Heather Crowe n’est plus, mais son héritage restera

Le 22 mai, Heather Crowe, cette serveuse non-fumeuse devenue militante antitabac, a perdu sa bataille contre le cancer du poumon. Mais puisque son décès est survenu moins de dix jours avant l’entrée en vigueur des lois québécoise et ontarienne protégeant les travailleurs des restaurants et des bars de l’exposition à la fumée de tabac, on peut tout aussi bien dire qu’elle l’a gagnée. Pour souligner son oeuvre, nous vous présentons des extraits de l’hommage prononcé lors de ses funérailles à Ottawa.

Il y a quelques années, Heather Crowe aurait été la première à dire que sa vie n’était pas extraordinaire. Étant elle-même une femme ordinaire avec un emploi ordinaire, elle aspirait à une retraite paisible. Lorsque Heather a appris qu’elle serait forcée de prendre une retraite qui ne serait ni longue, ni paisible, elle est devenue une femme extraordinaire. Par sa mort, elle a fait une différence pour la vie.

Troisième d’une famille de sept enfants, Heather est née en Nouvelle-Écosse. La carrière, qu’elle a débutée à Toronto et terminée à Ottawa, a fini par la tuer. Pendant 40 ans, elle a servi de la nourriture, versé des boissons et essuyé des tables, mais 39 de ces années se sont déroulées dans des établissements où, comme elle le décrivait, « l’air était bleu de fumée ».

Heather disait souvent que les serveuses étaient des « travailleuses invisibles ». Les dommages aux cellules de ses poumons, causés par l’air enfumé qu’elle respirait, étaient, eux aussi, invisibles. Lorsque ces cellules se sont développées en tumeurs détectables, son cancer était devenu irréversible.

Quand elle a appris qu’elle était atteinte d’un cancer du poumon, Heather a dit que c’était « comme voir un miroir se fracasser en mille morceaux ». Au lieu de se contenter de fixer les morceaux de sa vie brisée, elle s’est dite qu’elle ne serait pas une victime invisible. Envers et contre tous, elle a présenté son cas au régime de compensation des travailleurs et a obtenu réparation. Plus tard, alors que la nausée due à sa chimiothérapie la faisait souffrir, elle a décidé que « personne d’autre n’allait endurer ce qu’elle vivait ».

Elle est devenue la voix de milliers de travailleurs de la restauration, de l’hôtellerie, des prisons, des casinos, laissés sans protection contre la fumée secondaire. Elle a traversé le Canada pour assister à des réunions populaires et rencontrer des politiciens. Insatisfaite du fait qu’il faut parfois plusieurs années avant que des lois entrent en vigueur, elle voulait les inciter à être plus ambitieux.

Trois ans de temps « emprunté » ont permis à Heather de faire sa campagne, mais ce prêt a fini par lui coûter cher. En plus de l’inconfort de ses traitements, elle souffrait du stress de l’apprentissage de nouvelles aptitudes et de l’obligation de répondre à de nouvelles attentes. D’une façon qu’elle n’a jamais anticipée, elle est devenue un personnage public, un centre d’attention. Pour cette femme très privée, la transition n’a pas été facile.

Lorsque son cancer a réapparu en septembre, Heather était, d’une certaine manière, soulagée, car attendre que son horizon, déjà gris, s’assombrisse davantage a été très difficile. « On ne peut tricher avec la mort que pendant un certain temps, disait-elle, et je l’ai déjà fait pendant trois ans. Je suis heureuse des choses que j’ai pu accomplir avec ce temps. » Elle a rencontré et confronté ministres et premiers ministres. En prêtant son visage au cancer causé par la fumée des autres, elle en a incité plusieurs à agir. Elle a reçu des centaines de lettres d’appui de partout au pays. Ces gentillesses la rendaient heureuse, ses visites à ses anciens collègues de travail aussi, mais rien ne lui faisait plus plaisir que travailler avec les jeunes.

Il s’est créé autour d’Heather Crowe une famille de politiciens, fonctionnaires, groupes communautaires, éducateurs, étudiants, journalistes et amis du milieu de la santé. Les Canadiens ont été profondément touchés par son histoire. Ils ont réalisé que ce qui lui est arrivé pouvait arriver à n’importe qui. Elle nous a émus par son honnêteté, son courage, sa détermination, son action désintéressée et, enfin, par son succès.

Les médias anglophones du Canada ont couvert pendant plusieurs jours les réactions au décès d’Heather Crowe, incluant les déclarations officielles des ministres de la Santé canadien et ontarien. Plusieurs articles traitaient de la campagne médiatique qui a mis son expérience à l’avant-plan, sa contribution ayant aidé à faire passer l’appui canadien aux environnements publics sans fumée de 69 % en 2001 à 89 % en 2003.

Son décès n’étant mentionné qu’en brève dans la plupart des médias québécois francophones, le travail de Mme Crowe a néanmoins été souligné le 30 mai lors d’une conférence de presse des principaux groupes antitabac québécois, ainsi que le lendemain, lors d’événements célébrant l’entrée en vigueur de la Loi sur le tabac qui ont eu lieu à Montréal et à Québec.

Le 31 mai a également été choisi pour marquer le lancement du nouveau Fonds Heather-Crowe, lequel financera des projets reliés à la poursuite de ses efforts pour protéger les Canadiens de la fumée secondaire.

Hommage rédigé par Cynthia Callard, de Médecins pour un Canada sans fumée
Extraits choisis et traduits par Julie Cameron d’Info-tabac