Flou juridique autour des commandites du tabac

Depuis le 1er octobre, les nombreux panneaux-réclames annonçant les événements culturels et sportifs commandités par l’industrie du tabac sont en principe interdits – mais le gouvernement fédéral n’a pas l’intention d’appliquer cette interdiction.

Les fonctionnaires ont plutôt la consigne de faire comme si le projet de loi C-42 – qui prévoit retarder d’au moins deux ans les principales restrictions de la Loi sur le tabac touchant aux commandites – était déjà adopté, situation qui crée un certain flou juridique, selon des documents obtenus par l’organisme Médecins pour un Canada sans fumée.

Le 30 septembre, la porte-parole néo-démocrate en matière de santé, Judy Wasylycia-Leis, a d’ailleurs soulevé une question de privilège à ce sujet à la Chambre des communes, alléguant que le ministre Allan Rock se rendait coupable d’outrage à la Chambre en devançant ainsi les délibérations des parlementaires. Le président de la Chambre a statué que la question était d’ordre hypothétique pour le moment, puisque les dispositions de la loi C-71 sur la commandite n’étaient pas en vigueur et puisque M. Rock n’avait pas dit publiquement que les dispositions amendées s’appliquaient immédiatement.

Le cas de la promotion hors site des nouvelles commandites est particulièrement nébuleux. Tant la Loi sur le tabac (C-71), adoptée en avril 1997, que l’amendement proposé en juin dernier par le ministre de la Santé, Allan Rock, interdisent à quelques exceptions près la promotion hors site d’événements pour lesquels le premier contrat de commandite a été signé après le 25 avril 1997.

L’application de cette règle permettrait donc d’éliminer au moins un irritant du paysage publicitaire québécois, la gigantesque campagne en faveur des cigarettes Export ‘A’ (« Va jusqu’au bout ») autour du championnat de motomarines de Wasaga Beach (Ontario). Ce nouvel événement ne bénéficie pas de droits acquis, puisque RJR-Macdonald ne le commandite que depuis cette année. La compagnie décidera-t-elle de retirer d’elle-même cette campagne pour se conformer à la lettre de la Loi sur le tabac et à l’esprit des intentions gouvernementales?

Le flou juridique risque de perdurer encore plusieurs semaines. Le projet de loi C-42 a franchi l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes le 30 septembre, et le comité permanent de la santé devrait entreprendre son étude du projet vers la fin du mois d’octobre.

Le parti réformiste et les néo-démocrates ont déjà signalé leur intention de voter contre le projet de loi C-42, qualifié par les deux partis de recul dans la lutte au tabagisme juvénile. Les conservateurs, pour leur part, réclament des amendements pour limiter le sursis supplémentaire aux seules courses automobiles internationales, empêcher la commandite de nouveaux événements et imposer un plafond aux dépenses de commandite (tel que prévu par la loi québécoise sur le tabac).

Seul le Bloc Québécois semble prêt à accepter l’amendement de Rock, tout en déplorant le manque d’un fonds de compensation et l’incursion du gouvernement fédéral dans un domaine de compétence provinciale.

La divulgation des résultats d’une enquête qualitative, réalisée en avril dernier auprès de deux groupes de discussion (focus groups) à Toronto, apporte de l’eau au moulin pour ceux qui critiquent la valse-hésitation du gouvernement libéral dans ce dossier et, en particulier, son refus de créer un fonds de compensation pour les événements culturels et sportifs.

Selon l’enquête de la firme Earnscliffe Research & Communications : « Les participants étaient fermement d’avis que les gouvernements n’ont pas affaire à financer (ces) événements et n’avaient probablement pas les moyens de le faire même s’ils le voulaient. » On peut bien sûr se demander si la réaction aurait été la même chez des répondants québécois, étant donné que l’idée d’un fonds de compensation a été évoquée bien plus souvent chez nous qu’au Canada anglais et que l’idée a effectivement été retenue par le gouvernement du Québec.

Autre petit détail intéressant : les participants aux groupes de discussion torontois se préoccupaient peu des retombées économiques d’éventuelles restrictions touchant les commandites. Par contre, ils croyaient que la survie de certains événements qui leur étaient chers était effectivement menacée par la Loi sur le tabac.

L’enquête confirme aussi que Santé Canada et les organismes de santé n’ont toujours pas réussi à convaincre la population qu’il existe réellement un lien entre la publicité de commandite et le tabagisme juvénile. Une interdiction complète de ce genre d’activité promotionnelle « ne changerait pas grand-chose et aurait un impact minime sur la décision de fumer », ont dit la plupart des participants aux groupes de discussion. En toute logique, les participants ne voyaient donc aucune urgence à agir dans le dossier.

Une autre déduction intéressante s’impose à la lecture de l’enquête Earnscliffe : il semble que le ministre Rock n’avait pas encore l’intention, en avril, d’accorder un sursis de deux ans pour toutes les formes de publicité de commandite. On a demandé à la firme de communication de sonder les réactions des citoyens à un amendement plus complexe, qui aurait assoupli la Loi sur le tabac uniquement en ce qui a trait à la publicité sur le site même des événements; la période de sursis aurait été de quatre ans.

Francis Thompson