Cesser de fumer en continuant d’inhaler

Les fumeurs qui désirent vaincre leur dépendance bénéficient d’un nouvel outil. En effet, la compagnie pharmaceutique Pfizer a procédé au lancement canadien de son inhalateur de nicotine, le 1er juin dernier. Vendu sous le nom de Nicorette inhalateur, cette aide pharmacologique leur permettra de cesser de fumer en reproduisant la même gestuelle que lorsqu’ils portaient une cigarette à leur bouche.

« Les fumeurs répètent ce rituel environ 200 fois par jour, soit plus de 73 000 fois par an », expose le communiqué de Pfizer. De plus, selon un sondage réalisé à la fin avril 2004, 41 % d’entre eux affirment avoir échoué leur dernière tentative d’arrêt tabagique parce que cette manie leur manquait. Directeur de la catégorie des produits antitabac chez Pfizer Canada, Nicolas Pépin souligne que c’est pour les besoins spécifiques de ces personnes que l’inhalateur a été mis au point.

Mode d’emploi

L’inhalateur est en fait un cylindre de plastique de 8 centimètres de long dans lequel sont insérées des cartouches de nicotine. Il ressemble à la cigarette par sa silhouette et sa façon d’administrer la drogue. L’inhalateur fournit au fumeur une nicotine aseptisée, exempte des ingrédients toxiques contenus dans la fumée de tabac. Lorsque l’envie d’une cigarette lui prend, ce dernier n’a qu’à insérer l’embout entre ses lèvres et à aspirer.

Ce ne sont pas les poumons mais plutôt les parois de la bouche et de la gorge qui absorbent la vapeur de nicotine contenue dans les cartouches de l’inhalateur, apprend-t-on dans le guide d’utilisation du produit. Malgré ces quelques ressemblances avec la cigarette, l’inhalateur contient moins de nicotine et la libère plus lentement.

« Les cartouches renferment des doses de 10 mg, mais il n’y a que 4 mg qui sont libérés et environ 2 mg qui sont absorbés », précise M. Pépin. Selon lui, un fumeur moyen utilisera de six à 12 cartouches par jour, soit une ou deux boîtes de 42 unités par semaine. Bien qu’une cartouche ait une durée approximative de 20 minutes, il est possible d’espacer les doses puisque la nicotine n’est libérée que lorsqu’elle est inhalée. Le fumeur peut donc utiliser une même cartouche pour plusieurs séances.

Intervenant en tabagisme à la Clinique d’aide aux fumeurs de la région de Québec, Réjean Lamontagne croit que l’inhalateur peut être une alternative intéressante pour certaines personnes. Toutefois, il ne voit pas d’un bon oeil le fait qu’avec ce produit, le comportement du fumeur qui amène la main jusqu’à sa bouche soit reproduit. « Ce qu’on essaie de faire avec les gens qui veulent cesser de fumer, c’est de briser les habitudes qu’ils avaient avant, explique-t-il. Or, le problème avec un outil comme celui-ci, c’est que si elles ne sont pas bien encadrées, certaines personnes vont l’utiliser dès qu’elles en auront envie, sans pour autant diminuer leurs doses. Certes, l’inhalateur ne contient pas les 4 000 composants chimiques que l’on retrouve dans la fumée de tabac, mais au lieu de briser leur dépendance, des gens l’entretiendront en remplaçant la cigarette par l’inhalateur. »

Effets secondaires

Certains effets indésirables, tels l’irritation de la bouche et de la gorge, une toux ou encore des maux d’estomac, peuvent être ressentis suite à l’utilisation de l’inhalateur. Lors d’essais cliniques, les irritations et la toux des patients s’atténuaient au fur et à mesure que leur traitement progressait.

