Comment mobiliser la population contre la vente de cigarettes aux mineurs

Si un nouveau virus se mettait à tuer 30 Québécois par jour, on ne parlerait que de cela. Le tabagisme en tue autant, mais on n’en traite pas beaucoup dans les médias.

Ce n’est pas forcément parce qu’on trouve le problème négligeable, mais peut-être parce qu’il fait tellement partie de notre paysage social que les journalistes ne trouvent rien de nouveau à nous dire là-dessus.

Il faut donc parfois jouer le jeu des médias et créer des événements pour qu’ils se penchent sur cet enjeu crucial. C’est ce qu’a fait dernièrement la Régie régionale de la Santé et des Services sociaux (RRSSS) de la Montérégie, et ce de façon assez concluante. Un exemple à étudier et à suivre pour tous ceux qui luttent pour la santé publique…

L’idée était simple : inciter les commerçants à respecter la loi et à ne plus vendre de cigarettes aux mineurs. On est loin de pouvoir régler le problème des ventes aux mineurs uniquement à coups de contraventions et d’amendes – Santé Canada n’a que 10 inspecteurs pour tout le Québec – et il fallait donc faire appel à la population en créant une conscience généralisée du problème.

En collaboration avec Santé Canada et en appliquant en bonne partie le guide d’intervention communautaire de la Société canadienne du cancer, la RRSSS Montérégie a commencé à élaborer une stratégie en octobre 1995. Un des moyens de cette stratégie était de former de jeunes bénévoles pour effectuer des achats de contrôle à travers le territoire.

La Régie s’est associée à un partenaire dans chacune des sept sous-régions de la Montérégie : un CLSC ou un organisme communautaire. En faisant appel aux ressources locales (troupes de Scouts etc.), ces partenaires ont recruté un total de 20 jeunes. Le recrutement permettait déjà de sensibiliser un grand nombre d’adultes et de jeunes à la gravité du problème des ventes aux mineurs.

Après une session de formation, ces jeunes, âgés de 14 à 16 ans, étaient prêts à effectuer des achats de contrôle standardisés. En six semaines, du 10 juin au 19 juillet 1996, ils se sont rendus chez 491 commerçants de la région. Avec les résultats qu’on connaît : un taux de « réussite » de 50 p.cent.

D’après Brigitte Brossard, co-responsable du projet, très peu de commerçants se sont aperçus sur le coup qu’il s’agissait d’achats de contrôle. Ce n’est qu’après que les commerçants se soient déclarés prêts à vendre des cigarettes aux mineurs, lorsque les bénévoles ont prétendu avoir laissé leur argent à la maison, que plusieurs des « victimes » ont « pigé ».

Le but de l’action, il faut le préciser, n’était pas de poursuivre les commerçants fautifs, mais plutôt de recueillir des données et de mieux informer les propriétaires de points de vente de leurs obligations légales.

Deuxième étape du projet : la conférence de presse du 3 septembre pour présenter les résultats des achats de contrôle. La Régie a choisi un hôtel à Longueuil, tout près du pont Jacques-Cartier, dans l’espoir d’attirer les grands médias nationaux. Ce fut un succès inespéré : 29 reportages en tout dans les médias québécois, dont des articles dans tous les quotidiens montréalais. Même plusieurs médias ontariens se sont intéressés aux résultats de l’étude, la première de son genre au Québec.

Pour sa part, la télévision de Radio-Canada est venue filmer une tentative d’achat par un mineur. « On se demandait si le commerçant allait lui vendre des cigarettes, explique Mme Brossard. On avait une chance sur deux qu’il le fasse. Non seulement il était prêt à en vendre, mais il a démontré qu’il était au courant de la loi en disant au jeune qu’il n’avait pas le droit par la loi de lui en vendre, mais que ça allait pour cette fois. »

L’opération ne s’arrête pas là. La RRSSS a ensuite fait le tour des commerçants pour leur expliquer poliment les dispositions pertinentes de la loi. En général, on acceptait bien et l’impact sur les mentalités est loin d’être négligeable. Dernièrement, un commerçant a même appelé à la Régie pour savoir s’il avait le droit de vendre des briquets ou des allumettes aux jeunes, de raconter Mme Brossard.

On ne peut bien sûr pas espérer, par une seule opération ponctuelle, renverser les effets de décennies de banalisation du tabagisme par les fabricants de cigarettes. Mais ce projet semble tout de même avoir convaincu bon nombre de journalistes que la vente de tabac aux mineurs est une question importante.

Lorsque viendra le temps d’instaurer un système de permis de vente pour les cigarettes (mesure qui fera peut-être partie du projet de loi québécois que nous attendons dans quelques semaines), il sera difficile de prétendre qu’il s’agit là de paperasse inutile…

Pour en savoir plus sur ce programme, contacter Brigitte Brossard ou Hélène Gagnon au (514) 928-6777.

Francis Thompson