Baril mise sur la bonne foi des Québécois

Le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Gilles Baril, a annoncé le 26 octobre, en point de presse, qu’il entend bien maintenir l’application des mesures de la Loi sur le tabac telle que prévue, le 17 décembre.

Toutefois, aucune sanction ne sera infligée pendant une période de transition allant de six à douze mois. « On distribuera des avertissements aux entreprises fautives plutôt que des amendes. (…) Dans le fond, on veut supporter les gens pour implanter la loi dans chacune des entreprises, pour ne pas qu’on se retrouve 24 heures après avec des inspecteurs qui vont faire le tour pour essayer de claquer sur les doigts des gens. »

L’intention du ministre d’accorder une période de transition est fort louable en soi. Cependant, cette annonce a semé la confusion chez plusieurs gestionnaires d’entreprises, d’institutions et de lieux publics. D’autant que certains médias véhiculent l’idée que les « fumeurs viennent d’obtenir un sursis d’un an avant d’écraser sur les lieux de travail ».

Un an et demi après l’adoption à l’unanimité de cette loi, le gouvernement fait maintenant valoir qu’il faut aborder ce changement en douceur et par étapes. Cette année et demi n’a-t-elle pas servi justement à préparer le terrain en vue de l’application des mesures relatives à l’usage du tabac, se sont questionnés plusieurs groupes d’intervenants en santé publique?

La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac se rallie à l’idée d’une « certaine souplesse dans les modalités d’application de la loi pendant les premiers trois mois » de sa mise en vigueur. Toutefois, elle indique que cette période ne devrait pas excéder six mois.

Le ministre nous a par ailleurs indiqué en entrevue que ce « délai de grâce » tenait pour une période maximale de douze mois et « tant mieux si on peut faire la transition en moins de temps ».

La Coalition déplore l’annonce du ministre et estime qu’elle équivaut à un report complet de la loi pendant la période de six à douze mois. Elle demande que des sanctions s’appliquent dans les cas d’entreprises affichant une désinvolture face à la loi.

Soulevant les demandes présentées au premier ministre par le Conseil du patronat et la FTQ à l’effet de reporter l’application de la loi, la Coalition estime qu’en « cédant aux pressions du Conseil du patronat et des syndicats, le ministre ouvre une boîte de Pandore, et invite les opposants à cette loi à accroître leurs pressions pour reporter indéfiniment ses dispositions ».

Le ministre Baril prétend plutôt : « D’y aller graduellement à ce stade-ci, c’est important, car si on braquait tout le monde, on pourrait avoir des problèmes. Néanmoins, je veux réaffirmer ma volonté d’appliquer intégralement les sanctions, dès la fin de cette période. Et après, il n’y en aura pas de sursis. » Il s’est dit convaincu de la bonne foi des Québécois et mise sur l’approche « sensibilisation et éducation ».

Cette annonce a laissé le président du Conseil du patronat, M. Gilles Taillon, en appétit. Il demandait le report de la mise en vigueur de la Loi sur le tabac. « Pour nous, le report de la partie pénale de la loi antitabac n’est pas la seule solution à nos problèmes. Pour certaines entreprises comme les pâtes et papiers, la mise en vigueur de la Loi n’est pas simple. (…) Nous allons demander au gouvernement une compréhension plus grande pour certains employeurs. »

Le ministre a réitéré la volonté du gouvernement de prendre fait et cause dans le dossier du tabagisme : « Une telle loi est la pièce maîtresse et la pierre angulaire d’une action rigoureuse de toute société qui veut faire reculer le tabagisme. Cette loi s’appliquera intégralement et partout, à partir du 17 décembre prochain, mais elle doit s’implanter de façon ordonnée. » Le premier ministre Lucien Bouchard a souligné qu’il n’était nullement question de changer la loi et « qu’en ce qui nous concerne, le débat est terminé ».

Immédiatement après l’annonce de M. Baril, le député libéral Russell Williams, à l’Assemblée nationale, a condamné le report des sanctions prévues à la loi, y voyant un refus du gouvernement d’assumer ses responsabilités.

Volonté des citoyens

Un sondage maison du journal La Presse indiquait, au 28 octobre, que 49 % des répondants étaient d’accord avec « le geste posé par le gouvernement de donner un an aux entreprises pour mettre en application la Loi sur le tabac », contre 51 % qui étaient en désaccord.

Lors de notre entretien, le ministre a précisé que cette loi représentait la volonté des gens en général : « Est-ce que l’on fait une loi pour les groupes d’intérêts ou pour le monde? Nous faisons une loi pour le monde et les lois que nous adoptons doivent rejoindre les citoyens dans leur vie. Autrement, on fait dans l’abstraction et les voeux pieux, et cela dénote de l’insensibilité. »

Le ministre Baril a annoncé l’engagement du gouvernement en offrant un accompagnement et un support aux entreprises dans l’implantation de cette « excellente loi ».

Concrètement, une lettre sera envoyée à toutes les entreprises ayant pignon sur rue au Québec, leur remémorant l’application de la loi et leurs obligations. Les entreprises qui se conforment déjà à la loi et qui appliquent une politique et des sanctions administratives, comprendront qu’elles doivent poursuivre dans ce sens, nous a confirmé M. Baril. Il faut se rappeler que c’est aux employeurs que revient le fardeau de faire respecter la loi chez eux.

En outre, une campagne de publicité, lancée vers le 15 novembre, informera la population de ces changements. « Le ministère va mener toutes sortes d’actions afin de rejoindre les citoyens », a affirmé le ministre.

Avec cette campagne très attendue, le gouvernement comblera un réel besoin. Il fera aussi sourire l’éditorialiste Gilbert Lavoie du journal Le Soleil qui dénonçait les comportements du gouvernement et sa timidité dans le dossier du tabac : « En réalité, le gouvernement au complet s’est traîné les pieds depuis le tout début dans ce dossier. Les inspecteurs chargés de vérifier le respect de la nouvelle loi ne sont pas formés; l’industrie attend toujours les normes qui seront exigées pour la mise en place de fumoirs en entreprises; il n’y a pas eu de campagne d’information auprès de la population. »

Soulignant la volonté du gouvernement de hausser les taxes et confirmant qu’il travaille attentivement sur le dossier des commandites et sur son engagement à offrir des compensations, le ministre estime qu’une « série de mesures feront en sorte que nous puissions atteindre les objectif de la société ».

« Ma volonté : faire de cette loi une fierté collective au Québec », a souligné le ministre Baril.

Lucie Desjardins