Convention-cadre mondiale : les négociations progressent

Tenue en novembre dernier à Genève sous les hospices de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la quatrième séance de négociations en vue de la future Convention-cadre pour la lutte antitabac, a réalisé des progrès inattendus.

Maintenant dirigée par Kenneth Bernard, adjoint au Surgeon General, la délégation américaine s’est comportée de manière plus constructive qu’à la séance de mai 2001, alors qu’elle fut accusée de blocage. Les Américains ont même pris le leadership dans le domaine de la FTE, exigeant des dispositions « plus fortes et plus spécifiques », selon ce qu’a déclaré au journal médical The Lancet le Dr Derek Yach, responsable du programme antitabac à l’OMS.

Les deux prochaines séances, prévues pour mars (du 18 au 23) et octobre prochains, seront déterminantes pour le traité devant être adopté en mai 2003. Choisir le successeur au Brésilien Celso Armorim à la présidence des négociations est l’objet de bien des tractations. Revendiquant une convention musclée, l’Afrique du Sud propose la candidature de sa ministre de la Santé, Manto Tshabalala-Msimang, lauréate d’un prestigieux prix Luther L. Terry pour la réduction du tabagisme dans son pays. Devant la multitude d’opinions divergentes sur des questions également très variées, et compte tenu de la brièveté des séances, il importe que le président des négociations puisse obtenir des consensus rapides et opérants. Il dispose d’ailleurs d’une bonne marge de manoeuvre qu’il peut utiliser habilement.

Parmi les sujets délicats figure l’interdiction de la publicité du tabac, soutenue par la plupart des pays européens mais que les États-Unis perçoivent comme une atteinte à la liberté d’expression. La lutte contre la contrebande fait toutefois l’unanimité, car toutes les nations tiennent à leurs revenus de taxation. Quant à l’interdiction des distributrices de cigarettes, elle est revendiquée notamment par la Chine et l’Inde, formant à elles seules près de la moitié de la population mondiale. Une « grande quantité de pays », selon le Dr Yack, insistent pour l’imposition de mises en garde de santé très visibles sur les paquets et pour la fin des termes trompeurs, tels que « cigarettes légères ou douces ». Le dirigeant de l’OMS estime que la « tendance générale s’oriente vers un traité respectueux de la santé publique ».

Puisque l’élaboration de la Convention-cadre ne touche pas les populations locales rapidement, elle ne suscite guère d’intérêt de la part des médias. Peu de Canadiens savent que leur pays a joué un rôle de chef de file en matière de promotion et d’élaboration de ce traité international qui, à long terme, pourrait sauver des vies humaines par dizaines de millions! En novembre, la nombreuse délégation canadienne était composée de représentants de plusieurs ministères et d’organismes non gouvernementaux. Auparavant, des journées de consultation s’étaient tenues à Ottawa pour établir les positions gouvernementales, alors que l’industrie du tabac et les groupes de santé ont fait valoir leurs points de vue très rigoureusement.

Selon un sondage du groupe Environics Research de Toronto, mené auprès d’un millier de répondants dans chacun de cinq pays représentant l’éventail de richesses mondiales (Inde, Argentine, Russie, Nigéria et Japon), le public appuie très majoritairement les efforts de l’OMS en vue de l’établissement de normes mondiales antitabac. Au total, 83 % des fumeurs et 89 % des non-fumeurs supportent ce projet, fortement ou généralement. Parmi les cinq pays sondés, l’appui le plus élevé provient de l’Inde (99 %) et le moins élevé du Japon (76 %). Le soutien des répondants aux cinq mesures énoncées est constant, allant de 85 % à 90 %, qu’il s’agisse des restrictions à la publicité, des avertissements sanitaires forts et visibles, de la lutte contre la contrebande, de la réglementation des substances contenues dans le tabac, et même des restrictions sur les endroits où il est permis de fumer. Pas moins de 67 % des fumeurs appuieraient « fortement » des normes internationales en faveur des lieux sans fumée. Tenu entre novembre 2000 et janvier 2001, ce sondage encourageant était financé par l’OMS.

La publicité au cœur des débats

Face aux réserves des trois pays les plus riches de la planète – selon leurs PIB -, c’est-à-dire les États-Unis, le Japon et l’Allemagne, l’Organisation mondiale de la santé et les associations antitabac travaillent intensément pour que les restrictions à la publicité soient les plus strictes possibles. Tant le milieu de la santé que l’industrie du tabac savent à quel point la publicité et les commandites sont efficaces pour répandre et maintenir une image acceptable du tabagisme.

De manière à appuyer ses objectifs, l’OMS a lancé un appel aux législateurs du monde entier, début novembre, pour qu’ils prennent dès maintenant des mesures contre la publicité du tabac. L’organisme onusien réagissait ainsi à une nouvelle campagne de relations publiques commune des trois principales multinationales du tabac, lesquelles venaient d’adopter des normes mondiales volontaires limitant leur marketing. « Il y a trois ans, lorsque nous avons entrepris le processus de négociation de la Convention-cadre, j’ai déclaré que le tabagisme était une maladie transmissible, par la publicité, la promotion et les parrainages », a rappelé le Dr Gro Harlem Brundtland, directrice générale de l’OMS. En plus d’être interpellée par les ravages du tabac, estimés à 4,2 millions de morts en 2000, l’OMS est outrée par les plans manifestes ou secrets de l’industrie pour saper l’émergence d’une convention internationale efficace.

Une semaine avant les négociations de novembre, l’OMS avait de nouveau revendiqué l’élimination du marketing du tabac et l’interdiction de fumer dans les événements sportifs. Trois organisations mondiales sportives s’étaient jointes à cette initiative, soit la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA), le Comité International Olympique et la Fédération Internationale de Football Association (la FIFA, pour le soccer). Le monde de la Formule 1 tourne donc définitivement le dos à l’industrie du tabac qui, toutefois, demeure encore le principal commanditaire de plusieurs écuries. « Seul un accord au niveau mondial sera réellement efficace », a indiqué le président de la FIA, Max Mosley, estimant réaliste la fin de l’année 2006 pour l’arrêt du parrainage du tabac dans le sport automobile. Rappelons qu’en octobre 2000, la FIA avait retenu cette date pour le retrait du tabac de ses courses, laissant six ans aux écuries pour se trouver de nouveaux commanditaires.

Denis Côté