Chez nos voisins du sud, les droits des non-fumeurs, c’est sérieux

La vie de militant antitabac n’étant pas facile au Québec, j’ai pris un mois de vacances récemment. Avec une carte d’abonnement des chemins de fer Amtrak, valable pour 30 jours, j’ai parcouru une douzaine de villes de l’est des États-Unis, de New York à La Nouvelle-Orléans.

J’ai constaté par moi-même les progrès concrets des droits des non-fumeurs chez nos voisins du sud, mais aussi l’omniprésence de la publicité et de la promotion des produits du tabac. Voici, pêle-mêle, mes souvenirs d’« ayatollah ».

Je suis témoin : au pays de la liberté, l’interdiction de fumer semble totale et parfaitement respectée dans tous les magasins et centres d’achats. Aux États, avec ou sans enseigne, les fumeurs éteignent leurs cigarettes avant d’entrer dans un édifice public ou un commerce.

Par exemple, à Pensacola, dans le nord-ouest de la Floride, je suis allé voir une exposition pour gens d’affaires; personne n’y fumait, sauf à l’extérieur, et ce malgré l’absence d’affiches en ce sens. Comble de rectitude politique américaine, les affiches d’interdiction de fumer sont parfois bilingues : en anglais et en braille!

Restaurants sans fumée

Côté restauration, c’est assez partagé. Sauf dans les États et dans les villes où le tabac est interdit dans les restaurants, comme au Vermont, environ la moitié des fast-food sont totalement sans fumée, alors que les restaurants avec service disposent pour la plupart de zones fumeurs.

Mais contrairement au Québec, les non-fumeurs ont habituellement droit à des sections plus grandes et mieux situées. L’aire de restauration totalement sans fumée la plus complète que j’ai vue comprenait 32 comptoirs alimentaires au sous-sol de l’Union Station de Washington, réputée être la plus grande gare au monde.

Pour ralentir cette vague d’interdictions du tabac, Philip Morris publie des guides des restaurants enfumés, sous le nom de Accommodation Program; des étiquettes sont alors offertes aux commerçants, proclamant « Non-Smokers and Smokers Welcome ». Selon le fabricant des Marlboro, 25 000 commerçants américains, surtout des bars et des restaurants, seraient inscrits à ce programme.

Bars et casinos enfumés

Les bars demeurent les derniers refuges des fumeurs, sauf dans les aéroports totalement sans fumée. Il est agréable d’y voir les pionniers des bars sans tabac. À l’aéroport d’Atlanta par contre, les voyageurs avec billets ont accès aux fumoirs subventionnés par Philip Morris. Et à Miami, les fumeurs avisés peuvent se rendre aux deux bars très enfumés du Hilton adjacent à l’aéroport.

La cigarette est également la bienvenue dans les casinos. Au Casino Magic de Biloxi, au Mississippi, même le restaurant McDonald’s permettait aux joueurs affamés de fumer. Si les casinos du Québec deviennent sans fumée, on parlera sans doute d’eux dans toute l’Amérique du Nord!

Publicité omniprésente

Sur le plan de la publicité du tabac, les Américains n’arrivent guère mieux que les Russes ou les Mexicains à limiter les dégâts. Les affiches géantes de cigarettes, en particulier des marques Marlboro et Camel, sont très fréquentes dans les villes et sur le bord des routes.

Le dernier cow-boy de Marlboro (qui n’est pas encore mort d’un cancer du poumon contrairement à deux de ses prédécesseurs) se retrouve un peu partout, notamment dans les points de vente et les magazines.

Au SuperDome de La Nouvelle-Orléans, plus grand centre de rassemblement intérieur au monde avec une capacité de 87 000 personnes, le tableau indicateur est à l’effigie du célèbre cow-boy, bien que l’usage du tabac y soit strictement réglementé.

L’encombrement de présentoirs et d’affiches de cigarettes dans les épiceries et dépanneurs est aussi sinon plus pénible aux États-Unis qu’au Canada. En plus de se faire concurrence sur l’image de leurs marques, les fabricants américains se livrent à une guerre acharnée de spéciaux, de cadeaux promotionnels, de points échangeables en primes, le tout complété par une série de marques génériques qui coupent encore davantage les prix.

