Des groupes pro-santé réclament un moratoire sur l’introduction de nouveaux produits du tabac

Les Médecins pour un Canada sans fumée (MCSF), la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT) et la Société canadienne du cancer (SCC) réclament des pouvoirs publics qu’ils interdisent l’introduction par l’industrie de nouveaux produits du tabac sur le marché canadien.

Profitant de la présence d’environ 520 personnes à la sixième Conférence nationale [canadienne] sur le tabagisme ou la santé, qui se tenait à Montréal du 1er au 4 novembre, les trois groupes pro-santé ont fait valoir de nombreux points à l’appui de leur prise de position.

À leurs yeux, le lancement de nouvelles marques de cigarettes, ou la mise en vente des mêmes marques de produits du tabac dans de nouveaux emballages, le tout souvent assorti de trompeuses allusions au caractère moins nocif des nouveautés, sont des prétextes de l’industrie pour ranimer régulièrement la curiosité des fumeurs, et pour provoquer des « essais » parmi les adolescents qui n’ont pas commencé à fumer. Des études scientifiques montrent que ces essais tournent vite et souvent à la dépendance, et permettent à l’industrie de remplacer ses clients qui décèdent prématurément.

« Si on tentait d’introduire aujourd’hui les cigarettes pour la première fois sur les marchés, jamais les gouvernements n’autoriseraient leur vente », souligne Flory Doucas, codirectrice de la CQCT. La raison pour laquelle la cigarette demeure un produit légal, qui est d’éviter de criminaliser la consommation d’une fraction considérable de la population, ne peut servir à justifier les gouvernements de tolérer le lancement incessant de nouveaux poisons attrayants sur le marché, fait remarquer Mme Doucas.

Les MCSF, la CQCT et la SCC s’opposent aussi au lancement par l’industrie de nouvelles marques de tabac non combustible (TNC), auxquelles ils reprochent d’« empêcher les fumeurs de profiter des interdictions de fumer [dans les lieux publics et les milieux de travail] » pour arrêter complètement de fumer. Le TNC, qu’il soit consommé en fragments de feuilles, en pâte, en sachets ou en poudre; qu’il soit chiqué, sucé ou prisé; est offert dans toute une palette de saveurs et arômes, ce qui dissimule le goût âcre du tabac et favorise le recrutement de consommateurs, y compris pour le tabac fumé. C’est en toute légalité que les produits de tabac non combustible sont bourrés d’additifs aromatisants, puisque même la Loi restreignant la commercialisation du tabac auprès des jeunes d’octobre 2009 ne les touche pas.

Cancer du sein : mettre en garde

Pour leur part, Cynthia Callard et Neil Collishaw, la directrice exécutive et le directeur de la recherche des Médecins pour un Canada sans fumée, ont saisi l’occasion offerte par la Conférence de Montréal pour demander à Santé Canada de parler du cancer du sein dans sa prochaine série de mises en garde sanitaires à apposer sur les emballages de produits du tabac.

Il existe maintenant une preuve concluante d’un lien direct entre l’inhalation involontaire de fumée par des femmes préménopausées et leur risque d’être atteintes de ce cancer un jour, s’ajoutant à la preuve d’un lien direct avec le tabagisme actif chez des femmes de tous âges.

Emballages : neutraliser et uniformiser

La directrice des politiques de l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF), Melodie Tilson, a elle aussi souhaité un rafraîchissement prochain desdites mises en garde. Son groupe a profité du rassemblement de Montréal pour lancer une brochure qui explique avec éloquence comment leur efficacité serait accrue par une obligation faite aux fabricants de produits du tabac d’offrir ceux-ci dans des emballages neutres et uniformes. Présentement, par exemple, sur les paquets de Du Maurier, la marque de cigarette la plus vendue au pays, le mécanisme d’ouverture du paquet le décapite de sa mise en garde illustrée au moment même où le fumeur voit apparaître les bouts de ses cigarettes. Idem avec l’emballage de Benson & Hedges Super­slims.

En s’ouvrant, ces deux nouveaux paquets amputent leurs mises en garde.

Le rapport de l’ADNF montre aussi comment les fabricants utilisent une variété de couleurs, de formats et de mécanismes d’ouverture des paquets, parmi divers moyens, pour distinguer des marques de produits pratiquement identiques et les associer à la mode et à des styles de vie. Ainsi, le paquet de cigarettes XS Extra Slims est exactement du format d’un appareil BlackBerry. Les emballages des différentes marques se promènent avec le fumeur comme autant de badges visibles par des jeunes qui n’ont pas encore commencé à fumer. Certains paquets servent aussi à faire directement de la publicité pour d’autres marques, souvent en misant sur l’identification avec un style de vie, un procédé publicitaire pourtant interdit au Canada par la Loi sur le tabac de 1997.

Comme le groupe de Melodie Tilson le fait observer, la recherche scientifique permet de croire que le prix que les fumeurs accepteraient de payer pour leurs cigarettes, si elles étaient vendues dans des emballages sobres et indistincts, serait nettement plus bas que maintenant. Des marques désormais impossibles à distinguer les unes des autres iraient de pair avec une baisse substantielle de la demande de marché. Des experts juridiques ont aussi déjà conclu que la Convention de Paris pour la protection de la propriété intellectuelle ne fournit aucune assise aux multinationales détentrices des marques leur permettant de s’opposer à l’obligation de vendre leur marchandise dans des paquets neutres et uniformes.

Melodie Tilson affirme que sans un contrôle sur les emballages, il n’y aura pas de réelle interdiction de la publicité du tabac en vigueur au Canada. L’interdiction totale de la publicité et de la promotion est pourtant prévue par l’article 13 de la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac, ratifiée par 167 pays, incluant le Canada.

