs « accrochés » par la nicotine.

En cour, le cigarettier a eu recours à la stratégie habituelle de l’industrie internationale face aux poursuites civiles – il a accusé Mme Létourneau de vouloir faire payer à la compagnie les conséquences de ses choix personnels. Imperial Tobacco a continué de nier l’existence de la dépendance physiologique à la nicotine; mais si une telle dépendance existe réellement, on ne peut lui reprocher de ne pas en avoir averti Mme Létourneau avant qu’elle se mette à fumer en 1964, puisque même le Surgeon General américain n’a publié son premier grand rapport à ce sujet qu’en 1988.

Rappelons que les documents internes de British American Tobacco (BAT), la compagnie-mère d’Imasco, et de Brown & Williamson, la compagnie-soeur américaine, indiquent que les chercheurs du groupe BAT avaient conclu dès 1963 que la nicotine crée une dépendance et que c’est cette dépendance qui crée le marché de la cigarette.

Au total, les interrogatoires, contre-interrogatoires et plaidoiries ont duré sept heures, malgré le choix de la plaignante de ne pas contre-interroger les témoins experts appelés par Imperial Tobacco.

D’après Marie-Josée Pineault, agente de planification et de programmation sociosanitaire à la Régie, les représentants du cigarettier ont tout de même été respectueux envers Mme Létourneau et n’ont pas employé de tactiques « à l’américaine » pour la discréditer. Mme Pineault se réjouit surtout de l’effet sensibilisateur du procès, qui a eu beaucoup de retombées médiatiques, tant dans le Bas-Saint-Laurent que dans tout le Québec.

Le juge a pris la cause en délibéré, et il n’y aura probablement pas de jugement avant au moins plusieurs semaines, voire quelques mois.

Francis Thompson