Les Newport pour les Noirs

Bien que, selon un récent sondage, les jeunes Noirs de 10e année (12 p. 100) fument presque trois fois moins que les jeunes Blancs (33 p. 100), une marque de cigarettes leur semble destinée. Les quartiers noirs regorgent d’annonces de cigarettes Newport, lesquelles montrent de beaux couples de jeunes Noirs, souriants et sportifs.

Du tennis sans tabac

Au CoreStates Centre de Philadelphie, où les Flyers jouent au hockey, j’ai assisté à un tournoi de tennis professionnel, commandité par la compagnie financière Advanta. Il y est interdit de fumer partout, sauf dans les escaliers de secours.

On n’y trouve aucune annonce de cigarette. Sans doute soutenu par l’absence totale de marques et de fumée de tabac, l’asthmatique Sébastien Lareau, de Boucherville, y a remporté le double, en compagnie de l’Américain Alex O’Brien. Le numéro un mondial Pete Sampras s’était emparé du simple.

Al Gore convaincant

Au hasard du zapping, j’ai vu le vice-président des États-Unis, M. Al Gore, parler deux fois contre le tabagisme à la télévision. Il était très convaincant, affirmant que le tabac tue 400 000 Américains par année. Le vice-premier ministre du Québec, M. Bernard Landry, devrait s’en inspirer.

Amtrak sans tabac

Le réseau ferroviaire Amtrak est en grande partie non-fumeur. Les courts trajets, comme Montréal-New York, sont totalement sans fumée. Les lignes plus longues permettent la cigarette, à certaines heures, dans le wagon casse-croûte.

La ligne Floride-Californie dispose pour sa part de petits salons de fumeurs, peu invitants même pour ces derniers. Les wagons-restaurants, les salles panoramiques et les wagons-passagers sont toujours sans fumée. Sur la côte ouest, les trajets interdisent le tabac en tout temps.

Chambres non-fumeurs

Les hôtels et motels ont généralement des réceptions sans fumée et offrent des chambres non-fumeurs. Un commis m’a précisé que la demande était à peu près de 70 p. 100 pour les chambres non-fumeurs. Les auberges de jeunesse et les YMCA sont en général totalement sans fumée.

Interdiction à l’extérieur

L’interdiction de fumer à l’extérieur est aussi exceptionnelle que celle dans les bars. À l’entrée d’une base militaire de Pensacola, une affiche interdit de fumer à partir de ce point, sauf dans les endroits prévus à cette fin. Au Bayside Market de Miami, la réglementation interdit aussi de fumer à l’extérieur, mais elle n’est pas appliquée.

Le Petit Canada

À quel endroit aux États-Unis ai-je vu la plus grande concentration de fumeurs? Dans le « Petit Canada », voyons! Il s’agit d’un quartier de la ville d’Hollywood (Floride) adopté depuis longtemps par les Québécois francophones, au nord de Miami.

Les restaurants et les terrasses sur le bord de la plage sont très enfumés de Du Maurier, d’Export ‘A’ et de Player’s canadiennes. À éviter si vous n’êtes pas attiré par la fumée de cigarettes, les bedaines de bière et les cancers de la peau.

Le tabagisme et le tourisme

Même après un mois de trajets « à petit budget » aux États-Unis, je n’avais pas hâte de revenir au Québec français, qui se distingue de plus en plus comme étant le château-fort de la cigarette en Amérique du Nord.

Des gens sérieux, parfois même des non-fumeurs, affirment que la « tolérance » québécoise à la fumée de tabac pourrait contribuer au tourisme. Cela n’a guère de sens! L’immense majorité de nos touristes proviennent des États-Unis et du Canada anglais, là où les personnes à revenus moyens ou supérieurs sont de plus en plus réfractaires à la fumée de tabac. De surcroît, chez nos voisins anglophones, les fumeurs sont maintenant habitués aux restrictions tabagiques.

Au contraire, un Québec enfumé nuit au tourisme, en plus de répandre chez nous des maladies graves et évitables par dizaines de milliers.

Denis Côté