Poursuites : gagner plus qu’un dédommagement

Lors de la même Conférence de Montréal, des spécialistes de la lutte contre le tabagisme ont tenu à rappeler aux gouvernements des provinces canadiennes que les poursuites en dommages et intérêts contre l’industrie ne devaient pas seulement déboucher sur un arrangement financier.

Pour Michael Perley, le directeur général de la Campagne ontarienne d’action contre le tabac, les poursuites judiciaires doivent aussi viser à obtenir la divulgation de documents internes de l’industrie encore secrets, un aveu public par l’industrie de sa responsabilité dans le carnage des dernières décennies, et une assurance de son changement de comportement, notamment en matière de marketing.

Après ce qu’il a observé de l’expérience des États américains lors de leur méga-entente à l’amiable avec l’industrie en 1998, Rob Cunningham, l’expert juridique de la Société canadienne du cancer, estime que les responsables de la santé publique doivent être associés à chaque étape du long processus de réclamation et de réparation. « Les critiques croient qu’une plus grande partie de l’argent découlant de l’entente [des États américains avec l’industrie] aurait dû être allouée aux mesures antitabac… », note l’avocat de l’organisme philanthropique.

Lors d’un atelier où un procureur du Minnesota, Doug Blanke, est venu expliquer les conditions de succès d’une poursuite gouvernementale contre l’industrie, Michael Perley a exprimé sa crainte d’une entente à l’amiable à rabais. Celle négociée par le gouvernement Harper avec Imperial Tobacco Canada et Rothmans Benson & Hedges, des compagnies qui étaient accusées d’avoir approvisionné le marché noir des cigarettes au début des années 1990, a déçu M. Perley. Pour sa part, Francis Thompson, conseiller du groupe de coopération internationale HealthBridge en matière de lutte contre le tabagisme, s’est demandé si ce combat pour la santé publique, compte tenu des différences institutionnelles entre les deux pays, et à la lumière de l’expérience américaine, pouvait espérer d’une approche judiciaire quelque chose d’impossible à obtenir par une approche législative, à part davantage d’argent.

Une conférence contre une épidémie discrète
Les séances plénières réunissaient la plupart des 520 participants.

Ce n’est pas un mince défi que de rassembler dans un hôtel des centaines de personnes des quatre coins du Canada, durant quatre jours, pour leur donner la chance d’entendre 245 communications plus ou moins longues, à grands renforts de projections de graphiques et de textes sur des écrans, en fournissant des services de traduction simultanée dans deux des salles les plus utilisées, en procurant de l’espace à une vingtaine d’exposants… et en offrant le dîner à tout le monde. Il faut, entre autres, des commanditaires. Santé Canada, le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, Johnson & Johnson, Pfizer, la Société canadienne du cancer, la Fondation des maladies du cœur, et le Centre de formation et de consultation lié au Media Network for Smoke-Free Ontario, ont répondu à l’appel du Conseil canadien pour le contrôle du tabac (CCCT) en 2009.

Avec environ 80 % des délégués à la conférence qui provenaient de l’extérieur du Québec, il a aussi fallu annoncer les couleurs de l’événement tôt au printemps 2009, afin de leur permettre de se décider et de planifier leur voyage, parfois à travers trois fuseaux horaires.

L’organisation de la 6e Conférence nationale sur le tabagisme ou la santé de novembre 2009 avait commencé au printemps 2008 pour Ruta Klicius, l’administratrice des conférences, Bob Walsh, le directeur exécutif du CCCT, et leur petite équipe.

Dès l’hiver 2008-09, un comité d’organisation présidé par le Dr Robert Strang, qui est aussi directeur de la Santé publique de la Nouvelle-Écosse, et le comité de programme, animé par la professeure Ann Royer de Québec, qui s’occupe de la lutte contre le tabagisme avec la Direction régionale de santé publique de la Capitale-Nationale, étaient à pied d’œuvre pour préparer la conférence sur les plans matériel et scientifique.

Malgré ces efforts, comment aurait-on pu facturer un gros prix d’inscription, puis livrer un contenu de haute qualité dans une ambiance agréable, si une trop grande part des conférenciers et de leur auditoire, souvent spécialistes de la santé publique, s’étaient trouvés enrôlés dans les vastes opérations de prévention et de combat contre le virus A(H1N1) et obligés de se décommander? Cette inquiétude est venue s’ajouter aux préoccupations habituelles des organisateurs.

Finalement, peu d’intéressés ont manqué le rendez-vous montréalais et il s’est déroulé à merveille. « Ce fut une belle expérience », « motivante », qui fait constater qu’« on n’est pas seul » à combattre le tabagisme, relate Christine Demers, qui travaille au Conseil québécois sur le tabac et la santé. Mme Demers assistait pour la première fois de sa carrière à un événement antitabac de ce type et de cette envergure, et elle s’est amenée à l’hôtel Reine Elizabeth dès le dimanche 1er novembre, accompagnant une vingtaine de jeunes de la Gang allumée pour une vie sans fumée habitant Montréal, lesquels ont pu rencontrer d’autres jeunes du Canada et échanger avec eux des connaissances théoriques et pratiques sur un enjeu qui leur tient à coeur. Le Conseil canadien pour le contrôle du tabac avançait ainsi dans l’atteinte d’un de ses buts, qui est de favoriser l’acquisition de compétences utiles à la lutte contre le tabagisme. Il n’y a pas d’âge pour cela.

Pierre Croteau