Commentaire : Le Bloc Québécois complice de la désinformation de l’industrie

Pour les organismes de santé québécois, l’aspect le plus désolant du brouhaha entourant l’adoption de la loi Dingwall a sans aucun doute été le comportement irresponsable et bassement électoraliste du Bloc Québécois.

Lorsque David Dingwall a présenté son projet de loi avant le congé des Fêtes, le Bloc s’est dit prêt à en appuyer les principes essentiels, tout en demandant aux libéraux de créer un mécanisme pour dédommager les événements culturels et sportifs qui seraient éventuellement privés de l’argent des commandites du tabac.

Cette position se laissait à la limite défendre. D’ailleurs, plusieurs lobbyistes du côté de la santé avaient demandé aux libéraux de prévoir un fonds de remplacement pour les commandites, car il était clair que l’industrie du tabac essayerait de prendre les événements culturels et sportifs commandités en otage pour faire dérailler la loi Dingwall.

C’est par la suite, et surtout au cours de la première semaine de mars, que les députés bloquistes semblent avoir perdu complètement de vue leur devoir de protéger la santé des Québécois pour se transformer en vulgaires courroies de transmission pour les relationnistes de l’industrie du tabac.

Plusieurs députés du BQ se sont levés en Chambre pour reprendre un vieux mythe : que le but des commandites est de convaincre les fumeurs de changer de marques, plutôt que d’encourager les jeunes à fumer.

« J’aimerais que le secrétaire parlementaire du ministre de la Santé nous dise quel jeune dans son entourage s’est mis à fumer parce qu’il a vu passer Villeneuve à la télévision à 200 km/h, avec une annonce de Marlboro sur son casque? C’est complètement ridicule », a commenté par exemple le député Maurice Bernier.

D’autres bloquistes ont entonné une autre vieille rengaine : le gouvernement fédéral ferait preuve d’hypocrisie en limitant les commandites tout en empochant des milliards de dollars en taxes sur les cigarettes. Pourtant, il est depuis longtemps établi que le tabagisme représente un coût net pour l’État.

D’ailleurs, d’autres bloquistes – on n’en est pas à une contradiction près! – ont critiqué le gouvernement parce qu’il n’a pas le courage d’utiliser suffisamment l’outil antitabagique le plus efficace, c’est à dire la taxation dissuasive.

On ne s’est pas gêné non plus pour reprendre les interprétations tordues de certains articles du projet de loi mises de l’avant par l’industrie. « Est-ce que le premier ministre réalise que si son gouvernement va de l’avant avec ce projet de loi, il n’y aura pas, en fin de semaine prochaine, de télédiffusion du Grand Prix d’Australie, pas plus qu’il n’y aura télédiffusion d’aucun autre Grand Prix plus tard cette saison, et que le projet du ministre de la Santé va porter un coup fatal au Grand Prix de Montréal, ce que les Québécois n’accepteront jamais? », a lancé Michel Gauthier, le chef sortant du BQ.

Certains bloquistes sont allés piger dans le vocabulaire virulent et les arguments étranges du chroniqueur sportif de La Presse, Réjean Tremblay. « On croyait que la montée de l’intégrisme se faisait dans le monde musulman; force nous est de reconnaître que l’intégrisme intégral se retrouve à la Chambre des communes, a lancé Yvan Loubier, député de Saint-Hyacinthe-Bagot. […] On a l’impression que ce ministre est devenu l’ayatollah de la Chambre des communes; il veut gérer nos vies, il veut nous interdire de faire ci, de faire ça. Dans quelle société nous prépare-t-on à vivre? Où sont les ministres et les députés du Québec qui voient un ministre d’une province atlantique mettre en péril une partie importante de l’économie de Montréal? »

Gilles Duceppe, le dauphin présumé de Michel Gauthier, est tombé dans les mêmes excès. « S’il y avait un Grand Prix à Cabot Trail, l’ayatollah de la Nouvelle-Écosse aurait un autre langage », a-t-il lancé.

Danger pour Rochon

Maintenant que la loi Dingwall a franchi l’étape de la Chambre des communes, l’on pourrait croire que la prestation honteuse du Bloc Québécois n’a plus beaucoup d’importance si ce n’est pour les politicologues et les historiens.

D’ailleurs, quelques commentateurs suggèrent même que l’opposition féroce du BQ pourrait augmenter les chances d’une adoption rapide de la loi Dingwall au Sénat : les sénateurs conservateurs se sentiraient mal à l’aise de s’acoquiner avec des « séparatistes ».

Le danger est ailleurs. En présentant les vieux arguments discrédités de l’industrie du tabac à la Chambre des communes, les députés bloquistes ont réduit de beaucoup la marge de manoeuvre du ministre québécois de la Santé, Jean Rochon.

Si M. Rochon arrive à convaincre ses collègues que le gouvernement québécois devrait lui aussi imposer des restrictions sur les commandites, il y a fort à parier que le lobby du tabac et ses fidèles alliés du « Ralliement pour la liberté de commandite » utiliseront les discours enflammés des bloquistes contre la loi Dingwall comme autant de munitions contre le Parti Québécois.

Certains bloquistes ne semblent pas comprendre que la santé publique doit passer avant la politicaillerie. Si au moins ils arrivaient à saisir l’importance de ne pas mettre des bâtons dans les roues du gouvernement souverainiste à Québec, les électeurs préoccupés par le tabagisme auraient peut-être moins de mal à croire leurs beaux discours à propos du « vrai pouvoir » que représenterait le Bloc Québécois…

Denis Côté, coordonnateur d’Info-tabac et membre du Bloc Québécois depuis 1993.