Afin de ne pas souffrir d’une surdose de nicotine, le guide de l’utilisateur stipule qu’il est très important de ne pas fumer pendant le sevrage. Il signale également que certaines personnes devraient consulter un médecin avant d’utiliser le produit. C’est le cas des femmes enceintes et des individus souffrant :

  • de problèmes cardiaques;
  • de problèmes d’estomac;
  • de haute pression;
  • d’allergies aux médicaments;
  • de diabète nécessitant de l’insuline;
  • de maladies du rein ou du foie;
  • de problèmes pulmonaires chroniques;
  • d’hypertension artérielle;
  • de problèmes de circulation sanguine ou cérébrale;
  • d’hyperthyroïdie.
Coûts

Approuvé par Santé Canada en 2002, l’inhalateur est vendu sans ordonnance. Son prix de détail suggéré est de 29,99 $ pour la trousse de départ (incluant l’inhalateur) et de 39,99 $ pour les 42 cartouches de nicotine. Toutefois, les coûts peuvent varier d’une pharmacie à l’autre car Info-tabac a déboursé 45 $ (taxes incluses) pour l’ensemble initial et aurait dû payer près de 60 $ pour se procurer les 42 cartouches supplémentaires. « Pour un fumeur déterminé à cesser de fumer, l’investissement est équivalent au prix hebdomadaire qu’il payerait pour s’acheter une cartouche de 200 cigarettes », commente M. Pépin.

Promotion

La compagnie pharmaceutique n’envisage pas de le promouvoir auprès du grand public, du moins pour l’instant. « Avant de faire connaître notre produit à la population, nous souhaitons d’abord informer les professionnels de la santé, révèle Nicolas Pépin. Nos campagnes publicitaires se feront donc à travers la presse écrite qui leur est spécifiquement dédiée. »

À l’attention de ses futurs clients, Pfizer a toutefois prévu aménager sur les tablettes des pharmacies, un écriteau présentant son produit. Car bien qu’il soit vendu sans ordonnance, l’inhalateur demeurera derrière le comptoir des pharmaciens pendant un certain temps ; une situation qui ne prévaut qu’au Québec.

Secrétaire général à l’Ordre des pharmaciens du Québec, Pierre Ducharme indique que plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation temporaire. « Par exemple, lorsqu’un produit exige une ordonnance en vertu de la loi fédérale et n’en requiert plus à la dernière minute, il est maintenu pendant une période tampon derrière le comptoir, afin que le pharmacien puisse donner les informations appropriées aux clients. De plus, bien que Santé Canada détermine le statut des nouveaux médicaments (avec ou sans ordonnance), c’est aux gouvernements provinciaux que revient le pouvoir de réglementer leur vente, ce qui entraîne parfois des délais et le fait que certains d’entre eux doivent être demandés au pharmacien. »

Non couvert par le Régime

Le lancement de l’inhalateur a été assombri par une décision du Conseil du médicament du Régime général d’assurance médicaments du Québec. Dans la Liste de médicaments, modifiée en date du 30 juin, on peut lire que cette thérapie de remplacement de la nicotine est jugée trop coûteuse, par rapport aux autres méthodes de sevrage tabagique déjà remboursées par le gouvernement. Selon le Conseil, le coût d’un traitement de 30 jours avec l’inhalateur serait 7,5 % plus dispendieux qu’avec les timbres et 58,8 % plus qu’avec la gomme de nicotine, pour des résultats comparables. En outre, le Conseil est d’avis que les médicaments déjà inscrits à la liste suffisent à répondre aux besoins des fumeurs québécois.

Efficacité

Deux fois plus efficace que son placebo (selon les données fournies par Pfizer), l’inhalateur aurait un rendement comparable à celui des autres thérapies de remplacement de la nicotine déjà sur le marché (comme la gomme [résine de nicotine] et les timbres transdermiques). Vendu dans 31 pays à travers le monde, il occuperait entre 2 % et 10 % de ce marché. Même s’il est approuvé par la Food and Drug Administration depuis mai 1997 (il a mis huit ans à traverser la frontière), la comparaison avec les Etats-Unis n’est guère fiable, car chez nos voisins du Sud, le produit est vendu sous ordonnance.

Nicolas Pépin ne croit pas que l’inhalateur déclassera les autres médicaments antitabagiques déjà sur le marché. « Je pense que le timbre va demeurer le produit préféré des gens, prédit-il. Avec l’inhalateur, nous souhaitions compléter la gamme des aides pharmacologiques proposées par Pfizer en offrant une thérapie de remplacement de la nicotine adaptée à chaque type de fumeur. »

Josée Hamelin