Edmonton est retenue pour évaluer la viabilité du snus

Après avoir annoncé, ce printemps, son intention de tester son tabac sans fumée au Canada, le plus important fabricant de cigarettes au pays a arrêté son choix sur Edmonton.

Depuis la fin septembre, la capitale de l’Alberta sert donc de baromètre à Imperial Tobacco qui souhaite y mesurer l’acceptation du snus par les consommateurs. Alors que la compagnie parle de responsabilité sociale pour expliquer la mise en marché de ce nouveau produit, les groupes de santé sont de plus en plus nombreux à dénoncer cette initiative qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses, surtout chez les jeunes.

« Beaucoup de fumeurs adultes continuent à utiliser des produits du tabac et nous pensons que la chose responsable à faire est de rechercher et d’offrir des produits qui pourraient réduire de façon notable les risques pour la santé », a déclaré, par communiqué, le président et chef de la direction d’Imperial Tobacco Canada (ITC), Benjamin Kemball.

Notons qu’il y a longtemps que les cigarettiers songent à commercialiser des produits moins nocifs. Toutefois, cette avenue avait jusqu’à présent été écartée par peur de nuire au commerce des cigarettes, comme en témoigne cet ancien document de l’industrie : « […] en tentant de développer une cigarette plus sécuritaire, vous serez, par implication, en danger d’être interprétés comme acceptant que le produit courant est non sécuritaire, et, à mon avis, ce n’est pas une position que nous devrions adopter […] », affirmait en 1986 le pdg de British American Tobacco, la société mère d’ITC.

La Suède : un modèle?

« La Suède est le plus grand utilisateur de snus. C’est le seul pays de l’Union européenne à avoir abaissé son taux de fumeurs sous les 20 % et qui compte aussi le plus faible taux de cancer du poumon dans le monde industrialisé », a affirmé M. Kemball. Toutefois, selon la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, les statistiques fournies par ITC seraient trompeuses parce qu’elles ne tiennent compte que des fumeurs quotidiens. « Le Canada, comme bien des pays, inclut les fumeurs occasionnels dans ses calculs de la prévalence, a expliqué sa directrice de campagne, Heidi Rathjen. En comptabilisant le taux de tabagisme de la Suède de cette manière, on arrive à 25 % d’hommes fumeurs en 2006, un ratio qui est substantiellement plus élevé que celui qu’affichaient les Canadiens de sexe masculin (20 %) à pareille date. »

Pour ce qui est du « taux de cancer du poumon », il s’expliquerait par la faible consommation de cigarettes en Suède dans les années 1970. « Ce pays a adopté très tôt des mesures antitabac efficaces, qui ont fait en sorte qu’il n’a jamais connu de taux de tabagisme aussi élevés que les nôtres », a relaté la directrice exécutive de l’organisme Médecins pour un Canada sans fumée, Cynthia Callard, dans le cadre de la 5e Conférence nationale sur le tabagisme ou la santé qui s’est déroulée à Edmonton, une semaine après le lancement du snus.

« En Suède, a-t-elle poursuivi, une seule compagnie, qui a longtemps appartenu à l’État, avait le monopole, et la population n’a jamais été exposée à des publicités protabac à la télé ou à la radio. De plus, des restrictions sur le marketing étaient déjà en place au début des années 1970 et les premières mises en garde de santé sur les paquets datent de 1977. »

Soulignant que le Canada a réussi à abaisser son taux de tabagisme plus rapidement que la Suède, et ce, sans avoir recours au snus, Mme Callard a également soutenu que « si Imperial Tobacco était sérieuse dans son objectif de réduire les méfaits reliés au tabagisme, elle aurait d’abord retiré ses cigarettes du marché avant de lancer un produit potentiellement moins dangereux ».

Quant au choix d’Edmonton, pour l’essai du snus, il aurait peut-être été davantage guidé par l’appât du gain que par celui de la responsabilité sociale… car selon Santé Canada, c’est en Alberta qu’il s’est vendu le plus de tabac sans fumée entre 1989 et 2005.

