Élimination des étalages chez les détaillants : le compte à rebours est commencé

Les tapageurs étalages de cigarettes, cigarillos et autres produits du tabac ne seront peut-être pas totalement disparus après le 31 mai 2008, tel que le prévoyait la Loi sur le tabac de juin 2005, mais les changements ne vont pas traîner en longueur. Cinq provinces canadiennes et deux territoires ont déjà banni les étalages de produits du tabac aux points de vente.

Après que le gouvernement du Québec ait publié en décembre 2007 des directives précises à propos des conditions matérielles et visuelles de la vente des produits du tabac, la presse dans diverses régions du Québec a pu constater que des magasins, surtout des épiceries, avaient déjà accompli les changements nécessaires, sans qu’on leur fasse un dessin. Après tout, ce n’est pas sorcier. Ainsi, dans son bulletin de liaison de juin 2007, l’Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec (AMDEQ) incitait déjà ses membres à se conformer à l’interdiction des étalages à partir du 31 mai 2008 et citait en exemple, photos à l’appui, une petite épicerie indépendante de Québec qui avait déjà fait le réaménagement exigé.

Certains commerçants ont toutefois déploré cet hiver que le ministère de la Santé ait attendu jusqu’à moins de six mois de l’entrée en vigueur de l’interdiction des étalages pour publier enfin ses directives. Ces directives, l’Association des détaillants en alimentation du Québec (ADA) les demandait depuis des mois. Et si Pierre-Alexandre Blouin, le directeur des affaires publiques de l’ADA, ne doute pas de la bonne volonté des 2 500 cotisants de son association de s’y conformer, il continue de craindre que des petits commerces familiaux, surtout ceux qui ne sont membres d’aucune association de marchands, n’arrivent pas tous à se mettre en règle avec la loi avant le 31 mai 2008.

En 2005, les cigarettes étaient achetées dans les supermarchés d’alimentation (44,1 %), les chaînes de dépanneurs (13,6 %) et les stations d’essence (7,4 %). Le reste, près de 35 %, était donc écoulé dans des dépanneurs et des épiceries indépendants (réf. : étude Ouellette et al., 2005).

Jusqu’à un certain point, l’application de la Loi sur le tabac de 2005 pourrait avoir légèrement dopé les ventes de certains commerces au détail en forçant ou en accélérant la disparition de près des deux tiers des points de vente de produits du tabac, autrement dit en réduisant la concurrence dans l’offre de ces produits. Selon le registre du ministère de la Santé et des Services sociaux, il y avait environ 20 000 points de vente au printemps 2005; il n’en restait que 7 100 en novembre 2007. Toutefois, les restaurants, les bars et les exploitants de distributrices automatiques, sortis du marché depuis 2005, comptaient pour moins de 2 % des ventes de cigarettes. Les pharmacies s’étaient retirées dès 1998.

Un volume de ventes par point de vente légèrement supérieur en moyenne à ce qu’il était en 2005 ne signifie pas que la cigarette soit un produit qui rapporte beaucoup de profit aux détaillants.

Your convenience manager (YCM), une revue publiée en collaboration avec l’Association canadienne des dépanneurs (CCSA), a estimé en mai 2007 que la marge de profit des dépanneurs sur les produits du tabac reste parmi les plus basses de tous les produits qu’ils vendent, soit à peine meilleure que la marge de profit sur les billets de loterie (6 %) et les cartes d’appel (10 %). La marge de profit sur les produits du tabac serait de 13 %, alors qu’elle se situerait entre 20 % et 40 % pour les autres produits.

Si les produits du tabac intéressent les dépanneurs, c’est parce que les stocks sont écoulés rapidement, et parce que les grands du tabac achètent de l’espace dans les points de vente.

Or, en Saskatchewan en 2002, à la suite de l’interdiction de la promotion et de la publicité aux points de vente, il n’y a eu aucune fermeture de commerces au détail, et les montants versés aux détaillants par les cigarettiers n’ont même pas diminué. Ce phénomène s’expliquerait par le fait que l’industrie trouve des trucs pour rémunérer ses vendeurs au détail. Une compagnie peut, par exemple, vendre ses cigarettes à escompte à des détaillants à forte rotation des stocks en magasin, et éliminer un grossiste intermédiaire.

Questionné en octobre 2006 par Your convenience manager quant à la possibilité que la disparition des étalages mette les commerçants en faillite, le vice-président aux ventes de Rothmans Benson & Hedges, David Guile, a répondu : « La réponse est un non retentissant ». Il ne s’agissait probablement pas seulement d’une prédiction. En mars, les porte-parole d’Imperial Tobacco et de JTI-Macdonald ont confirmé au quotidien The Gazette que les manufacturiers étudient des façons de compenser les pertes de leurs précieux auxiliaires.

Ne pouvant plus désormais faire de publicité aux points de vente, ni exposer leurs produits à la vue des consommateurs, les cigarettiers auront nécessairement besoin de nombreux détaillants pour écouler les produits du tabac sur l’ensemble du territoire. S’il fallait que les fumeurs soient contraints de faire régulièrement la queue pour acheter leurs cigarettes, parce que trop de détaillants se seraient retirés du marché, le tabagisme risquerait de diminuer encore plus vite, et les manufacturiers du tabac n’y trouveraient pas leur compte.

Pierre Croteau