Colombie-Britannique en tête, des provinces poursuivent l’industrie pour les soins de santé

Deux provinces réputées pour leurs programmes de réduction du tabagisme, la Colombie-Britannique et l’Ontario, ont intenté des poursuites contre l’industrie du tabac, afin de recouvrer leurs dépenses liées aux maladies causées par ce produit. Trois autres provinces, le Manitoba, Terre-Neuve et le Québec, évaluent la pertinence de leur emboîter le pas.

Le gouvernement de la Colombie-Britannique entend introduire une nouvelle loi, de manière à maintenir les procédures judiciaires entreprises contre les compagnies de tabac, en dépit d’un jugement rendu en février qui menaçait de faire échouer sa démarche. C’est ce qu’ont annoncé le procureur général et le ministre de la Santé, Andrew Peter et Mike Farnworth, en conférence de presse le 21 mars.

« Tenir l’industrie du tabac responsable des torts causés par ses produits est un élément de la stratégie de la Colombie-Britannique pour éloigner les enfants du tabac. Aussi longtemps que nos citoyens mourront de maladies liées au tabac et que nos enfants deviendront dépendants de la cigarette, nous continuerons à chercher des compensations de la part de l’industrie et des changements à son comportement d’affaires », a déclaré le ministre Farnworth.

En novembre 1998, le gouvernement de Colombie-Britannique déposait sa poursuite contre l’industrie du tabac pour recouvrer les dépenses engendrées par les maladies liées au tabagisme. Cette action était basée sur une loi de la province introduite une année auparavant, dont les avocats de l’industrie ont contesté la constitutionnalité.

Cependant, la Cour suprême de Colombie-Britannique a statué, en février 2000, que le gouvernement pouvait réclamer compensation auprès des fabricants, mais n’avait pas la juridiction d’édicter une loi impliquant les maisons-mères des trois fabricants canadiens. Plutôt que d’aller en appel devant la Cour suprême du Canada, la Colombie-Britannique a décidé de modifier sa loi afin de ne poursuivre que les compagnies faisant affaires sur son territoire.

L’Ontario poursuit aux États-Unis

C’était au tour de l’Ontario, le 2 mars, d’intenter une poursuite contre les fabricants de cigarettes, alléguant que ceux-ci ont délibérément caché les dangers du tabagisme dans le cadre d’un « vaste complot qui étend son ombre sur l’Amérique du Nord et sur l’Europe ».

Déposée à la Cour fédérale de Manhattan, à New York, la poursuite ontarienne vise, elle aussi, à recouvrer les frais gouvernementaux liés aux maladies causées par le tabac. L’Ontario avait également adoptée une loi, en décembre 1999, pour faciliter sa démarche contre l’industrie du tabac. Terre-Neuve et le Manitoba ont déjà annoncé leur intention d’imiter ces provinces.

Bientôt au Conseil des ministres

Au Québec, le ministre délégué à la Santé, Gilles Baril, a révélé, en conférence de presse le 4 mai, que ses fonctionnaires et ceux du ministère de la Justice préparaient des recommandations à l’intention du Conseil des ministres, basées sur une stratégie solide de poursuite contre l’industrie. Il a refusé de préciser l’échéancier, disant qu’un mémoire sera présenté « bientôt » à ses collègues. En début de mars, M. Baril avait confié à La Presse que son ministère avait créé un comité chargé d’étudier « tout ce qui s’est fait dans le domaine des poursuites envers les compagnies de tabac ».

De surcroît, chez nous, rappelons que deux groupes avaient, à l’automne 1998, déposé des requêtes de recours collectifs au nom de victimes du tabagisme. Poursuivant leur chemin au rythme prudent qui caractérise l’administration de la justice, ces causes n’empêchent en rien le gouvernement du Québec d’intenter une poursuite pour recouvrer ses propres coûts de soins de santé.

Recours collectif du CQTS suspendu

Le 29 février, le juge Jean Normand de la Cour supérieure a suspendu la requête de recours collectif du Conseil québécois sur le tabac et la santé, déposée en novembre 1998 au nom des victimes de cancer et d’emphysème, objectant qu’elle semblait trop similaire à celle défendue par le cabinet de Philippe Trudel et Bruce Johnston, déposée peu avant, cette fois au nom des personnes rendues dépendantes de la nicotine.

Le CQTS en appellera de ce jugement, a révélé son directeur général Mario Bujold, expliquant que la défense des victimes de maladies aussi associées au tabagisme que le cancer du poumon, serait plus aisée que celle basée sur la dépendance à la nicotine, laquelle est encore contestée par l’industrie. L’audition de l’appel a été fixée au 28 juin.

Pour sa part, Me Philippe Trudel a signalé à Info-tabac que son cabinet en était à l’étape de l’interrogation de ses clients, tout en espérant comparaître ce printemps devant le Fonds d’aide au recours collectif. Son collègue et lui viennent de conclure une entente avec le cabinet Kugler-Kandestin, des experts en responsabilité civile, leur permettant de renforcer leur dossier.

Ayant vaincu le CQTS en 1998 dans la course au dépôt des requêtes, les avocats Trudel et Johnston maintiennent leur offre de collaboration avec l’organisme antitabac, représenté, quant à lui, par Me Michel Bélanger. « Nous n’avons jamais fermé nos portes », a mentionné Me Trudel.

Denis Côté