Les jeunes et le snus

Si les données suédoises consultées par Imperial Tobacco indiquent que « le snus n’entraîne pas les personnes à commencer à fumer », la compagnie est consciente qu’elle devra vérifier ce fait ici. En Norvège, seul autre pays de l’Union européenne à autoriser le snus, son usage est passé de 6,6 à 17,9 % chez les jeunes de 16 à 24 ans, entre 2000 et 2006.

Invité à présenter les conclusions de groupes de discussions menés en Colombie-Britannique, le directeur de la Clean Air Coalition of B.C., Jack Boomer, a signalé qu’un adolescent a été prêt à payer 100 $ pour une boîte de tabac sans fumée qui coûte environ 8 $ en tabagie. « Dans le nord de la province, les jeunes ont facilement accès à ces produits », a-t-il déploré, avant de mentionner qu’ils seraient surtout consommés par des garçons issus de communautés rurales ou autochtones.

D’après la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, ce n’est pas un hasard si ITC a commercialisé son produit son le nom de du Maurier : sa marque la plus populaire auprès des jeunes hommes. En plus de les rejoindre avec une marque qu’ils connaissent déjà, le fait d’utiliser ce nom constitue une « extension de marque » : une tactique de marketing entre autres employée par Philip Morris et RJ Reynolds qui vendent du snus Marlboro et Camel aux États-Unis, explique-t-elle. En agissant ainsi, les compagnies offrent une vitrine supplémentaire à leurs marques vedettes, et si la consommation de snus demeure peu répandue, la notoriété de la marque, elle, restera gagnante.

« Ce n’est pas parce que moins de 1 % des Canadiens consomment actuellement du tabac sans fumée qu’il en sera toujours ainsi, a prévenu Murray Kaiserman, directeur de la Recherche, surveillance et évaluation, à Santé Canada. Les résultats de l’introduction du snus au pays ne se verront pas du jour au lendemain, mais il est possible que des gens qui envisageaient d’arrêter de fumer se tournent vers ce genre de produit au lieu de rompre définitivement avec le tabac. »

Consommation moyenne

Selon un comité scientifique de la Commission européenne (SCENIHR), les utilisateurs de snus passeraient de 11 à 14 heures par jour – soit la majeure partie du temps où ils sont éveillés – avec un sachet en bouche, pour une consommation moyenne de 16 sachets quotidiens.

Snus du Maurier

Vendu dans des boîtiers métalliques aux couleurs de sa célèbre marque de cigarettes, le snus commercialisé par Imperial Tobacco se vend 3,99 $ plus taxes, pour un format de 20 sachets de 0,4 grammes. Peu bavards, les détaillants rencontrés par Info-tabac – qui s’est présenté comme un client ordinaire – n’ont offert aucune information sur ses risques pour la santé. Le seul renseignement qu’il a été possible d’obtenir concerne la réfrigération qui permettrait de préserver la saveur et la fraîcheur du produit en magasin.

Réduire ou ne pas réduire les méfaits avec du tabac sans fumée?

Un article paru en septembre dans le Southern Medical Journal révèle que l’usage de tabac sans fumée – qui est très répandu dans le sud des États-Unis et dans les communautés rurales – est appelé à s’accroître dans les endroits où la cigarette est interdite. Comme les fumeurs, les utilisateurs s’initient à ces types de tabac entre 15 et 17 ans, d’où l’importance d’en dissuader l’usage chez les jeunes. Tandis que le débat portant sur la consommation de tabac sans combustion pour arrêter de fumer demeure inachevé, l’auteur de l’étude, le Dr Ziad Arabi, de l’Université de Louisville au Kentucky, rappelle que les aides à la cessation pharmacologiques demeurent des avenues plus sécuritaires.

Quant au Royal College of Physicians, qui regroupe plus de 22 000 membres à travers le monde, il s’est récemment prononcé en faveur de la réduction des méfaits pour traiter les fumeurs incapables de se libérer de leur dépendance. L’organisme – qui conseille gouvernements, populations et professionnels de la santé sur différents sujets – croit que les fumeurs devraient avoir facilement accès à des moyens plus sécuritaires que la cigarette pour obtenir leur nicotine, incluant le tabac sans fumée. Selon lui, ces alternatives devraient être commercialisées de manière à ce que les plus dommageables pour la santé soient moins disponibles et plus coûteuses.

Josée Hamelin