Employeurs : alliés dans la lutte contre le tabac

À long terme, les entreprises économisent en aidant leurs employés fumeurs à se débarrasser du tabac.

En plus de coûter cher aux fumeurs et à la société, le tabac coûte cher aux entreprises. Trois publications récentes du Conference Board du Canada (CBC) le démontrent noir sur blanc (première, deuxième et troisième études). C’est la preuve que les corporations ont tout intérêt à se mobiliser contre le tabac et aider leurs employés qui fument à écraser.

Tous deux employés de Santé publique Ottawa, Heidi McKean et Kale Brown soutiennent les travailleurs de la construction qui veulent cesser de fumer.
Tous deux employés de Santé publique Ottawa, Heidi McKean et Kale Brown soutiennent les travailleurs de la construction qui veulent cesser de fumer.
Un coût direct pour l’entreprise

Selon la dernière Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC), de Santé Canada, encore 14 % des Canadiens et 16 % des Québécois fument quotidiennement (respectivement 19 % et 21 % fument quotidiennement ou à l’occasion). Selon le CBC, chacun de ces fumeurs quotidiens coûte environ 4200 dollars par année à son employeur. D’abord, les fumeurs (et ceux qui ont arrêté récemment) sont plus souvent malades que les autres. Résultat : ils s’absentent deux jours de plus chaque année, en moyenne, ce qui coûte environ 400 dollars à l’employeur, calcule le CBC. Les fumeurs prennent aussi des pauses illicites pour fumer, écrit l’organisme de recherche. En supposant deux pauses quotidiennes de 20 minutes et un taux horaire de 22 dollars, chacun des fumeurs quotidiens coûte environ 3800 dollars de plus par année à son organisation, selon le CBC.

4200 $ : Coût annuel d’un fumeur quotidien pour l’employeur, selon le Conference Board du Canada.

Les entreprises ont donc tout intérêt à s’attaquer au tabagisme de leurs salariés. Non seulement elles y économiseront de l’argent, mais, à l’ère où les corporations « citoyennes » ont la cote, un programme de soutien à l’arrêt tabagique représente un geste fort. Encore mieux : selon un sondage mené par le CBC, les programmes de soutien à l’arrêt tabagique des entreprises fonctionnent. En effet, 18 % des employés y ayant participé résistaient toujours, en moyenne, à l’envie de fumer après six mois. Un beau succès, sachant que ces programmes ne coûtent que 6265 dollars par année, en moyenne.

Ces entreprises qui n’embauchent pas de fumeurs

Pour réduire leurs frais ou se donner une image « santé », certaines entreprises n’embauchent que des non-fumeurs. Mentionnons la compagnie américaine Alaska Airlines, la firme canadienne Momentous Corp. et l’Organisation mondiale de la Santé. Cette pratique est légale dans une vingtaine d’États américains. Mais elle manquerait d’éthique puisque les fumeurs sont dépendants et fument donc en quelque sorte malgré eux. Une telle pratique serait inadmissible au Québec, estime la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse : refuser d’embaucher quelqu’un qui est dépendant de la nicotine serait discriminatoire. Par contre, tout employeur peut exiger qu’un salarié ne fume pas sur son lieu de travail.

Un exemple à suivre

GE Aviation, à Bromont, est l’une de ces entreprises modèles qui aident ses employés à se libérer de la nicotine. « En 1998, lorsque la Loi sur le tabac a été adoptée au Québec, nous avons formé un comité de fumeurs pour qu’ils nous aident à les aider », se souvient Yvan Pomerleau, conseiller aux ressources humaines. Au fil des années, GE Aviation a mis en place plusieurs éléments : remboursement des thérapies de remplacement de la nicotine (TRN) pour les employés réguliers et les contractuels, de même que pour leur famille immédiate; concours à l’interne sur le mode du Défi J’arrête, j’y gagne! et distribution ponctuelle de documents sur l’arrêt tabagique. « Depuis 2011, il est aussi interdit de fumer sur les terrains de GE à travers le monde, ajoute Yvan Pomerleau. Et cela inclut dans votre voiture, si elle est garée dans le stationnement de l’entreprise! »

Fumeur ouvrier

Le CBC souligne que les corporations intéressées à combattre le tabac peuvent mener d’autres actions. Mentionnons le jumelage de fumeurs avec des non-fumeurs ou la création d’un programme interne de cessation tabagique en collaboration avec des organismes spécialisés tels que l’Association pulmonaire du Québec. Cette association, justement, « déploie depuis 2014 un programme de cessation tabagique destiné aux entreprises qui a été inspiré par celui mis en place par l’American Lung Association », nous apprend Dominique Massie, directrice générale de l’organisme. De son côté, l’organisme sans but lucratif Groupe entreprises en santé (GES) a créé la norme ISO « Prévention, promotion et pratiques organisationnelles favorables à la santé en milieu de travail ». Cette norme, qui est communément appelée « Entreprise en santé », inclut un volet sur le tabagisme. Elle permet aux entreprises qui le souhaitent de mettre en place un programme d’aide et de sensibilisation à l’arrêt tabagique. Une cinquantaine d’entreprises et d’organismes du Québec appliquent déjà cette norme. Ce qui permet à des centaines de travailleurs de respirer un air plus pur.

En Ontario: un programme qui marche pour les travailleurs de la construction

Les travailleurs ne sont pas tous égaux face au tabac. Selon le Conference Board du Canada (CBC), un travailleur de la construction sur trois fume, contre un sur six dans les secteurs de la finance et des assurances!

1 travailleur sur 3

Ce n’est pas un hasard : sur un chantier de construction, on peut encore fumer à peu près n’importe où. En 2011, le ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario a réagi. Il a financé des projets pilotes d’un an visant l’arrêt tabagique dans les milieux de travail où il y a un fort pourcentage de fumeurs.

Santé publique Ottawa (SPO) a donc commencé à travailler avec les ouvriers de la construction. Son allié : EllisDon, un important entrepreneur canadien. Concrètement, SPO a visité une quinzaine de chantiers de construction sur l’heure du midi ou pendant les pauses. L’organisme fournissait gratuitement un repas ou des collations tout en donnant une conférence sur les différents aspects de l’arrêt tabagique, incluant le stress et les aides pharmacologiques. Puisque, en Ontario, les thérapies de remplacement de la nicotine (TRN) ne sont remboursées qu’à certaines conditions, SPO invitait aussi les ouvriers intéressés à en commander gratuitement.

« Nous annoncions un concours auquel tous les employés pouvaient participer », explique Kale Brown, agent de liaison communautaire à SPO. Les fumeurs s’engageaient à ne pas fumer pendant un mois; les non-fumeurs, à ne pas commencer (ou recommencer) à fumer et à soutenir ceux qui tentaient d’arrêter. Les gagnants ont reçu entre 500 et 1000 dollars. Au bout d’un mois, 30 % des fumeurs inscrits au concours s’étaient libérés du tabac.

Par la suite, SPO est revenue régulièrement sur les chantiers pour répondre aux questions des travailleurs, mesurer leur taux de CO2, poster de nouvelles informations sur l’arrêt tabagique sur les babillards du chantier ou s’assurer que les commandes de TRN étaient arrivées à destination. Depuis la fin du projet pilote, SPO a maintenu son travail sur les chantiers grâce à divers partenaires, dont EllisDon, des syndicats d’ouvriers, des organismes spécialisés dans la sécurité des travailleurs et des programmes d’apprenti.

Anick Perreault-Labelle