De gré ou de force, la Formule 1 s’affranchit de l’industrie

L’an prochain, les écuries de Formule 1 devront considérablement limiter la promotion des marques de cigarettes. Toutefois, en ce début de saison 2005, amorcée en mars, le portrait ressemble beaucoup à la situation qui prévalait au cours des dernières années : cinq des dix équipes endossent toujours des produits de l’industrie du tabac.

Un changement tangible est prévu le 31 juillet, date à laquelle plusieurs circuits européens banniront les logos de cigarettes, en vertu d’une directive de l’Union européenne. Chaque pays membre est tenu d’avoir adopté une loi en ce sens. Puisqu’elles ont lieu à la fin de l’été, les épreuves d’Italie (4 septembre) et de Belgique (11 septembre) sont touchées. La Turquie, qui fera son entrée en Formule 1 le 21 août, prévoit aussi accueillir une épreuve sans tabac.

En outre, les trois courses sans tabac de 2004 auront récidivé, soit celles du Canada (12 juin), de France (3 juillet) et de Grande-Bretagne (10 juillet). Au total en 2005, sur 19 épreuves, on en dénombre 6 et demie sans tabac. La curieuse demie se tient aux Etats-Unis où seules les marques vendues dans ce pays sont proscrites.

C’est la Grande-Bretagne qui cause présentement le plus de soucis aux équipes commanditées par le tabac. Dès la fin juillet, elle interdira aux écuries basées chez elle de diffuser des logos de cigarettes depuis l’étranger. Un intense lobby est actuellement déployé auprès des parlementaires anglais afin d’obtenir une dérogation à cette mesure qui touche BAR, Jordan, Renault et McLaren. Mais cette dernière équipe a déjà annoncé qu’à partir du 1er août, la marque de cigarettes West sera remplacée définitivement par celle du whisky Johnnie Walker. L’application stricte de la loi anglaise reste à voir; les avocats des écuries prétendent que la législation ne peut s’appliquer en dehors de l’Europe.

Fini les « Be on edge »

Du côté de BAR, qui appartient maintenant à 45 % au constructeur automobile Honda, on laisse entendre que British American Tobacco pourrait retirer entièrement ses billes à la fin de la saison 2005. Quant à Jordan, elle affiche maintenant une commandite de tabac un peu moins visible, surtout aux yeux des Canadiens. Vendue au richissime russo-canadien Alex Shnaider, l’écurie a délaissé le logo de Benson & Hedges pour une marque soeur, la Sobranie, inconnue ici. En juin 2004 à Montréal, lors du premier Grand Prix canadien sans tabac, cette équipe s’était moquée de nos législations en enlevant quelques lettres du nom Benson & Hedges, laissant les mots Be on edge, qui signifient « être alerte » en anglais. Par cette manoeuvre, la marque de cigarettes était facilement reconnaissable. Santé Canada confirme avoir reçu plusieurs plaintes à ce sujet. Le dossier est actif et sous enquête.

Ainsi, fin avril 2005, quatre écuries pro-tabac n’avaient pas encore baissé les bras en vue de la saison 2006. En plus des Jordan et BAR, l’équipe championne de 2004, Ferrari, continue à narguer la communauté mondiale de la santé avec sa marque rouge Marlboro. Enfin, l’écurie Renault expose la marque japonaise Mild Seven avec une fidélité à toute épreuve. Son patron Patrick Faure a déclaré (à un journaliste du site GrandPrix.com) que sa troupe allait respecter les législations en vigueur, une course à la fois. Il espère que d’ici la fin de 2006, de nouveaux commanditaires se montreront intéressés à prendre la relève, une fois le circuit dissocié de l’industrie du tabac.

Ces mois-ci, très peu d’articles de journaux traitent des commandites du tabac en Formule 1. Cela semble déjà de l’histoire ancienne. Les spécialistes de sport automobile se passionnent plutôt pour les changements aux règles et l’avenir du circuit, dont la propriété et les profits sont disputés entre le milliardaire anglais Bernie Ecclestone, certaines banques allemandes et des constructeurs automobiles. Il semble que tous ces gens, tout comme le champion Michael Schumacher, seront capables de survivre sans faire la promotion d’un produit qui tue cinq millions d’humains par année. Selon le magazine Forbes, M. Schumacher, porte-étendard de la marque Marlboro, est le sportif le mieux rémunéré au monde, à égalité avec le golfeur Tiger Woods, avec 80 millions US en 2004.

Denis Côté