Harmonisation fédérale-provinciale

Les gouvernements québécois et canadien se sont déjà affrontés en cour pour savoir qui a le droit de réglementer l’industrie du tabac. Les tribunaux ont finalement décidé qu’il s’agissait d’un domaine de compétences concurrentes, pour ne pas dire contestées.

Cette autre petite bataille de juridiction, qui a eu lieu entre 1989 et 1995 lors de la contestation par l’industrie de l’ancienne Loi (fédérale) réglementant les produits du tabac, n’a pas empêché une collaboration tacite entre les deux gouvernements. En fait, tant le PLQ que le PQ semblaient en pratique prêts à se laisser protéger contre les stratégies de marketing des cigarettiers par le grand frère fédéral, qui devait en contrepartie porter le fardeau électoral de la controverse autour de la commandite.

À première vue, le projet de loi 444 déposé par le ministre Jean Rochon met fin à cette distribution des tâches. Il y a peu de volets couverts par la Loi sur le tabac fédérale qui ne seraient pas réglementés par Québec – souvent mieux réglementés – si la Loi sur le tabac québécoise était adoptée telle quelle. Même l’une des grandes innovations de la loi C-71, le droit de réglementer le contenu des cigarettes, se retrouve en langage encore plus clair dans le projet de loi 444.

Le projet québécois va jusqu’à imposer l’attribution des avertissements sanitaires au ministre québécois de la Santé, ce qui a poussé Marie-Josée Lapointe, porte-parole du Conseil canadien des fabricants des produits du tabac, à demander publiquement si les paquets vendus au Québec devront dorénavant porter deux avertissements différents pour se conformer aux deux lois. Les organismes de santé n’y verraient sans doute aucune objection, mais c’est peu probable.

Car la loi fédérale a déjà prévu cette éventualité : selon l’article 60 de la loi C-71, le ministre fédéral « peut conclure des accords d’équivalence avec les provinces dont les lois contiennent des dispositions essentiellement comparables à celles de la présente loi ».

Il est important de souligner aussi qu’il y a peu d’éléments dans le projet de loi 444 qui n’ont pas déjà été adoptés, sous une forme ou une autre, par une ou plusieurs des provinces anglophones :

  • La Colombie-Britannique a déjà interdit la publicité du tabac au cours des années 1970;
  • L’Ontario, le Manitoba, la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse se sont dotés du droit de réglementer les emballages;
  • Le Nouveau-Brunswick impose des avertissements sanitaires aux points de vente;
  • L’Ontario et la Nouvelle-Écosse interdisent les machines distributrices;
  • Le Québec et l’Alberta sont les seules provinces qui n’ont pas déjà adopté une interdiction de vente aux mineurs.

Dans ce contexte, il serait étonnant qu’une nouvelle guerre de drapeaux éclate autour de la réglementation du tabac. Là où le projet de loi 444 innove vraiment par rapport aux provinces anglophones, c’est en interdisant carrément la commandite – et la commandite a toujours été une patate chaude dont Santé Canada aurait probablement bien aimé se débarrasser.

De toute façon, il y aurait une consolation majeure si jamais une chicane constitutionnelle éclatait autour du projet de loi 444 : de toute surenchère fédérale-provinciale dans ce domaine, la santé publique sortirait gagnante. Le seul danger, c’est que l’industrie du tabac réussisse à convaincre la population que la loi québécoise est redondante, alors qu’elle touche plusieurs domaines, entre autres la protection des non-fumeurs, qui sont à peine effleurés par la loi C-71 au fédéral.

Dans cette nouvelle dynamique fédérale-provinciale, il ne faudrait pas non plus sous-estimer l’aspect psychologique. Avec le projet de loi 444, ce sont les Québécois seuls qui, sans l’aide de personne, s’attaquent sérieusement au fléau du tabagisme.

À l’avenir, on ne pourra plus présenter les mesures antitabagiques comme des dérapages de l’Amérique puritaine ou de la culture anglo-saxonne étriquée, ce qui a déjà été une tactique favorisée par certains de nos commentateurs; tolérer la boucane dans les restaurants ne sera plus un devoir patriotique pour qui que ce soit.

Finies aussi les accusations au sujet de la limitation des commandites, présentée par certains députés bloquistes comme un autre exemple du rouleau compresseur fédéral en train d’« écraser » la culture québécoise.

L’initiative du ministre Rochon a donc le grand mérite de ramener le débat sur l’élément essentiel, c’est-à-dire la santé.

Francis Thompson