Fumer empirerait les symptômes de dépression chez les adolescents

On voit bien souvent des adolescents se tourner vers la cigarette pour contrer leurs coups de cafard. Or, des chercheurs canadiens ont constaté que le tabagisme pourrait fort bien accroître les symptômes de dépression chez certains représentants de ce groupe d’âge.

« Nous avons tenté de vérifier si ce type d’automédication était efficace chez les jeunes. Nous avons demandé à des ados s’ils croyaient que la cigarette les rendait de meilleure humeur, puis nous les avons suivis durant un certain temps afin de vérifier les effets du tabagisme sur leur humeur à long terme », explique Michael Chaiton, de l’Unité de recherche sur le tabac de l’Ontario. En collaboration avec la professeure Jennifer O’Loughlin de l’Université de Montréal, M. Chaiton cosigne une étude à laquelle ont participé des adolescents qui fréquentaient l’école secondaire au Québec (soit de la 7e à la 11e année). Ceux-ci ont rempli jusqu’à 20 questionnaires sur leur utilisation de la cigarette pour modifier leur humeur.

« Cette étude observationnelle est l’une des rares à porter sur les bénéfices émotionnels que les adolescents prêtent à la cigarette », affirme M. Chaiton, en précisant qu’il s’agit également de la première étude à s’intéresser à ce groupe d’âge et à sa tendance bien ancrée à prêter au tabagisme un effet psychobiologique sur les symptômes de la dépression. « Bien que le tabac semble avoir l’effet d’un traitement ou influer positivement sur l’humeur, nous avons constaté qu’à long terme, les adolescents qui fument signalent davantage de symptômes de dépression. »

Cette étude sur l’utilisation de la cigarette par les adolescents pour améliorer leur humeur ou combattre les symptômes dépressifs, intitulée Use of cigarettes to improve affect and depressive symptoms in a longitudinal study of adolescents, a reposé sur la participation de 1293 adolescents de la grande région de Montréal, âgés de 12 à 13 ans, et sujets de la grande étude NICO qui vise à connaître l’histoire naturelle de la dépendance à la nicotine chez les adolescents. Les participants ont fait l’objet d’un suivi trimestriel durant cinq ans. Les chercheurs ont ensuite examiné 662 d’entre eux (dont 61 % de filles), qui avaient fumé dans les trois mois précédant la réponse à l’un ou l’autre des 20 questionnaires.

Les participants ont été divisés en trois groupes : les ados qui n’avaient jamais fumé; ceux qui ne se servaient pas de la cigarette en guise de traitement (c’est-à-dire pour améliorer leur humeur ou leur état physique); les fumeurs qui utilisaient le tabac en guise de traitement.

On leur a ensuite demandé d’évaluer leurs symptômes de dépression en fonction de divers énoncés, soit « T’es-tu senti(e) trop fatigué(e) pour faire certaines choses? », « As-tu eu de la difficulté à t’endormir ou rester endormi(e) ? », « T’es-tu senti(e) malheureux(se), triste ou déprimé(e)? », « T’es-tu senti(e) désespéré(e) à propos de ton futur? », « T’es-tu trop inquiété(e) à propos de certaines choses? »

« Avant de commencer à fumer, les adolescents présentaient pas mal tous le même niveau de symptômes dépressifs, affirme M. Chaiton. Or, [ces symptômes] sont devenus beaucoup plus marquants chez ceux qui ont commencé à fumer par la suite. Fondamentalement, nous avons constaté que les ados qui disaient utiliser le tabac pour améliorer leur humeur et leur fonctionnement en général présentaient davantage de symptômes de dépression et de risques de se sentir dépressifs plus tard. »

Les résultats, publiés en juillet dans la revue médicale Addictive Behaviors, établissent que les ados qui disent le plus souvent recourir au tabagisme en guise de traitement affichent aussi davantage de symptômes de dépression. Selon l’étude, de tels résultats démontrent que les bénéfices émotionnels imputés au tabagisme pourraient être simplement attribuables au fait qu’il atténue l’état de manque et les symptômes de sevrage de nicotine.

« Cette alternance constante entre l’état de manque et la satisfaction du besoin, qui peut survenir maintes fois dans la journée chez un jeune, peut accroître les symptômes de dépression et aggraver sa situation, affirme Michael Chaiton. Les chiffres liés au recours au tabagisme en guise de traitement peuvent être utiles pour repérer un groupe de population davantage exposé à la dépression. Un nombre considérable d’ados fument la cigarette dans le but de se sentir mieux alors que, à long terme, cela ne les aide pas du tout, fort probablement au contraire. Il est important de corriger cette mauvaise interprétation qu’ont les jeunes, mais aussi les intervenants, qui évitent peut-être de s’attarder au tabagisme lorsqu’ils traitent un problème de santé mentale. »

Résultats concordants

Une étude menée en 2000 au Collège de médecine de l’Université de Cincinnati, en Ohio, dresse des liens similaires entre le tabagisme et la dépression, en affirmant que le tabagisme pourrait en fait être la cause de dépression chez les jeunes plutôt qu’un moyen pour eux de la traiter.

Dans cette étude, les chercheurs se sont intéressés à deux groupes. Un premier comptait quelque 8000 ados fumeurs et ne souffrant pas de dépression en termes cliniques. Le deuxième était composé de près de 7000 ados non fumeurs au moment de l’étude, qui présentaient toutefois d’importants symptômes dépressifs. On a ainsi constaté que, chez les jeunes qui ne souffraient pas de dépression au début de l’étude, le tabagisme constituait le principal facteur d’apparition de dépression dans l’année qui a suivi. Dans l’autre groupe, une fois considérés tous les autres facteurs pouvant mener au tabagisme chez les jeunes, la dépression ne s’est pas avérée être un facteur de taille de l’apparition de gros fumeurs.

Une étude encore plus récente, réalisée par Boden, Fergusson et Horwood, et intitulée Cigarette-smoking and depression: tests of causal linkages using a longitudinal birth cohort, fait ressortir des liens tenaces et importants entre les symptômes de dépendance à la nicotine et ceux de la dépression. Tout porte à croire que le modèle causal le plus plausible serait que la dépendance à la nicotine augmente les risques de dépression.

Publiés dans le British Journal of Psychiatry en juin 2010, les constats d’une équipe de chercheurs de l’Université d’Otago, en Nouvelle-Zélande, suggèrent que la corrélation tabagisme / dépression aurait deux sources : la première met en cause des facteurs de risque communs ou liés, tandis que la deuxième relie directement le tabagisme à l’augmentation des risques de dépression. En conséquence, il existe une relation de cause à effet entre le tabagisme et la dépression, du fait que le tabagisme augmente le risque d’apparition des symptômes de dépression.

Michael Chaiton et son équipe assureront un suivi auprès des participants, qui sont maintenant tous dans la vingtaine. « Nous voulons savoir si l’effet se poursuit à l’âge adulte et si l’on constate des améliorations lorsque ces jeunes cessent de fumer. Certains faits nous indiquent également que le recours plus ou moins important au tabagisme en guise de traitement pourrait permettre de repérer un groupe particulièrement vulnérable à la dépression. En retenant un traitement plus approprié, on pourrait éviter toute une vie de tabagisme de même que d’importants problèmes de santé mentale », assure-t-il.

Joey Strizzi