Des produits du tabac à moindre risque, courtoisie… des cigarettiers

Plusieurs compagnies, dont certains cigarettiers, commercialisent des produits du tabac « à moindre risque ». Peut-on réellement s’y fier ou doit-on se méfier de ces produits qui maintiennent une dépendance à la nicotine?

Est-ce possible de conserver le « kick » de la nicotine tout en réduisant grandement les méfaits du tabac? A priori, cela semble trop beau pour être vrai. Pourtant, c’est ce que promettent les nouveaux produits à risque réduit des compagnies de tabac R.J. Reynolds, Swedish Match et Philip Morris International, entres autres. Que penser de ces nouvelles marchandises qui pourraient faire leur entrée sous peu au Canada? Sont-elles réellement moins risquées que les cigarettes, cigarillos, chicha et autres produits du tabac combustibles?

De nouveaux produits du tabac à moindre risque pourraient faire leur apparition sous peu au Canada : 1- la cigarette Revo, de R.J. Reynolds; 2- les cigarettes Marlboro HeatSticks et iQOS de Philip Morris International; 3- du snus suédois, de Swedish Match.
De nouveaux produits du tabac à moindre risque pourraient faire leur apparition sous peu au Canada : de gauche à droite, la cigarette Revo, de R.J. Reynolds; les cigarettes Marlboro HeatSticks et iQOS de Philip Morris International et du snus suédois, de Swedish Match.
Une question controversée

C’est connu : c’est la nicotine qui rend les fumeurs dépendants, mais c’est la fumée qui les tue. Les experts s’entendent généralement sur le fait que, pour se libérer de cette dépendance, le mieux est de se débarrasser complètement du tabac. Mais que faire des fumeurs qui se croient incapables de le faire? Certains croient que, dans leur cas, les produits du tabac à risque réduit ou sans fumée pourraient être une solution. En effet, ceux-ci leur permettraient à la fois de satisfaire leur dépendance à la nicotine tout en réduisant les risques pour leur santé.

Si l’idée semble simple, son application l’est moins. En effet, pour réellement réduire les risques reliés au tabac, les produits « à risque réduit » doivent remplir plusieurs conditions. Par exemple, être assez attirants pour que les fumeurs délaissent complètement les produits du tabac combustibles, ne pas diminuer les arrêts tabagiques complets et ne pas attirer les non-fumeurs. « Si un produit du tabac est marginalement moins dangereux qu’un autre, mais utilisé par beaucoup plus de gens, cela pourrait mener à une augmentation des méfaits », note l’Association pour les droits des non-fumeurs dans Harm Reduction in Tobacco Control: What is it? Why should you care? (Réduction des méfaits dans la lutte contre le tabac : de quoi s’agit-il? Pourquoi devriez-vous vous en soucier?).  Par contre, « si les réductions du risque sont importantes, la santé publique en bénéficie, même si la consommation augmente beaucoup. » (notre traduction).

Une panoplie de nouveaux produits

Historiquement, les tentatives de réduction des méfaits ont plutôt été des efforts de marketing de la part de l’industrie qui visaient surtout à rassurer les fumeurs. Ce fut le cas, dans les années 1950, de la commercialisation à grande échelle des cigarettes avec un filtre et, dans les années 1970, de l’invention des cigarettes « légères ». C’est pourquoi, aujourd’hui, l’arrivée de « nouveaux » produits à risque réduit sur le marché en inquiète certains. Aux États-Unis, depuis 2009, la Food and Drug Administration (FDA) permet la commercialisation de ces produits. Les manufacturiers qui déposent une demande doivent démontrer que leur produit est effectivement moins dangereux que ceux déjà sur le marché et qu’il n’attirera pas les non-fumeurs. En 2014, Swedish Match a soumis une demande pour son snus (prononcé « snousse »). Il s’agit d’une petite poche de tabac aromatisé et salé qui se coince entre la dent et la gencive.

R.J. Reynolds et Philip Morris International (PMI) reviennent aussi sur le marché. Dernièrement, ces deux compagnies ont introduit dans quelques villes des cigarettes qui chauffent du tabac sans le brûler. La cigarette de R.J. Reynolds (Revo) rappelle les cigarettes Eclipse et Premier que la compagnie commercialisait il y a une vingtaine d’années. PMI propose de son côté deux modèles : Marlboro HeatStick et iQOS.

