Gatineau n’imitera pas Ottawa de sitôt

Durant leur campagne électorale, les deux candidats à la mairie de la nouvelle ville de Gatineau, Yves Ducharme et Robert Labine, ont promis de ne pas s’impliquer dans la protection des non-fumeurs. Peu avant, en août dernier, des rumeurs avaient circulé sur un projet qui imiterait la politique antitabac d’Ottawa de l’autre côté de la rivière des Outaouais. Les deux politiciens furent aussitôt l’objet d’intenses pressions de la part de tenanciers de bars régionaux et même d’ailleurs au Québec, pour étouffer toute tentative en ce sens.

Info-tabac a interrogé le maire élu, Yves Ducharme. Ce dernier a admis qu’il n’était pas question pour Gatineau d’interdire de fumer dans tous ses lieux publics, incluant les bars et les restaurants. « Depuis 1998, explique M. Ducharme, le gouvernement provincial a récupéré ce secteur d’intervention. C’est maintenant sa responsabilité. S’il faut modifier la loi actuelle, c’est à Québec d’en prendre l’initiative. D’ailleurs, avec ses recettes de taxation du tabac et sa responsabilité en matière de santé, la province est mieux équipée pour entreprendre un tel défi, beaucoup mieux qu’une simple municipalité. »

Le conseil municipal de Gatineau étant formé d’élus indépendants, et non de partis politiques, il est possible que la Commission Ville en santé, présidée par le conseiller Luc Montreuil, ne partage pas l’opinion du maire et veuille reconsidérer la question. L’été dernier, un projet de sondage de l’opinion des citoyens fut mis de côté, en attendant la fusion. Le conseiller Pierre Phillion serait favorable à une protection accrue des non-fumeurs, une voie qu’appuierait volontiers la Direction de la santé publique de l’Outaouais. Contrairement à la perception répandue depuis 1998, les municipalités québécoises n’ont pas perdu le pouvoir d’adopter une réglementation plus sévère que la loi provinciale, a précisé Lorraine Beaupré, attachée politique de la ministre Agnès Maltais. Dans un tel cas, le ministère de la Santé ne s’opposerait pas au règlement en question, a-t-elle estimé, après consultation.

Succès à Ottawa

Du côté d’Ottawa, le règlement municipal antitabac, en vigueur depuis le 1er août, suscite toujours l’appui d’une forte majorité de la population mais aussi l’aversion de beaucoup de tenanciers de bars. Plusieurs de ces derniers tentent encore d’accommoder les fumeurs avec des patios chauffés entourés de toiles. Le maire Bob Chiarelli et 15 des 21 conseillers ont signé en novembre une lettre commune attestant qu’Ottawa ne réévaluera pas sa politique sur le tabac. Les élus souhaitent ainsi freiner le mouvement de contestation du groupe PUBCO qui réunit quelque 170 entreprises détentrices de permis d’alcool.

Lors d’une visite à quelques bars et restaurants d’Ottawa à la mi-octobre, nous avons constaté que l’interdiction de fumer était très bien respectée par le personnel et la clientèle. Parmi ces lieux, seule une salle de billard avait aménagé un local fermé pour les fumeurs à l’arrière, prétendument privé. Ce genre d’initiative est sous enquête par la municipalité.

Tenu du 26 septembre au 1er octobre auprès de 407 citoyens de la région de la capitale fédérale, c’est-à-dire Ottawa et Gatineau, un sondage Decima révèle un support accru à l’avant-gardiste règlement antitabac; 65 % des répondants l’appuient généralement (19) ou fortement (46), alors que 31 % s’y opposent généralement (10) ou fortement (21), tandis que 4 % ne s’étaient pas exprimé. La grande majorité des citadins (70 %) n’ont pas modifié leur fréquentation des restaurants et bars d’Ottawa depuis l’interdiction de fumer, alors que 13 % affirment y aller plus souvent, et 14 % moins souvent.

Bien que le règlement municipal d’Ottawa semble là pour rester, il sera intéressant de surveiller son impact sur les affaires des bars sans fumée de la capitale, et sur celles des restaurants encore enfumés de Gatineau, au Québec.

Denis Côté