Deux projets innovants en santé publique

Même s’ils sont efficaces, les programmes destinés à prévenir le tabagisme ou à aider les fumeurs à se libérer du tabac ne suffisent pas toujours à la tâche. De nouvelles approches sont de mise pour joindre toutes les populations.

Malgré des mesures efficaces et nombreuses pour lutter contre le tabagisme, des milliers de Québécois s’initient encore au tabac chaque année tandis que la province compte toujours 1,3 million de fumeurs. Pour combattre ce fléau, deux directions de santé publique (DSP) font l’essai de nouvelles approches dans leur communauté. La DSP de Lanaudière aide des personnes défavorisées à se libérer du tabac avec son programme Respire-action tandis que la DSP de la Capitale-Nationale exploite l’approche des normes sociales avec son programme INSPiRe Autrement.

Respire-action : un programme qui s’adapte

Dans la région de Lanaudière, l’équipe de la DSP mise sur un nouveau programme en cessation tabagique développé de 2014 à 2016 : Respire-action. Adapté du programme Oui, j’arrête!, lancé au début des années 1990, Respire-action est offert dans plusieurs milieux, dont la Maison populaire de Joliette, un organisme qui accueille des personnes défavorisées, analphabètes, déficientes intellectuellement, toxicomanes ou simplement isolées.

Peu importe le milieu à qui il s’adresse, le programme s’appuie sur les techniques de l’entretien motivationnel de groupe et propose six rencontres de deux heures, à raison d’une rencontre par semaine. L’une de ses particularités? Être animé par des spécialistes en animation, formés en cessation tabagique. « Le succès d’un groupe en cessation repose plus sur la qualité de la relation que sur des connaissances reliées au tabagisme », explique Sarah Monette, agente de planification, de programmation et de recherche à la DSP de Lanaudière et instigatrice du programme. Une autre particularité de Respire-action : la première rencontre est entièrement dédiée à consolider le groupe et à cerner les attentes des participants. Afin de créer un sentiment d’appartenance, l’animateur invite les groupes à se trouver un nom. « Ceux de la Maison populaire de Joliette ont été très créatifs, avec des noms comme Nicoteam ou Tabaslack », dit Sarah Monette. « Nos membres étaient renversés que, pour une fois, on s’intéressait à leur avis! », se réjouit Pierre-Hugues Sylvestre, directeur général de l’organisme communautaire.

Pierre-Hugues Sylvestre, directeur ‎général de la Maison populaire de ‎Joliette, et Sarah Monette, ‎instigatrice du programme Respire-‎action.‎

Quel que soit le milieu, les participants de Respire-action sont toujours placés au centre de la démarche et gardent une main sur les manettes de contrôle. « On ne leur explique pas les méfaits du tabac sur la santé de manière générale, par exemple, mais on les invite à nous parler de ces méfaits sur leur santé et c’est de là que part la discussion », illustre Sarah Monette. Les participants de Respire-action décident aussi des règles de leur groupe. « Un groupe de la Maison populaire de Joliette a décidé qu’il fumerait à la pause, mais seulement une cigarette, illustre Sarah Monette. Pour ces participants, c’était un gros défi, parce qu’ils fument parfois deux ou trois cigarettes en quinze minutes! »

S’attaquer aux inégalités sociales de santé

Au-delà de ces quelques grands principes, le contenu de Respire-action est adapté pour coller aux réalités et aux besoins de chaque milieu. « Il ne faut pas arriver avec des programmes rigides, mais rester souple et toujours garder l’esprit ouvert », dit Sarah Monette. À la Maison populaire de Joliette, le programme a déjà été offert deux fois à des groupes de quatre à cinq personnes. Or, cet organisme accueille des personnes défavorisées, analphabètes, déficientes intellectuelles ou toxicomanes. Bref, les questionnaires et échelles d’évaluation habituellement utilisés dans ce genre d’atelier ne fonctionnaient pas. Le contenu du Respire-action est donc amené de façon plus dynamique, voire ludique, avec des exercices de groupe, par exemple. Le chapitre sur les aides pharmaceutiques, notamment, a été modifié. « La plupart de nos membres sont très méfiants à l’égard des soutiens à la cessation, explique Pierre-Hugues Sylvestre. Plusieurs prennent déjà beaucoup de médicaments qui leur causent des effets secondaires physiques et psychologiques très désagréables. Pour eux, prendre un énième médicament n’est donc pas vraiment une option, surtout que celui-ci risque d’affecter ceux qu’ils prennent déjà! » L’atelier présente donc ces soutiens à la cessation de manière plus générale en interrogeant les participants à propos de certains mythes et en révisant avec eux les façons de les utiliser. Enfin, la présence d’un employé de la Maison populaire de Joliette aux côtés de l’animateur du programme a beaucoup contribué au succès du programme. « Cela en a facilité la promotion, aidé à mettre les participants en confiance et permis de faire des suivis avec eux au besoin », dit Sarah Monette.

Vers la cinquième ou sixième rencontre, plusieurs participants de la Maison populaire de Joliette avaient déjà modifié leur consommation.

