Échanges sino-québécois

Le Québec est-il en train de devenir une inspiration pour la Chine dans le domaine de la lutte au tabagisme? En tout cas, il l’est sûrement déjà pour la province de Jilin (à la frontière de la Corée), suite à une visite au Québec effectuée par le professeur Li Dianfu de l’Université médicale Norman Bethune.

Invité de la Société canadienne du cancer, le Pr Li, qui est médecin et assistant au président de son université, a récemment passé plusieurs semaines à Montréal et à Québec, où il venait voir ce que sa région, dont la population atteint plus de 25 millions, pouvait apprendre des stratégies de sensibilisation employées chez nous.

C’est le prolongement naturel d’une relation entre le Québec et l’université Norman Bethune qui a commencé il y a près de 10 ans, alors qu’une unité d’oncologie a été mise sur pied grâce à un projet de coopération avec l’université Laval subventionné par l’Agence canadienne pour le développement international. De plus, Suzanne Lemire, coordonnatrice de l’éducation populaire et des questions d’intérêt public de la section québécoise de la Société, a participé en 1997 à la Conférence mondiale sur le tabac à Beijing, où le Pr Li était aussi présent.

Cette conférence, première du genre en Chine, a souligné la volonté des autorités chinoises de s’attaquer vigoureusement au fléau de la cigarette. Le problème est de taille : selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé, 7 % des femmes et 61 % (!) des hommes chinois fumaient en 1984.

Dans ce pays continent qui représente près du quart de l’humanité, les prévisions à long terme sont extrêmement préoccupantes : on s’attend à ce que 150 millions de fumeurs actuels meurent des suites de leur tabagisme, qui sera la cause de deux millions de décès par année d’ici l’an 2025, à moins que la prévalence baisse de manière prononcée auparavant. En termes de nombre de victimes, c’est l’équivalent de trois fois la Seconde guerre mondiale!

Selon le Pr Li, les Chinois qui habitent dans les centres urbains sont généralement au courant des effets néfastes du tabagisme sur la santé, mais ce n’est pas forcément le cas chez la masse des paysans. Les campagnes de sensibilisation semblent encore embryonnaires : kiosques d’information lors de la Journée mondiale sans tabac, articles dans les journaux, et ainsi de suite.

Cependant, la volonté de former une génération d’intervenants non-fumeurs semble très ferme à l’université Norman Bethune, où une politique d’espaces sans fumée est en place depuis 1986. Pour donner l’exemple, le président lui-même a réussi à se libérer de la nicotine après avoir fumé pendant 30 ans.

Dans cette université médicale, on fait tout pour décourager l’usage du tabac chez les 6 000 étudiants, qui seront les médecins et les infirmières de demain. Ainsi, les étudiants fumeurs n’ont pas droit à la mention « très bien » lors de la remise des diplômes, et les non-fumeurs ont la priorité dans l’attribution des places dans les résidences étudiantes. L’importance d’inciter les patients à faire des tentatives de cessation est de plus en plus intégrée à la formation, ce qui pourrait donner lieu à un important effet multiplicateur pour la population en général.

Le Pr Li a aussi bénéficié de son séjour à Montréal pour s’informer des stratégies employées par la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. Le modèle utilisé par la CQCT – recherche de consensus autour d’un nombre réduit d’objectifs, ensuite endossés par des centaines d’organismes – semblait l’intéresser grandement, mais n’est pas directement transférable à la Chine. En effet, l’État est à la fois responsable de la santé publique et de la fabrication de cigarettes, à travers la China National Tobacco Corporation, premier cigarettier du monde devant le groupe Philip Morris.

Ce monopole génère d’énormes revenus et fait vivre une dizaine de millions de paysans, mais les dirigeants chinois semblent maintenant avoir compris que les coûts humains et économiques du tabagisme sont largement supérieurs aux bénéfices qui en découlent.

Francis Thompson