Batailles pour l’encadrement du vapotage

Alors que le gouvernement du Québec décide de porter en appel un jugement en faveur des vapoteries, Santé Canada tarde à réglementer de façon plus complète les produits du vapotage. Pendant ce temps, le vapotage augmente chez les jeunes Canadiens. Analyse.

Des produits du vapotage conçus pour séduire les jeunes qui sont annoncés à la télévision, sur Internet et dans les lieux publics. Cette réalité canadienne pourrait se transposer au Québec si la Cour d’appel du Québec ne renverse pas un jugement de la Cour supérieure en faveur des vapoteries et que Santé Canada ne sert pas d’urgence la vis à cette industrie. La situation inquiète les groupes de santé du Québec puisque, dans le reste du Canada, les cigarettiers outrepassent les règles en vigueur sur la promotion de ces produits alors que le vapotage chez les jeunes croît de manière alarmante.

Canada : une loi qui se développe

Début 2019, Santé Canada a réagi à la hausse préoccupante du vapotage chez les jeunes Canadiens avec deux consultations sur les règles concernant les cigarettes électroniques, la première sur la promotion de ces produits et la deuxième, sur leurs caractéristiques, incluant leurs arômes. Toutefois, ces deux consultations n’ont pas rassuré les groupes de santé. D’abord, ce processus réglementaire pourrait durer des années avant d’en arriver à l’application des nouvelles mesures. Ensuite, ces mesures elles-mêmes sont jugées encore trop faibles. Par exemple, Ottawa continuerait de permettre les publicités télévisées pour les produits du vapotage, pourvu que celles-ci ne soient pas diffusées pendant et dans les 30 minutes précédant ou suivant les émissions jeunesse. Or, plusieurs émissions destinées d’abord aux adultes attirent beaucoup de jeunes, comme les matchs de hockey ou de football.

Québec : une loi à défendre

Alors que les groupes de santé réclamaient, au gouvernement fédéral, une Loi sur le tabac et les produits de vapotage plus restrictive et plus complète, une mauvaise nouvelle est arrivée d’un tribunal québécois au début du mois de mai. La Cour supérieure du Québec tranchait en faveur d’un assouplissement de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme, à la demande de l’Association québécoise des vapoteries (AQV) et de l’Association canadienne du vapotage (ACV). Heureusement, le gouvernement du Québec a annoncé le 18 juin qu’il se pourvoyait contre ce jugement. Une décision dont se félicitent les groupes de santé , stupéfaits par le jugement de première instance rendu par l’honorable Daniel Dumais.

Le juge Dumais a notamment conclu qu’interdire l’essai des cigarettes électroniques en magasin portait atteinte à l’intégrité des fumeurs, car cela réduisait leurs chances d’accéder à un produit possiblement moins nocif que le tabac combustible. Pour le gouvernement du Québec, au contraire, interdire les essais en magasin permet d’éviter que des tiers, y compris les employés, soient exposés dans ces lieux fermés aux aérosols générés par les cigarettes électroniques.

Le juge Dumais a également conclu que la Loi concernant la lutte contre le tabagisme portait atteinte à la liberté d’expression des commerçants en leur interdisant d’étaler leurs produits dans une vitrine visible de la rue. Selon lui, la loi brime aussi cette liberté d’expression en limitant la diffusion de publicités pour les produits de vapotage à des points de vente et aux publications écrites dont au moins 85 % des lecteurs sont des adultes. Pour lui, ces dispositions « tiennent compte du bien-être des non-fumeurs, mais semblent délaisser un important segment de la population, c’est-à-dire les fumeurs réguliers ». Par conséquent, il a décrété que l’ensemble des médias pourrait désormais diffuser de la publicité pour ces produits, « pourvu [que celle-ci] cible, clairement et uniquement, les fumeurs et qu’on la présente comme moyen de cessation tabagique. Rien d’autre. » Le juge a reconnu que ces publicités seront vues ou entendues par des non-fumeurs, mais croit que « ceux-ci sauront que c’est une solution pour cesser de fumer et pourront faire la part des choses ».

Les grands fabricants de produits de vapotage ont trouvé bien des façons de publiciser leurs produits au Canada et au Québec. Source : Coalition québécoise pour le contrôle du tabac

Dans sa déclaration d’appel, le gouvernement du Québec estime plutôt que la cigarette électronique n’est pas avant tout destinée aux fumeurs souhaitant cesser de fumer puisque « l’industrie du vapotage s’adresse à la population en général, y compris aux non-fumeurs et aux jeunes ». La décision du juge Dumais aurait donc omis de considérer l’un des objectifs principaux de la loi, c’est-à-dire réduire l’attrait de la publicité liée à la cigarette électronique auprès des non-fumeurs et des jeunes afin de prévenir l’initiation à la cigarette électronique et la dépendance à la nicotine. Pour sa part, la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT) rappelle les nombreuses publicités pour les produits du vapotage qui existaient au Québec avant l’adoption de la loi. Les fabricants associaient notamment leurs produits à des artistes internationaux et à un style de vie branché et sexy, sans parler des étalages dans les dépanneurs.

Enfin, le juge Dumais souhaite que les publicités des commerçants présentent uniquement les produits de vapotage comme des outils d’aide à la cessation tabagique. Or, « la loi fédérale interdit justement ce genre de promotion aux produits dont l’innocuité et l’efficacité comme outil de cessation n’ont pas été homologuées par Santé Canada », note Flory Doucas, porte-parole et codirectrice de la CQCT. En fait, à ce jour, aucun produit de vapotage n’a été soumis à l’analyse de Santé Canada, contrairement aux autres thérapies de remplacement de la nicotine. « Alors que le gouvernement fédéral multiplie les consultations en vue de limiter le marketing de ces produits, voilà que la seule province ayant adopté une approche précautionneuse se fait rabrouer par ses propres tribunaux », s’est désolée la CQCT par voie de communiqué.

Une industrie délinquante

Ces dernières nouvelles sont d’autant plus inquiétantes qu’ailleurs au Canada, certains fabricants interprètent un peu trop librement les règles sur la promotion des produits du vapotage, tandis que les sanctions de Santé Canada à leur égard sont souvent timides ou tardives. En 2018-2019, par exemple, Santé Canada a tardé à sévir contre une publicité télévisée pour la cigarette électronique Vype ePen3 de British American Tobacco (BAT) qui a été diffusée des milliers de fois et qui comportait plusieurs éléments ayant trait au style de vie, ce qui contrevient à la Loi sur le tabac et les produits de vapotage. Dans le centre-ville de Toronto, des installations mobiles de BAT faisant la promotion de la Vype ePen3 contrevenaient aussi à la loi. Leur défaut? Elles donnaient à la cigarette électronique une impression générale de plaisir et de jeunesse alors que le vapotage est loin d’être un loisir et s’adresse plutôt à des fumeurs cherchant à se libérer de leur dépendance. Par contre, ces efforts de marketing de BAT répondaient parfaitement à un de ses objectifs : créer de nouveaux utilisateurs de nicotine.

À tout prendre, le Canada et le Québec ont donc intérêt à avoir des lois fortes et pleinement implantées s’ils veulent faire contrepoids aux manigances sans cesse renouvelées de la grande industrie du tabac.

Anick Labelle

Correction : Une version précédente de cet article identifiait erronément Imperial Tobacco Canada (ITC) comme manufacturier de la cigarette électronique Vype. En réalité, ce produit de vapotage est fabriqué par British American Tobacco, le siège social de ITC, et distribué par ITC au Canada.