Guide non officiel de l’Omnium des cigarettes Du Maurier, au Stade Du Maurier

De toutes les commandites actuelles de l’industrie du tabac au Québec, une des plus scandaleuses et des plus problématiques est sans doute celle du tennis, l’Omnium Du Maurier à Montréal. Scandaleuse du fait qu’elle associe au tabac un sport physique, pratiqué généralement par des non-fumeurs bien nantis. Problématique parce que la dépendance de ce tournoi au financement du tabac semble difficile à éliminer.

La prochaine édition, réunissant l’élite mondiale masculine au Stade Du Maurier, aura lieu du 26 juillet au 3 août. Comme à toutes les années, on se félicitera sans doute d’avoir donné une visibilité internationale à Montréal, d’avoir attiré des touristes et d’avoir démontré à quel point les meilleurs tennismen québécois n’ont guère leur place parmi les meneurs internationaux.

Grâce entre autres à l’extrême efficacité des relationnistes de Tennis Canada et de son partenaire, Imperial Tobacco, il n’y aura fort probablement aucun débat autour des effets sociaux du tournoi, et en particulier son impact sur la santé publique.

Pour combler les lacunes prévisibles du programme souvenir, voici quelques rappels :

Le nom du tournoi est « Omnium Du Maurier », en hommage aux cigarettes Du Maurier, la marque la plus vendue au Canada avec environ 30 p. 100 du marché. Le fabricant des cigarettes Du Maurier n’est pas Du Maurier Ltée, mais bien Imperial Tobacco, qui a réalisé 705 millions $ de bénéfices d’exploitation en 1996, soit 46 cents par dollar de vente, en excluant les taxes.

À Montréal, c’est la 18e année consécutive que Tennis Canada associe son sport aux marques de cigarettes d’Imperial Tobacco. Selon les besoins de marketing du fabricant, le tournoi s’est déjà appelé Internationaux Player’s, Challenge Player’s, Internationaux Matinée Ltée puis Omnium Du Maurier.

Le décor et la publicité de tous ces tournois se sont faits sous des couleurs, des logos et des lettrages similaires à ceux des paquets de cigarettes qui y sont associés. Les costumes des centaines de bénévoles sont aussi aux noms et aux couleurs des paquets. Bleu et blanc pour Player’s, jaune et brun pour Matinée, rouge et noir pour Du Maurier. Même les enfants chasseurs de balles doivent porter les noms et les couleurs de la marque de cigarettes.

Le tournoi a lieu au Stade Du Maurier. Imperial Tobacco aurait déboursé de 2 à 3 millions $ pour s’offrir le nom du « court central » du Centre de tennis du Parc Jarry, entièrement rénové en 1996 au coût de 24 millions $. En nommant ce court « Stade Du Maurier », Imperial Tobacco s’est approprié, dans l’esprit des gens, de l’ensemble du centre de tennis, dont au moins 83 p. 100 des coûts des rénovations ont été défrayés par des subventions gouvernementales.

Tennis Canada, devenu propriétaire du stade pour au moins 20 ans, avec option de renouvellement pour un autre 20 ans, n’a presque rien déboursé pour sa rénovation. Sa contribution de 4 millions $ est venue de commanditaires privés, surtout d’Imperial Tobacco.

Le court central peut contenir 10 500 spectateurs. Ce ne serait toujours pas assez pour offrir un siège aux quelques 12 000 Québécois qui mourront cette année de maladies reliées au tabac.

Le but de la commandite du tennis n’est pas de faire fumer les joueurs de tennis, mais plutôt de rehausser l’image de marques de cigarettes et le statut du fumeur, cela aux yeux de toute la population. En réalité, dans le grand public, très peu de gens pourraient nommer le nom du gagnant de l’Omnium de tennis, alors que presque tous auront retenu l’association entre le tennis et les cigarettes Du Maurier.

Tennis Canada et le service de relations publiques nommé par Imperial Tobacco sont très chics et très professionnels envers les médias : service de traiteur en tout temps, billets de faveur pour les amis des journalistes, invitations à jouer au tennis, tournoi VIP au Sporting Club du Sanctuaire plus tard dans l’année, stationnement sur le site ou tout près, photos gratuites sur demande, multiples conférences et services de presse. C’est à chaque journaliste de décider où s’arrête ce régime de faveurs et où débute l’objectivité de la couverture de l’événement.

En 1971, le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac (incluant Imperial Tobacco), dans son code volontaire de limitation de la publicité, s’était engagé à ne pas utiliser les logos ou les marques de commerce des cigarettes dans la télédiffusion des commandites. Cette norme n’a jamais été respectée.

En mai 1988, le Gouvernement du Canada a interdit, par un vote quasi unanime de la Chambre des communes, les commandites associées à des produits ou des marques de tabac.

Les trois fabricants canadiens ont alors réagi en fondant des compagnies de façade, comme Player’s Ltée, Du Maurier Ltée, Benson & Hedges inc., qui ont multiplié les commandites aux noms, logos, lettrages et couleurs évoquant des paquets de cigarettes. Santé Canada et les médias n’ont guère dénoncé ce mépris de la loi.

En septembre 1995, la Cour suprême du Canada a invalidé de nombreux éléments de la loi de 1988, suite à une guérilla juridique de sept années menée par l’industrie du tabac. À 5 contre 4, la Cour s’est opposée à l’interdiction totale de la publicité du tabac. Concernant la publicité de style de vie (comme celle véhiculée par les commandites), tous les juges en ont appuyé l’interdiction.

Le 31 mai 1996, à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac, l’Organisation mondiale de la santé, l’UNESCO et le Comité international olympique ont conjointement désavoué les commandites sportives ou culturelles de l’industrie du tabac.

Selon un relevé établi par Susan Riley, chroniqueuse au Ottawa Citizen, aucun des huit autres tournois du circuit de tennis Super 9, ni les quatre du Grand Chelem, n’accepte l’argent du tabac.

Contrairement aux costumes et aux voitures des pilotes du Grand Prix de Montréal, la commandite de Tennis Canada n’est aucunement internationale. C’est Tennis Canada, de Toronto, qui accepte la commandite d’Imperial Tobacco, de Montréal.

En réalité, ce sont plutôt les joueurs de tennis internationaux, commandités très sobrement par des compagnies hors-tabac, qui doivent être mal à l’aise de figurer au Canada dans une gigantesque annonce de cigarettes.

Le lieutenant québécois de Tennis Canada, Richard Legendre, affirme avoir horreur du caractère élitiste du tennis. Il ne semble pas être dérangé par le fait qu’environ la moitié des deux millions de fumeurs de Du Maurier, en général de classes populaires, se dirigent vers des maladies qui les tueront.

Si votre envie de voir de l’excellent tennis est plus forte que le dégoût de figurer dans la plus belle annonce de cigarettes au Canada, appelez dès maintenant le Réseau Admission au (514) 790-1245 ou le 1-800 361-4595. Au moment d’aller sous presse, il restait encore des billets pour la finale à 34 $ et 57 $…

Denis Côté, coordonnateur d’Info-tabac, fondateur de la revue québécoise Tennis-Mag qu’il a dirigée de 1987 à 1992.