Hausse des taxes en perspective

Tout indique qu’il y aura bientôt un redressement modeste des taxes sur le tabac, de l’ordre de 1,50 $ la cartouche (0,19 $ le paquet), bien que le gouvernement du Québec et peut-être de l’Ontario aient encore des réticences. L’opinion publique semble d’ailleurs prête à accepter une augmentation beaucoup plus importante.

Ce sont les organismes de santé québécois qui ont rallumé le débat public sur la question en tenant, le 12 janvier dernier, une conférence de presse pour attirer l’attention sur l’écart grandissant entre le prix des cigarettes au Québec et celui en vigueur dans les États américains limitrophes, et aussi pour réclamer la mise sur pied d’une fondation indépendante de lutte au tabagisme.

Suite à la baisse du dollar canadien et aux majorations de prix du côté américain provoquées par l’entente « globale » du 16 novembre dernier (voir « Entente globale américaine, prise deux »), ce sont plutôt les autorités américaines qui devraient craindre une reprise du trafic transfrontalier, puisque le prix de la cigarette dans les États frontaliers est de 67 % (État du Washington) à 18 % (Montana) plus élevé qu’au Québec. De plus, selon plusieurs médias américains, le président Bill Clinton s’apprête à proposer une augmentation importante de la taxe fédérale sur le tabac, pouvant atteindre l’équivalent de 0,95 $ Can. par paquet de 25, soit 7,60 $ par cartouche.

Dans ce contexte, il existe actuellement une importante marge de manoeuvre pour rendre les cigarettes plus chères et ainsi combattre le tabagisme, en particulier le tabagisme juvénile. Pour les jeunes fumeurs, qui disposent souvent de peu de revenus et qui sont encore moins dépendants à la nicotine que les fumeurs adultes, le prix de la cigarette joue un rôle particulièrement important, a souligné en conférence de presse le Dr Marcel Boulanger, président du Conseil québécois sur le tabac et la santé.

« On a appris ça de l’industrie elle-même », affirme le Dr Boulanger : les cigarettiers ont expérimenté les kiddie packs (10 cigarettes) et même les toddler packs (5 cigarettes), plus abordables pour les ados, pour répondre aux préoccupations financières des jeunes fumeurs. (Tant la loi québécoise que la législation fédérale interdit maintenant les paquets contenant moins de 20 cigarettes.)

De plus, fait remarquer Louis Gauvin, coordonnateur de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, l’écart de prix entre les provinces qui ont baissé les taxes en 1994 et celles qui ont résisté à la vague demeure très important, avec tous les risques de contrebande interprovinciale que cela comporte. La cartouche se vend actuellement 17,90 $ plus cher en Colombie-Britannique qu’en Ontario!

La conférence de presse du 12 janvier a permis de constater un changement en profondeur dans l’attitude des journalistes. En 1994, au plus fort de la « crise » de la contrebande, les éditorialistes n’arrêtaient pas de décrier la taxation « abusive » qui poussait les fumeurs vers le marché noir; au Québec, même les organismes de santé osaient à peine s’opposer à une baisse des taxes. Cinq ans plus tard, on peut proposer une augmentation de 10 $ la cartouche sans susciter de réaction négative des journalistes.

Une fondation indépendante

L’outil fiscal devrait aussi servir à financer une nouvelle initiative contre le tabagisme juvénile, ont réclamé de concert la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, le Conseil québécois sur le tabac et la santé, la Société canadienne du cancer et l’Association pour les droits des non-fumeurs.

Peu avant le congé des Fêtes, sur une question de procédure, le gouvernement fédéral a fait avorter le projet de loi S-13 à la Chambre des communes (voir « L’insatisfaction grandit à l’égard du gouvernement libéral »). Les organismes de santé réclament toujours un projet de rechange, comprenant une source de financement durable et une structure indépendante telle qu’une fondation autonome.

« Une question de procédure ne devrait pas éliminer une bonne idée », a clamé Louise Labrie, porte-parole de la Société canadienne du cancer.

Lors du lancement de la Semaine nationale sans fumer à Ottawa le 20 janvier dernier, le ministre fédéral Allan Rock a cru bon de mentionner que les initiatives réglementaires qu’il venait d’annoncer ne remplacent pas le projet de loi S-13; un comité du caucus libéral se penchera sur la question. M. Rock a aussi remercié le sénateur Colin Kenny et la députée Carolyn Bennett pour tous leurs efforts concernant la lutte au tabagisme chez les jeunes.

Francis Thompson