Des procès à l’américaine

Alors que le Québec attend la décision du juge Brian Riordan dans les recours collectifs, Info-tabac rappelle trois célèbres affaires judiciaires ayant impliqué des cigarettiers aux États-Unis. 

L’industrie du tabac empoisonne sciemment les fumeurs depuis des décennies. Les tribunaux lui demandent maintenant de répondre de ses actes. Au Québec, la Cour supérieure se prononcera sous peu sur le rôle des cigarettiers dans les maladies causées par le tabac et la dépendance à la nicotine d’environ un million de fumeurs. En attendant cet important jugement, Info-tabac revient sur trois décisions historiques sur cette industrie.

Howard Engle

En 1994, Howard Engle dépose un recours collectif contre les grands cigarettiers américains et leurs associations. Il les accuse d’avoir rendu des centaines de milliers de fumeurs dépendants au tabac sans les aviser des dangers que représentait ce produit. En 2000, les plaignants obtiennent gain de cause : la cour leur accorde 145 milliards de dollars US. Le jury statue que les cigarettes entraînent une dépendance et causent des maladies. Il conclut aussi que les cigarettiers ont vendu un produit défectueux et déraisonnablement dangereux et conspiré pour cacher ces faits.

Le jury statue que les cigarettes entraînent une dépendance et causent des maladies. Il conclut aussi que les cigarettiers ont vendu un produit défectueux et déraisonnablement dangereux et conspiré pour cacher ces faits.

Engle
Howard Engle a intenté un recours collectif contre les cigarettiers en 1994. Il est décédé en 2009, après avoir partiellement gagné sa cause.
Photo : Miami Herald

Ce jugement historique est toutefois cassé en appel. Le deuxième jugement conclut que la somme accordée est excessive. Il décrète aussi qu’un recours collectif est inapproprié parce que les membres du recours ont des maladies et des raisons de fumer trop différentes. En 2006, la Cour suprême de la Floride renverse à son tour ce deuxième jugement… à moitié. Elle maintient l’annulation du recours collectif, mais permet aux plaignants de mener des poursuites individuelles en s’appuyant sur les torts des cigarettiers, dévoilés lors du premier procès. Quelque 8000 victimes vont de l’avant. À l’automne 2012, une centaine de ces jugements individuels avaient été rendus : plus de la moitié étaient favorables aux plaignants. Au total, ceux-ci avaient reçu environ 500 millions de dollars, rapporte le Florida Bar Journal. Fin février 2015, trois cigarettiers ont accepté de verser 100 millions de dollars à plus de 400 plaignants en échange de l’abandon des poursuites.

Des jugements encore plus sévères s.-v.-p.

« Ces procès ont été importants, mais ils n’ont ni réellement modifié les comportements des cigarettiers ni vraiment entamé leurs profits », remarque Mario Bujold, directeur général du Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS). Le CQTS est l’un des corequérants dans les recours collectifs au Québec. « Pour changer la donne, les gouvernements doivent faire leur part », ajoute M. Bujold. En clair, prendre acte de ces jugements et restreindre au maximum une industrie reconnue coupable à multiples reprises.

Master Settlement Agreement

En 1997, des dizaines d’États américains poursuivent les cigarettiers pour récupérer les sommes déboursées pour traiter les maladies liées au tabac. En 1998, quatre grands cigarettiers (Lorillard, Philip Morris, Brown & Williamson, R.J. Reynolds) conviennent d’une entente à l’amiable avec 46 États. C’est le Master Settlement Agreement (MSA). Par la suite, une quarantaine d’autres compagnies de tabac se joindront à cette entente.

Dans le MSA, les cigarettiers s’engagent notamment à :

  • verser aux États 206 milliards de dollars US entre 2000 et 2025;
  • restreindre leur marketing, notamment auprès des jeunes;
  • rendre accessibles leurs documents internes dévoilés lors du procès.

La somme exacte versée par chacun des cigarettiers varie annuellement selon le volume de cigarettes vendues et les parts de marché. L’entente ne précise pas la façon dont les États peuvent dépenser l’argent, mais leur suggère fortement d’en réserver une part importante à la lutte contre le tabagisme.

RICO

En 1999, le département de la Justice des États-Unis accuse neuf cigarettiers et deux organismes de l’industrie d’avoir contrevenu à la Racketeer Influenced and Corrupt Organization Act (RICO). En clair, d’avoir « conspiré pour tromper le public américain au sujet des effets du tabagisme et de la fumée secondaire sur la santé, de la capacité de la nicotine d’engendrer une dépendance et des avantages pour la santé des cigarettes ‘‘légères’’ » (notre traduction).

En 2006, la juge Gladys Kessler tranche en leur faveur. Son jugement de plus de 1600 pages leur interdit notamment de décrire leurs produits de manière trompeuse (par exemple : qualifier des cigarettes de « légères ») et de reconstituer des groupes paravents, c’est-à-dire des groupes financés par l’industrie, mais présentés comme indépendants. La juge Kessler leur ordonne aussi de reconnaître publiquement avoir trompé le public et de rétablir les faits. L’application exacte de certains aspects de cet important jugement fait encore l’objet d’appels.

Anick Labelle