Les participants aux commandes

Alors qu’à la première séance à la Maison populaire de Joliette, plusieurs participants étaient ambivalents au sujet de leur consommation de tabac, vers la cinquième ou sixième rencontre plusieurs d’entre eux avaient déjà modifié leur consommation, voire migré vers un plan d’action afin de cesser de fumer. Ainsi, quelques mois après la fin du programme, certains ont complètement arrêté de fumer, tandis que d’autres ont diminué leur consommation. « Ils voient l’impact sur leur budget, et ça leur donne envie de réduire encore plus », se félicite Pierre-Hugues Sylvestre. « C’est auprès de cette population que l’on retrouve le taux de tabagisme le plus élevé alors qu’elle n’est pas toujours facile à joindre, rappelle Mme Monette. Dans le cadre des inégalités sociales de santé, c’est crucial de travailler avec cette clientèle. » Pour ce faire, la DSP a même réservé un budget de 2000 $ par session, afin de payer les animateurs, louer la salle auprès de l’organisme communautaire et offrir des collations santé aux participants. Au final, cela a contribué à réduire le tabagisme de cette population défavorisée. Sans compter que, pour plusieurs participants, arriver à contrôler leur tabagisme, même un peu, a été la source d’une très grande fierté. Bref, adapter les programmes de cessation pour les populations défavorisées semble plus que prometteur.

INSPiRe Autrement : miser sur les jeunes qui vont bien
Valérie Houle, agente de ‎planification, de programmation et ‎de recherche, DSP de la Capitale-‎Nationale

À la DSP de la Capitale-Nationale, l’approche des normes sociales sert à prévenir le tabagisme chez les jeunes. En gros, elle vise à ajuster les perceptions des intervenants, des jeunes et de leurs parents en leur rappelant, sources à l’appui, que la majorité des adolescents ne fument pas de tabac ni de cannabis et qu’ils ne boivent pas ou peu d’alcool. Ce message n’est simple qu’en apparence. « L’impression que tous les jeunes fument, prennent de la drogue et boivent est persistante », explique Valérie Houle, agente de planification, de programmation et de recherche à la DSP de la Capitale-Nationale. L’objectif de cette approche est que la majorité d’ados sains (c’est-à-dire la norme) influence les autres jeunes.

INSPiRe Autrement (Intervention sur les normes sociales associées aux produits du tabac, aux boissons énergisantes, à l’alcool, aux drogues illicites et aux jeux d’argent en milieu communautaire jeunesse) a été un projet pilote, en 2014-2015, avant d’être intégré au Plan d’action régional de santé publique 2016-2020. Ce projet comporte trois volets : former et accompagner les intervenants, aider les jeunes à réfléchir sur les normes sociales et à créer des messages sur les vrais taux de tabagisme, et diffuser ces messages dans la communauté. « Pour l’instant, nous avons surtout abordé et évalué le volet intervenant », dit Mme Houle. La bonne nouvelle : en un an, elle a constaté, avec son équipe, que les perceptions des intervenants se sont rapprochées des statistiques observées dans les enquêtes.

En deux ans, les activités proposées aux jeunes ont gagné en souplesse. « INSPiRe ne propose plus aux milieux des activités précises basées sur les normes sociales  : on les invite plutôt à discuter de l’approche et on les accompagne pour qu’ils trouvent comment la faire vivre en fonction de leurs besoins et réalités », dit Valérie Houle. Un appel de projets lancé fin 2016 a permis de financer sept initiatives par et pour les jeunes qui souhaitent parler autrement du non-tabagisme et de la non-toxicomanie de leurs camarades à l’ensemble de leur communauté. Un deuxième appel d’offres sera lancé cet automne en prévision de la prochaine année.

Happi : mettre les jeunes en valeur
Les événements Happi montrent aux jeunes qu’ils peuvent s’amuser sans ‎consommer de tabac ni de drogue.‎

Un bon exemple de projet qu’a retenu INSPiRe Autrement est Happi de la Maison de jeunes L’Atôme, de Stoneham. Happi, ce sont des événements organisés par et pour des jeunes, qu’il s’agisse d’un barbecue, d’une « journée plage » à l’école ou d’une distribution de fruits. « L’idée est de démontrer à nos adolescents qu’il est possible d’avoir du plaisir sans consommer », explique Stéphanie Racine, directrice de la Maison de jeunes L’Atôme. Au cours de ces événements, les organisateurs s’assurent de diffuser, discrètement, les statistiques sur l’usage du tabac ou de l’alcool par les jeunes. Avec ses partenaires (dont deux écoles secondaires), Mme Racine songe à créer une certification Happi afin d’accréditer des événements existants. À première vue, les « journées plage » ou les distributions de fruits conçues et organisées par des jeunes peuvent avoir l’air un peu léger face aux souffrances et aux décès dus au tabac, mais ce n’est pas le cas. « Les événements Happi jouent sur les facteurs de protection contre le tabagisme tels que l’appartenance au milieu, la confiance en soi et l’adoption de saines habitudes de vie », rappelle Mme Houle.

Alors qu’une vingtaine de milieux étaient impliqués dans INSPiRe Autrement au moment du projet pilote, une quarantaine d’entre eux seront présents lors d’un événement régional portant sur cette initiative à l’Université Laval, en octobre. Une centaine de participants sont attendus. « INSPiRe Autrement, c’est une vague de fond, un vent de fraîcheur, dit Stéphanie Racine. C’est une nouvelle façon de parler des jeunes et de les défendre qui est très appréciée. » Enfin, dans le cadre de la Semaine de prévention des dépendances, à la fin novembre, INSPiRe Autrement lancera une campagne média afin de rappeler que la majorité des jeunes ne fument ni tabac ni cannabis et qu’ils ne boivent pas ou peu. La campagne sera diffusée par l’entremise d’affiches, sur le Web et même dans les cinémas de la région. Les jeunes, évidemment, ont été impliqués dans la conception de celle-ci!

Anick Labelle