Réduction des risques : une analyse compliquée
André Gervais
André Gervais, pneumologue et médecin-conseil à la Direction de santé publique de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal

Alors, le snus, la Revo ou l’iQOS : bonne ou mauvaise nouvelle? A priori, ces produits sont moins dangereux puisqu’ils ne produisent pas de fumée. Dans certains cas, les fumeurs tendent même à les utiliser en remplacement des produits combustibles. Deux importantes études longitudinales menées en Norvège montrent une corrélation entre l’usage à la hausse du snus et celui à la baisse des autres produits du tabac. En Suède (seul pays de l’Union européenne où la vente de snus est légale), on trouve un usage élevé de snus de même que l’un des taux les plus bas au monde de cancer du poumon. Dans tous ces cas, d’autres facteurs que le snus entrent probablement en jeu, comme l’acceptabilité sociale de ce produit dans ces pays. Bref, les produits du tabac sans fumée ne sont pas nécessairement une panacée. D’abord, moins dangereux ne signifie pas sans danger. « Le tabac sans fumée cause [notamment] le cancer de la cavité buccale, le cancer de l’œsophage et le cancer du pancréas », notent le National Cancer Institute and les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis (notre traduction). Ensuite, il y a la question du double usage, c’est-à-dire le cas des fumeurs qui adoptent un produit sans fumée tout en grillant de temps à autre un « vrai » produit du tabac.

Or, les fumeurs qui veulent réduire au maximum les risques reliés au tabagisme doivent complètement abandonner le tabac combustible. « Le risque de souffrir d’une maladie liée au tabagisme dépend à la fois de la quantité de tabac consommée et de la durée de la consommation, rappelle le Dr André Gervais, pneumologue et médecin-conseil à la Direction de santé publique de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. En continuant de fumer quelques cigarettes par jour, un fumeur maintient son risque de maladies cardiovasculaires, et la diminution de son risque pour les autres pathologies est difficile à évaluer. » Pourtant, rien ne garantit que si le snus ou les cigarettes chauffantes sont introduits au pays, les fumeurs canadiens abandonneront complètement les cigarettes, les cigares ou la pipe. L’acceptabilité sociale du tabac à chiquer, par exemple, n’est pas la même ici qu’en Scandinavie. Certains craignent aussi que les produits du tabac sans fumée soient vendus dans des emballages très semblables à ceux des cigarettes combustibles. Ils feraient ainsi indirectement la publicité de ces dernières et pourraient attirer autant des fumeurs que de non-fumeurs.

« Leur premier objectif n'est pas d'améliorer la santé publique ou de réduire le taux de tabagisme, mais de diversifier leurs marchés et d'augmenter leurs profits. » - Mario Bujold Directeur général du Conseil québécois sur le tabac et la santé
« Leur premier objectif n’est pas d’améliorer la santé publique ou de réduire le taux de tabagisme, mais de diversifier leurs marchés et d’augmenter leurs profits. »
– Mario Bujold
Directeur général du Conseil québécois
sur le tabac et la santé
Toujours plus de profits

Ces nouveaux produits ont un dernier défaut : la motivation des compagnies de tabac qui les vendent. « Leur premier objectif n’est pas d’améliorer la santé publique ou de réduire le taux de tabagisme, mais de diversifier leurs marchés et d’augmenter leurs profits », dit Mario Bujold, directeur général du Conseil québécois sur le tabac et la santé. Or, puisque ces produits sont en vente libre, autant les fumeurs que les non-fumeurs peuvent se les procurer.

« La position officielle de la Direction de santé publique de Montréal (réitérée dans Montréal sans tabac : Pour une génération de non-fumeurs) est claire : imposer un moratoire sur la vente de nouveaux produits et de ceux qui s’y apparentent, conclut le Dr André Gervais. Cela s’applique au snus, d’autant plus qu’il existe déjà un produit à risque réduit sur le marché : la cigarette électronique avec nicotine. » Qui, elle-même, suscite déjà tout un débat (voir l’article en page 11)!

Anick Labelle